« Tu ne vas trouver personne pour dire du bien de moi » quand Pascal Praud était dirigeant du FC Nantes
Symbole de la droite ultra-réactionnaire dans les médias de Vincent Bolloré, Pascal Praud fut directeur général délégué du FC Nantes de 2008 à 2010. Deux années surréalistes durant lesquelles il multiplia les bourdes.
Lui-même l'avoue : « À Nantes, je n'étais pas bon, je le savais. »
Sébastien Tarrago
Au téléphone, il a aussitôt essayé de nous convaincre qu'écrire sur lui dans L'Équipe constituait une idée parfaitement saugrenue et inutile. « Pourquoi veux-tu faire un papier sur moi ? Qui ça intéresse, franchement ? Nantes, c'était il y a quinze ans et en plus, j'étais mauvais, ce n'est quand même pas très gentil de ta part. »
Depuis la nuit des temps, quelques personnages baroques traversent le monde du football et marquent leur passage éphémère dans ce milieu par leur singularité et leurs manières. Pascal Praud est l'un d'entre eux, parmi les plus célèbres, depuis qu'il est devenu l'égérie controversée de CNews et Europe 1.
Figure médiatique de l'extrême droite en France, une critique qu'il abhorre et conteste avec fermeté - « Vous ne regardez jamais mes émissions » -, il fut au FC Nantes le conseiller personnel de Waldemar Kita, propriétaire depuis 2007, et son directeur général délégué entre janvier 2008 et février 2010. « J'aurais du mal à dire à quoi ressemblaient vraiment mes journées », dit-il aujourd'hui.
Un rôle nébuleux
Deux années un peu frappadingues au cours desquelles six entraîneurs se sont succédé sur le banc nantais, au coeur d'un conflit particulièrement virulent entre les supporters et les dirigeants du club. À la Jonelière, le centre d'entraînement des Canaris, les détracteurs du journaliste ne manquent pas.
Là-bas, on se souvient de son joli bureau, de ses outrances, un peu moins des contours précis de son rôle ni de son influence réelle. « Tu ne vas trouver personne pour dire du bien de moi, ça, c'est sûr », nous glisse l'intéressé, dans un élan de lucidité culpabilisante.
Né en septembre 1964 à Nantes, ancien joueur du club de la catégorie poussins jusqu'en cadets, enfant de Marcel-Saupin (le stade du club de 1945 à 1984), qu'il côtoyait assidûment avec son père, Pascal Praud avait quitté le journalisme pour aider Waldemar Kita à appréhender le contexte local.
« À TF1, j'étais sur une voie de garage, explique-t-il aujourd'hui. Thierry Gilardi arrive, je suis viré de Téléfoot en décembre 2003, je travaille pour les journaux télévisés. Je couvre l'Euro 2004, la Coupe du monde 2006, mais je m'ennuie. Je gagne très bien ma vie, je me souviens que mon dernier salaire, c'était 9 000 euros. Mais j'ai envie de bouger. »
« Je vais voir Nonce Paolini (le directeur général de la chaîne) et je lui dis : "J'ai une proposition du FC Nantes mais je ne partirai que si vous me donnez un chèque." Il a apprécié, je crois, que je lui dise la vérité et je suis effectivement parti avec un gros chèque, puisque j'avais vingt ans de boîte. À Nantes, je multiplie mon salaire par deux, j'ai un appartement de fonction, une voiture. Cela prouve qu'il ne faut jamais faire les choses pour l'argent. Mais je t'entends gratter, là, vas-tu vraiment faire un papier ? Franchement... »
Ancien coéquipier de Philippe Diallo (devenu président de la Fédération française en 2023), Pascal Praud a rencontré Waldemar Kita plusieurs années avant son arrivée au club, alors qu'il mettait du beurre dans ses 9 000 euros mensuels en animant des séminaires dans le monde de l'entreprise.
Praud est drôle, cultivé et séducteur. Il navigue dans le monde du foot depuis toujours. Il est nantais. Qui d'autre que lui pour conseiller Kita, qui a racheté le FCN cinq mois plus tôt ? Le journaliste enfile sa cape jaune et verte, quitte la capitale et revient « chez lui » avec quelques certitudes et pas mal de maladresses.
Lors des deux conversations téléphoniques que nous avons eues en septembre, il n'a pas épilogué. Sa compagne, Catherine Bancarel, ancienne basketteuse de haut niveau, est devenue directrice des ressources humaines du club en septembre 2020 et il ne veut pas l'embarrasser. Mais il nous avait déjà longuement parlé de son expérience lors d'une précédente rencontre.
« Qu'est-ce que j'espérais en prenant ce poste ? Un changement de vie, briser la routine, des émotions aussi, pourquoi pas, et puis l'attrait de la ville de Nantes. À l'époque, je vis à Paris depuis 1986. Quand on a grandi sur les plages de La Baule, cela nous manque tout au long de notre vie et ça pèse, dans une décision. »
« Je suis très attaché à la ville, j'espérais y trouver du plaisir, de la quiétude, et j'étais persuadé, avec ma grande naïveté, que mes amis journalistes allaient sauter de joie de me voir revenir à la maison. » Ce jour-là, l'évocation de ce souvenir provoque en lui un éclat de rire qui n'en finit plus. « Eh bien, figurez-vous, c'est le contraire qui est arrivé. Ils me dé-test-aient. À peine avais-je posé un pied sur le quai de la gare que les premiers papiers sortaient pour se demander ce que je venais faire là. »
Il faut dire que l'ancien journaliste de TF1, provocateur, exubérant et colérique, ce qui lui ressemble moins, ne déploie pas beaucoup d'efforts pour susciter l'adhésion de son auditoire.
« Ah, ça faisait longtemps qu'on ne m'avait pas parlé de Pascal, plaisante notre confrère David Phelippeau, qui officiait alors pour le journal 20 minutes. C'est vraiment l'un des personnages qui m'a le plus marqué dans ma carrière de journaliste. Tout, à l'époque, était absolument surréaliste au club mais avec lui, c'était incroyable. »
« Il était sans pitié, il nous parlait mal, appelait nos patrons pour essayer de nous faire virer, et le paradoxe, c'est qu'en même temps, on rigolait beaucoup, poursuit le journaliste aujourd'hui à Ouest-France. C'est quelqu'un de cultivé, qui a beaucoup d'humour. Quand il venait à l'entraînement, c'était un show permanent, il pouvait d'un coup se mettre à parler comme Cyrano de Bergerac, il jouait des petites pièces de théâtre, c'était burlesque. Son grand truc, c'était de nous dire : "Vous êtes de grands enfants quand même" ou encore, quand il nous prenait de haut : "J'ai vingt ans de TF1 derrière moi". »
Emporté par son amour du verbe et sans doute un peu de lui-même, il lâchera dès son arrivée une vacherie aux mélancoliques du grand Nantes de Jean-Claude Suaudeau et Raynald Denoueix : « Il faut en finir avec Les Choristes, Amélie Poulain et Radio Nostalgie. » « Tout ce qu'il ne faut pas dire à Nantes, éclate de rire Phelippeau. En termes de communication, cela a eu un effet dévastateur pour lui. »
« Un jour, j'avais balancé : "Si vous voulez être tranquille, dans la vie, vous faites libraire à La Baule", raconte encore Praud. Voilà t'y pas que le syndicat des libraires de La Baule se fend le lendemain d'un communiqué pour dire que c'est très dur d'être libraire à La Baule... Bon, tout était comme ça. J'ai commis des erreurs dans mon rapport avec la presse locale et on ne m'a pas loupé non plus. Mais je ne veux pas me chercher d'excuses. »
Un jour, lors d'une discussion informelle avec les journalistes, il lance, à quelques jours d'une rencontre de Ligue 1 contre Valenciennes : « Oh, les gars, ça va aller, Valenciennes, c'est une équipe de pompes à vélo. » Vu l'estime que lui portent nos confrères, l'anecdote traverse vite les frontières de la Loire-Atlantique et remonte aux oreilles des joueurs d'Antoine Kombouaré.
Le jour du match, Praud s'avance vers l'entraîneur valenciennois, qu'il connaît depuis toujours, pour lui demander de ses nouvelles. « Pascal est allé le voir et lui a dit : "Je suis content de te voir, comment tu vas ?" raconte un témoin de la scène. Antoine ne serait jamais allé lui parler de lui-même pour lui reprocher ce qu'il avait dit mais que Pascal vienne vers lui comme si de rien n'était, ça l'a rendu dingue. Il a failli lui arracher la tête. »
« Quand il est arrivé, on a vite vu que ce n'était pas trop son domaine, raconte Michel Der Zakarian, le premier des entraîneurs que Praud a côtoyé au FCN. Il faut aussi dire que, à l'époque, c'était compliqué, ce club. Moi, j'aimais bien son père, il avait été un grand journaliste à Nantes. Pascal, lui, n'a pas toujours été très gentil avec moi, il ne me parlait pas toujours très bien. Mais bon, rien de bien grave non plus. Et puis, au fond, il obéissait à la famille Kita. On s'est recroisé à La Baule cette année, il a été très gentil, il s'est excusé du comportement qu'il avait eu à l'époque. »
C'est la force de Praud. Jusqu'à son apparition dans le monde de l'éditorial politique, personne ne lui en a jamais vraiment voulu de rien. « Les gens qui ne me connaissent pas ont une mauvaise image de moi mais les autres m'aiment bien », dit-il souvent, à raison.
Même à Nantes, certains conservent un bon souvenir de lui. Au téléphone, comme la plupart des personnes que nous avons contactées, Gernot Rohr s'est aussitôt mis à rire à l'évocation de son nom : « Je ris parce qu'on a justement beaucoup plaisanté avec Pascal, quand j'étais là-bas (juin à décembre 2009). Il a de l'humour, il était dans un rôle de conseiller du président, ce qui n'était pas toujours facile avec Monsieur Kita. Mais quand le président a décidé de me remercier, Pascal a été celui qui a voulu arranger les choses, il a voulu qu'on trouve un accord à l'amiable, il a joué un rôle de médiateur. »
Élie Baup, sur le banc nantais de septembre 2008 à juin 2009, poursuit : « Je ne sais pas quel rôle il avait vraiment, il venait parfois dans le vestiaire avec le président, il a été un peu tarabusté par les supporters. Il avait aussi des phrases chocs dans la presse. Mais bon, après, il a réalisé une carrière exceptionnelle dans le journalisme, et j'ai toujours entretenu un contact avec lui depuis. J'avais un bon feeling. »
Les supporters nantais les plus assidus, en revanche, détestent toujours autant Praud, même s'ils ne le poursuivraient sans doute plus jusqu'à son domicile aujourd'hui. « J'habitais place Royale, dans un bel immeuble, raconte-t-il. Un soir, je rentre et je découvre la cage d'escalier maculée d'autocollants avec l'inscription : "Praud, tu es une trompette". Bon, évidemment, ce n'est pas très glorieux, les voisins me disaient : "Monsieur Praud, quand même..." C'est arrivé trois fois en deux ans. »
Les exemples de sa cote de popularité incertaine ne lui manquent pas. Il s'en amuse. « Quand tu déjeunes en terrasse avec ta fiancée et que tu vois un gars qui s'arrête, se met à te regarder fixement, sort son téléphone, appelle manifestement ses potes, puis qu'un deuxième arrive et que très vite, ils sont dix à t'insulter alors que tu es à trois mètres, il y a plus agréable. Mais bon, tout cela n'est pas très grave, quand même. Ma nature me pousse à prendre les choses avec un peu de légèreté et de dérision. »
Très vite, Praud s'est aperçu qu'il n'était pas fait pour le monde du football. « Bosser avec lui, c'était vraiment particulier, raconte Olivier Cailler, qui travaillait pour les médias du club à l'époque. Un jour, il m'a défoncé parce que j'avais eu le malheur d'éteindre mon téléphone à 23 heures, il appelait à n'importe quelle heure, j'ai vu des gens pleurer en sortant de son bureau, il régnait par la peur et c'était déstabilisant, parce que, à côté de cela, il pouvait être super rigolo et très sympa. Au final, on peut constater qu'il n'était pas à sa place. Un jour, il m'avait demandé : "Ça ne te manque pas la vie de rédaction ?'' Au fond de lui, il savait. »
L'intéressé confirme. « Je n'avais pas les codes, je n'avais pas confiance en mon jugement, je n'étais pas bon, je le savais, et c'était d'ailleurs assez humiliant. Mais cette expérience est celle qui m'a le plus servi dans ma vie sur le plan humain. J'ai compris que mon métier, c'était le journalisme, j'aime appartenir à une rédaction, j'aime parler avec les journalistes. Je pensais que j'étais mort dans le métier, mais j'ai eu beaucoup de chance, la Coupe du monde 2010 m'a permis de rebondir, et je suis revenu avec deux fois plus d'envie qu'avant. »
Depuis quelques années, il a perdu des amitiés dans le milieu, ce qui a pu le blesser. « Vous êtes tous des gauchistes alors que, au fond, vous ne connaissez pas les gens », aime-t-il répéter. Mais il demeure difficile pour certains de rejeter en bloc ce personnage, qui s'aime sans doute beaucoup mais qui sait aussi faire preuve d'une autodérision peu commune. Quand il animait On refait le match, une émission de radio, sur RTL, il était facile pour ses chroniqueurs de s'amuser avec cet homme, et parfois même de lui, vu l'intérêt qu'il portait à sa matière première. « Que veux-tu ? plaisante-t-il aujourd'hui. Je n'allais quand même pas me laisser influencer en regardant les matches ».
« À l'époque, j'avais besoin de quelqu'un pour le marketing et la communication, raconte le propriétaire du FC Nantes. Pascal est nantais, il aimait le foot, il avait suivi ce sport depuis toujours et en particulier le FC Nantes depuis tout petit avec son papa. Il connaissait bien l'environnement. Il me paraissait avoir le bon profil. Cela n'a pas été compliqué pour moi mais cela l'a été pour lui. Au fond de lui, il a toujours voulu être journaliste. Alors on s'est séparés à l'amiable, et ensuite, il a fait son chemin avec beaucoup de succès. Il faut aussi dire que la presse locale était jalouse de lui, c'était le Nantais qui était parti à Paris et qui revenait après avoir réussi. Il a été assez intelligent pour dire : "J'ai essayé mais ce n'est pas pour moi." Il est honnête. On ne s'est jamais fâchés et depuis, on a toujours gardé des liens. C'est un type de bon niveau intellectuellement, avec lequel on peut discuter. Aujourd'hui, il a vieilli, il comprend beaucoup mieux mes idées. Il a une reconnaissance envers moi et il y a un respect mutuel entre nous. Ce n'était tout simplement pas un monde dans lequel il pouvait s'épanouir. Il s'ennuyait et je le comprends. En deux mois, j'avais fait le tour à Nantes. Lui, c'est pareil. Le foot, c'est bien, c'est sympa mais tu t'enfermes intellectuellement. Ton cerveau ne bosse plus, il faut faire d'autres choses. »
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