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Foot : un pacte de corruption dénoncé au Parquet national financier
L’association AC-Anticorruption a déposé le 3 juillet auprès du parquet national financier (PNF) une nouvelle plainte où elle détaille un système de détournement de fonds mis en place depuis une décennie dans le football français. Dans son viseur, Nasser Al Khelaïfi, patron du PSG et de Bein Sports, le président de la ligue de foot pro Vincent Labrune, le député macroniste Karl Olive. Et une société mystère, Pitch, soupçonnée de surfacturation au détriment des clubs et même… du Qatar.
L’été du football professionnel français promettait d’être étouffant. Entre le lancement d’une chaîne dédiée à la Ligue 1 sans minimum garanti et sous l’égide de la Ligue de football professionnelle - une première mondiale -, les menaces de rétrogradation (Lyon) et de faillite de clubs historiques et le traditionnel mercato des joueurs, l’intersaison était déjà bien remplie. Mais la pression a augmenté d’un cran depuis le 3 juillet.
Ce jour-là, le parquet national financier (1) a reçu un courrier explosif : une nouvelle plainte de l’association AC-Anticorruption, qui regroupe notamment d’anciens membres d’Anticor. L’organisation a notamment à son actif d’avoir fait ouvrir une enquête préliminaire en 2024 sur les conditions dans lesquelles le fonds d’investissement CVC a acquis 13 % des droits télé du foot français à vie… en échange d’1,3 milliards d’euros.
Leur nouvelle alerte, que Blast a pu consulter, s’étend sur 27 longues et explosives pages. Elle revisite rien de moins que les 15 dernières années du football français, au prisme d’une escroquerie en bande organisée pilotée par Nasser Al Khelaïfi, patron du PSG et Bein Sports, Vincent Labrune, président de la LFP, Karl Olive, député macroniste, les président de Reims (Jean-Pierre Caillot), Montpellier (Laurent Nicollin) et consorts, accusés d’avoir spolié la Ligue de football professionnel, les clubs pros, et même le Qatar.
De tels propos pourraient prêter à sourire si les faits ne s’étaient pas accumulés depuis l’entrée en scène de l’émirat sur le rectangle vert français et européen… et si la situation financière du foot français n’était pas si catastrophique, avec plus d’un milliard d’euros de déficit cumulé pour les équipes professionnelles, désormais quasiment privées de droits télé….
En bande organisée, rien ne peut les canaliser
Les lanceurs d’alerte rappellent le péché originel qui mine le système économique du ballon rond tricolore. La triple casquette de Nasser Al Khelaïfi (NAK), à la fois ministre d’Etat du Qatar, boss du diffuseur Bein Sports et président d’un club aux moyens illimités, le Paris Saint-Germain.
En utilisant habilement ses trois titres, NAK aurait mis en coupe réglée le foot français et les présidents de club avec une méthode des plus simples. Des prêts de joueurs à des clubs en difficultés (par exemple Adrien Rabiot à Toulouse ), l’achat très onéreux de joueurs à des équipes sans le sou (Hugo Ekitike acheté 35 millions d’euros à Reims ou un obscur joueur roumain racheté 2 millions d’euros à Toulouse par un club qatari), des marchés à Doha pour des présidents de club businessmen (Laurent Nicollin, spécialiste des poubelles et propriétaire de Montpellier, et Olivier Sadran, spécialiste du catering et boss de Toulouse jusqu’en 2020 ont obtenu des contrats au Qatar) ou encore la promesse de construire un centre d'entraînement du PSG à Poissy, terre d’élection de Karl Olive.
Autant de manoeuvres qui auraient permis à Nasser Al Khelaïfi de se créer une cour d’affidés, prêts à suivre toutes ses recommandations au conseil d’administration de la Ligue de football professionnel, sorte de politburo du « beautiful game » hexagonal où siègent tous les président de club (et le député Karl Olive comme émissaire de la Fédération française de foot), dirigé depuis 2020 par un homme dont Nasser est devenu très proche, Vincent Labrune.
Ces bonnes manières sont susceptibles de constituer autant de « trafic d’influence et corruption » selon AC-Anticorruption. Qui ne limite pas ses accusations à ces seuls faits, mais évoque aussi leurs conséquences. La mainmise de NAK sur la LFP aurait conduit à une baisse drastique des droits TV, permettant à Bein Sports de payer de moins en moins cher la retransmission des matchs, soit de « l’escroquerie en bande organisée » selon l’association.
Pitch perfect
Des faits souvent connus, parfois dénoncés jusque dans les colonnes de Blast mais encore jamais judiciarisés. Surtout, la plainte, s’appuie sur les révélations de l’un des auteurs de cet article, Romain Molina, dans son livre L’industrie du Football. Grosse magouilles entre ennemis. De la LFP à la LFF en passant par les clubs, sur une galaxie de société, Pitch.
Cette petite agence de marketing sportif, dirigée jusqu’en 2024 par le britannique Paul McGrath, un intime de Nasser Al Khelaïfi avec qui il a même été associé, s’est greffée depuis deux décennies sur presque tous les deals conclus par Bein sports et a naturellement prélevé à chaque fois sa dîme sur ces contrats oscillant entre des dizaines et des centaines de millions d’euros (2)… Et le propriétaire de Pitch International LLP demeure un mystère. Cette structure anglaise est en effet détenue depuis 2009 à 75 % par Homer Newco Limited, également de droit britannique, elle-même détenue par Albaron BV, immatriculée dans la nébuleuse fiscale néerlandaise et propriété d’une autre entité batave, Homer Holding BV, appartenant à un mystérieux « actionnaire 1 ». Pour accroître encore un peu plus la brume, ces sociétés ont gagé leurs actifs auprès de la Qatar National Bank, contrôlés par des proches de Nasser…
De cette opacité lucrative, point une interrogation encore jamais évoquée : et si le Qatar, dans son achat frénétique de droits sportifs, avait été victime de surfacturation? Et au bénéfice de qui ?
« L’Agence Pitch et ses véritables propriétaires (les sociétés néerlandaises) sont aujourd'hui sous le contrôle de quatre qataris proches de M. Nasser Al Khelaifi, incluant deux amis à lui (Hamad Ghanim Al Kuwari et Hamad Saad Al Kuwari) et son cousin maternel : Rashif Said Al Sowaidi, écrit AC-Anticorruption dans sa plainte. Ces constats laissent supposer que Pitch, in fine, est directement gérée par la famille de M. Nasser Al Khelaifi. »
Des précisions qui ont fait hurler de l’entourage de NAK. « La soi-disant plainte, qui n'a été ni reçue ni signifiée à qui que ce soit, est le coup de publicité le plus éhonté et le plus répréhensible qui soit, étant juridiquement une absurdité totale et factuellement le recueil de diatribes le plus embarrassant qui soit, souligne un proche du Qatari. Le fait qu'une telle absurdité incohérente soit présentée et promue - malicieusement poussée vers les médias sans le fondement juridique ou factuel le plus élémentaire - est en fait honteux et porte atteinte à l'ensemble du système juridique français. »
Déjà embourbée dans une procédure judiciaire, et en plein préparation de la nouvelle saison, la LFP est d’humeur à peine moins badine. « Alors que le football professionnel français franchit une étape historique avec la création de sa propre chaîne, certains relancent une campagne de déstabilisation, à coups de rumeurs et de calomnies, s’est-elle agacé auprès de Blast. Ces attaques, relayées sans vérification, rappellent les tentatives déjà observées il y a deux ans. La LFP ne se laissera ni intimider ni détourner de sa mission. Elle ne laissera passer aucune contre-vérité, et se réserve le droit d’agir contre toute diffusion de contenus diffamatoires. Le football français mérite mieux que ces méthodes. »
À défaut de suspense sur le terrain, où le PSG écrase la concurrence depuis 15 ans, le foot français pourrait goûter à la glorieuse incertitude judiciaire.
(1) Contacté, le parquet national financier n'a souhaité ajouter aucun commentaire.
(2) Lors de la saison 2024/2025, les clubs de Ligue 1 ont ainsi eu la surprise de se voir proposer l’intermédiation de Pitch s’ils voulaient toucher les droits sponsoring (20 millions d’euros pour l’ensemble des équipes ) promis par Bein Sports. « Mais rien n’empêche les clubs de signer directement, assure une source proche de Bein Sports. D’ailleurs je crois qu’à date, rien n’a été signé. Évoquer cela est un non sens ! »