Bell est bien cinglé
L’homme qu’affrontera demain à 22 heures Jean-Marc Mormeck a des poings électriques et des attitudes schizophréniques. Portrait.
« O’NEIL BELL a sûrement bon cœur
mais il est victime de ses humeurs.
Lorsqu’elles prennent le dessus, il
commet des actes irrationnels… »
Bernard Steyles connaît mieux que
personne le champion WBA-WBC.
Entraîneur au Paul Murphy Boxing
Club, à Doreville, dans la banlieue
d’Atlanta, c’est lui qui a initié Bell à la
boxe. Ensemble, ils ont disputé 12
combats amateurs, puis deux combats
pros. Leur collaboration s’est interrompue
lorsque le boxeur a tenté
d’étrangler son coach. « J’avais bossé
dur pour O’Neil, explique Bernard. Il
refusait de me payer. Je me suis tourné
vers la commission de boxe de Georgie.
Elle a décidé de ponctionner mon
pourcentage sur sa bourse. O’Neil est
venu me trouver à la salle et m’a sauté
dessus. J’ai appelé la police. Quand
elle est arrivée, il s’était enfui. »
Depuis, une décision de justice interdit
à Bell d’approcher à moins de
100 mètres de la salle où il a fait ses
premiers pas. Bell s’est donc tourné
vers une salledu centre-ville d’Atlanta,
le Art of Boxing Center, où, là encore,
son passage a laissé des traces. « J’ai
été dans son coin pendant vingt-cinq
combats, raconte John Smith. On s’est
embrouillés juste avant qu’il accède au
titre IBF en 2005. Ce n’est pas un bon
mec. Même pour une fortune je ne
rebosserai pas avec lui. Il ne contrôle
pas son agressivité. C’est Docteur
Jekyll et Mister Hyde. »
« Même au lit
je travaille ma boxe »
Son inévitable bonnet rouge sur le
crâne, c’est la moitié sympa du bonhomme
que l’on interroge dans le lobby
de son hôtel de Levallois, soixantedouze
heures avant son combat. Affalé
dans un fauteuil, détendu mais pas
souriant pour autant, Bell raconte son
enfance à la Jamaïque, sur la côte
nord, àMontego Bay. « C’est la partie
touristique de l’île, explique-t-il, moins
urbaine et moins violente que Kingston.
» Soleil et grand bleu, donc. Premiers
nuages aussi.
À quatre ans, O’Neil est séparé de ses parents
– Charles et Norma – partis travailler
aux États-Unis. O’Neil est élevé par
Ines, sa grand-mère. « Je parlais àmes
parents, une fois par mois au téléphone.
» Le reste du temps, le gamin
apprend à esquiver la vigilance de
l’aïeule. « À l’école, pendant l’heure
du déjeuner, j’allais dans des bars à
hôtesses. Il n’y avait pas de lois restrictives
sur l’alcool... À six ans j’en savais
déjà pas mal sur le monde des
adultes. » Il en a sept quand son père
vient passer quelques jours au pays.
Unmatin, O’Neil sèche l’école et disparaît
une journée entière... « J’étais parti
en virée. Personne ne savait où
j’étais. Quand je suis revenu, la nuit
tombée,mon père m’amis une trempe
pendant une bonne heure. »
Peu après, les parents le rapatrieront
eux à Dover, dans le Delaware. Charles
est agent de sécurité, Norma bosse
dans une bijouterie. Aulycée, O’Neil se
distingue en sport. En lutte grécoromaine
d’abord. Il devient champion
d’État. Il garde de son premier sport
l’habileté à neutraliser et à épuiser
l’adversaire à mi-distance. Puis Bell se
met au football américain. Athlète
complet, il joue aussi bien en phases
offensives comme full back (où sa
vitesse lui permet d’ouvrir des brèches
et de protéger son running back) qu’en
séquences défensives comme linebacker.
À ce poste il développe son sens de
l’adaptation etdela lecturedu jeu pour
faire déjouer le running back adverse.
Précisément sa qualité sur un ring : le
coup d’œil et l’opportunisme. « Pour
nourrir mon art du combat, j’ai puisé
dans le foot comme dans tout le reste
de mon existence. Même au lit avec
une gonzesse, je travaille ma boxe :
patience, endurance, self-control... La
boxe est un tout. Un art de vie. »
En 1996, lors des Jeux d’Atlanta, Bell,
âgé de vingt et un ans, est subjugué
par la prestation des boxeurs cubains.
Il sera boxeur. Dix ans plus tard, il
deviendra champion du monde unifié.
Un accident industriel ? On peut
s’interroger. Les annales de la boxe se
souviendront de lui comme étant le
premier lourds-légers à avoir unifié le
titre depuis Evander Holyfield en 1988,
mais Bell n’a jamais brillé par sa virtuosité.
Combattant plus que boxeur, il
joue à fond des armes dont il dispose :
une bonne souplesse du buste qu’il
bascule en retrait, laissant ses pieds
traîner devant lui et ainsi gêner l’accès
au corps-à-corps. Doté d’un sens de
l’équilibre rare, il balance ses longs
bras qui – par effet de levier – arrivent
lourdement sur l’adversaire, souvent
dans des angles non conventionnels.
Sa spontanéité le rend imprévisible,
elle complique le décryptage de son
timing et de sa distance peu académiques.
Bell boxe par à-coups, entreprend
une action, puis se ravise et
tente autre chose. « O’Neil est unique,
analyse son rival américain Steeve
Cunningham. Pas formaté, donc dur à
boxer. Il garde des appuis tendus mais
il frappe des deux mains. On a dumal à
voir venir ses coups qui atterrissent
partout où ça peut faire mal. Même si
c’est interdit. »
« Je suis dans l’art,
pas dans la brutalité »
Demain soir, Massimo Barrovecchio,
l’arbitre italien, aura un rôle majeur sur
l’issue du combat car Bell est coutumier
des coups irréguliers. « Je frappe
làoù je vois uneouverture, se défend le
Jamaïquain. On ne peut me reprocher
de frapper quand le gars tourne la tête
parce qu’il a peur. » Nombre de ses
adversaires (Mormeck mais aussi le
Sud-Africain Sebastian Rothmann ou
encore l’américain Kelvin Davis) ont pu
louer la solidité de leur coquille et pester
sur son sens du vice. En revanche,
on ne peut enlever à Bell son
incroyable ténacité. Même mené aux
points, il a souvent fini par l’emporter
par K.-O.Une habitude prise très tôt…
« Lors d’un de mes tout premiers
entraînements à la salle, j’ai subi
un dur K.-O. face au Colombien Juan
Carlos Candelo. Je fonçais sur lui, avec
agressivité. Lui m’attendait et m’a
cueilli d’une droite. J’en ai été amnésique
un long moment. Alors j’ai tourné contre
lui, chaque jour. J’ai mis deux
ans, mais j’ai fini par le battre ! »
Teigneux sur le ring, Bell devient
lunaire lorsqu’il en descend. « J’aime
la randonnée, le camping, la pêche.
Me retrouver seul et méditer… » Il y a
quelques années, employé dans un
pressing tenu par un Coréen, il a
découvert le dan hak, une gymnastique
posturale proche du chi qong
chinois, avec des phases dynamiques
(mouvements) et statiques (visualisation).
Depuis, il est habité. « Je peux
courir trente kilomètres allongé sur
mon lit, par la seule force de ma pensée,
promet-il. J’ai appris à ne pas
consumer mon énergie, à me libérer
des pensées, positives ou négatives.
Je peux entendre les battements de
mon cœur, percevoir le mouvement de
mes intestins. » O’Neil, conseille la
lecture de Max Freedom Long la
Science secrète des miracles, un
ouvrage d’ésotérisme, proche du chamanisme.
« C’est la théorie des Kahuna,
la magie traditionnelle hawaïenne.
Elle enseignecommentacquérir l’unité
de l’être. L’homme y devient l’égal de
Dieu, apte à créer. Il faut puiser dans le
subconscient pour y parvenir. »
Bell « Supernova » sait se mettre en
orbite : « Je veux montrer à tous que je
suis dans l’art, pas dans la brutalité.
Quand je mets une droite au menton,
tout est dosé. L’impact peut s’arrêter
au niveau des capillaires qui envoient
un signal au cerveau, mais peut aussi
perforer jusqu’à l’os... »
Boxeur new age, Bell vit à Atlanta, ne
boit pas de Coca et mange bio.
Chez lui, de la musique classique :
« J’aime Beethoven, Bach, Haendel,
Tchaïkovski... Tout ce qui me permet
d’élevermonâme.Un peude rap aussi,
à condition qu’il soit porteur d’unmessage
comme KRS-One, ou Naz… Mais
je reste très reggae. » Une musique
qu’il écoute, un joint de ganja collé aux
lèvres ? Il se marre, demande à passer
à la question suivante puis admet.
« Disons que si je suis de retour au
pays, chez moi, avec les miens… Tout
est différent. Je suis un autre
homme. » Mais ce n’est pas celui-là
que va croiser Jean-Marc Mormeck
demain soir à Levallois.
Une préparation à la hache
Le 4 février dernier, O’Neil Bell a été incarcéré pour avoir agressé
avec une hache l’un de ses sparring...
JOINT PAR TÉLÉPHONE, le sergent Rick Ells, du County
Sheriff Department de San Bernardino, raconte les faits :
« Dimanche 4 février, à 13 h 11, nous avons reçu un appel
au central. On nous a signalé une altercation dans le secteur
de Big Bear Lake. Sur place, une patrouille a interpellé
deux individus. L’un, dénommé Larry Slayton, assurait
avoir été menacéavec une hache par l’autre, O’Neil Bell, et
avoir également été l’objet de jets de cailloux. Agresseur
supposé, Bell a été incarcéré. Au terme d’une journée de
détention, il a été libéré après avoir réglé une caution de
20 000 dollars.
Par la suite, le district attorneyn’a pas retenu
de charges sur M. Bell, car il n’existait aucune preuve
de ce qu’avançait M. Slayton. Ni trace de coups ni photos…
Par ailleurs, d’autres sparring-partners sont venus témoigner
en faveur de M. Bell. Quant à M. Slayton, il nous a
laissé une adresse à Atlanta qui ne correspondait à rien
dans notre système informatique… »
Qui est donc ce Larry Slayton, aussi inconnu des services de police que des registres de boxe ? « Il n’est pas référencé parce qu’il est
encore amateur, explique le Ghanéen Daniel Sackey, lui
aussi sparring de Bell et présent avec les deux hommes ce
les montagnes. O’Neil avait une hache à la hanche (sic).
Comme ils courraient plus vite que moi, ils sont partis
devant. Quand je les ai rejoints, la police était là. Tout ce
que je sais c’est que la police a demandéà Larry et àmoi de
quitter le camp. Je ne sais pas comment Bell a pu préparer
ce combat… » Aujourd’hui, Larry Slayton est retourné à
Atlanta. Il ne veut plus entendre parler d’O’Neil Bell. C’est
son entraîneur, John Smith, qui se charge d’arranger le
portrait du champion : « Je vais vous dire ce qui s’est passé.
Bell avait promis à “Slate” 1 000 dollars par semaine
pour préparer ce combat à raison de six rounds par jour.Au
final, il ne voulait en lâcher que 400 et a voulu intimider
Slate. C’est vraiment un sale mec ! »
Quand on évoque l’affaire, Bell balaye placidement l’incident
: « Ça fait partie de la négativité qui se manifeste à
l’approche de mes combats : ça peut être un procès, un
contrôle pour excès de vitesse, une amende… Ça arrive
tout le temps. Mais tout n’est que fiction. Oui, j’avais une
hache, mais c’est pour me protéger des ours. Le shérif a
menéson enquête et c’est ce qu’il en a conclu. Le gars voulait
juste gratter de l’argent. Ce qui est arrivé ce jour-là,
c’est un jour comme un autre dans la vie de “Supernova”.
c'est un sacré personnage ce Bell.... j'adore la dernière phrase...