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« Je ne pouvais pas vivre une meilleure fin » : Steve Mandanda fait le bilan de sa carrière après avoir pris sa retraite à 40 ans
Steve Mandanda, l'ancien gardien emblématique de l'OM, a choisi « L'Équipe » pour annoncer la fin de sa carrière, après une dernière saison à Rennes. À 40 ans, le champion du monde 2018 raccroche en se remémorant, avec tendresse, sa dernière au Vélodrome.
Au fil d'un été où certains champions du monde sont revenus en Ligue 1, un autre a choisi de la quitter pour arrêter sa très longue carrière, et il a choisi L'Équipe pour l'annoncer. À 40 ans, Steve Mandanda, recordman du nombre de matches disputés avec l'OM (613), champion de France 2010, champion du monde 2018, a donc décidé de raccrocher. Même les dernières sollicitations venues d'Arabie saoudite, lundi encore, n'ont pas infléchi sa position.
Il l'a mûrement réfléchie comme il l'a expliqué, mercredi, confortablement installé dans le cadre du Mama Shelter, à Rennes, où il a ses habitudes pour les brunches dominicaux. « Si ça n'avait tenu qu'à moi, j'aurais fait une petite photo sur Insta (il fait le signe de la victoire), merci au revoir ! » Il s'est finalement posé le temps d'un dernier match avec prolongation pour détailler plus longuement son choix et revenir, avec émotion, sur vingt-et-un ans de carrière.
« Vous vous êtes laissé un été de réflexion après la fin de votre contrat à Rennes. Votre décision est-elle prise ?
J'ai eu besoin de prendre mon temps pour l'accepter, déjà, parce que ce n'est pas simple mais, oui, j'arrête ma carrière. Je suis parti en vacances avec mon ami, Didier (Digard, entraîneur du Havre), et on a beaucoup discuté tous les deux. J'ai eu une grande période de réflexion parce que, si dans mon esprit ça semblait clair, j'ai eu beaucoup de sollicitations (Le Havre, Lorient, Guingamp, Brest, Montpellier). C'est flatteur, ça veut dire que des dirigeants, des coaches pensent encore à toi. Et, à chaque fois que j'ai dit non, je me suis demandé si je n'allais pas le regretter. Mais à force de dire non : la Turquie trop loin, l'Arabie saoudite pareil, en Ligue 1 pour d'autres raisons...
Cela ressemblait à des excuses ?
Peut-être, mais il me fallait du temps pour l'accepter. Au cours de la saison dernière, je savais que j'allais arrêter. L'arrivée du coach, Habib Beye (fin janvier), m'a redonné l'envie, j'ai appris à apprécier mon rôle de numéro 2. Et puis, le club a décidé de ne pas renouveler mon contrat, arrive ensuite le dernier match de la saison au Vélodrome (2-4, le 17 mai).
Difficile d'espérer mieux pour boucler la boucle ?
Ce moment a été unique parce que rien n'était préparé. Toute la semaine, le coach m'a demandé si je voulais jouer ce match contre l'OM. Je lui ai répondu "non" toute la semaine. Pour moi, ce n'était pas forcément le dernier match de ma carrière. C'était le dernier match de la saison, le dernier match avec Rennes. Sur le banc, j'étais assis entre Gauthier Gallon et Nico Lesage (team manager), les deux en stéréo qui me disaient que je devais y aller. Je me décide au dernier moment, et j'ai eu l'une des plus belles émotions de toute ma carrière. L'instant m'a encore plus touché à la fin avec mon fils (Sacha) qui est venu sur le terrain. Je suis face au virage Sud, Leo (Balerdi) me donne son brassard (de l'OM) : "C'est toi le capitaine, tu es chez toi ici !" Franchement, je ne pouvais pas vivre une meilleure fin.
Quels souvenirs vous remontent-ils en premier maintenant que vous avez annoncé votre retraite ?
Je me refais le film, et il est un peu long (il sourit). Je faisais de la boxe, et je m'étais retrouvé à courir sur la piste autour du terrain, où j'avais assisté un peu curieux à un spécifique gardiens de Philippe Leclerc à l'ALM Evreux. Puis, j'arrive au centre de formation du Havre, mes premiers entraînements, mes séances en solo avec Nicolas Dehon (entraîneur des gardiens). Et puis, comme j'ai une très bonne mémoire, je me souviens de tout.
Donc si on vous dit le 11 décembre 2004 ?
Mon premier match pro, en Coupe de France, contre Quevilly (1-2). Je m'en rappelle très bien aussi parce que Didier (Digard), mon meilleur ami, me marque un but contre notre camp ! (Il rigole.) Ensuite, je dispute mon premier match de Championnat à Deschaseaux, contre le Valenciennes de Savidan, qui gagnait tout en Ligue 2. J'ai une pression énorme et on gagne 3-0. Le coach (Thierry) Uvenard décide de changer et me titularise, avec l'appui de Nicolas Dehon, qui a eu une importance capitale dans ma carrière. Derrière, tout s'enchaîne.
À quel moment avez-vous senti que vous pourriez faire carrière ?
Au Havre, avant ce moment-là, je suis quatrième gardien. Je me retrouve à l'écart, je ne participe pas aux jeux réduits, je viens seulement pour les frappes à la fin de l'entraînement, je ne fais que du spécifique avec Nico, on fait du travail d'angle avec des poteaux, on se retrouvait l'après-midi pour de la vidéo. Mais on bosse, on bosse. Je vois qu'il croit en moi, je sens la progression. Je me mets à jouer, je suis même appelé en Espoirs, où je découvre Franck Raviot (entraîneur des gardiens de l'équipe de France), qui m'a suivi lui aussi tout au long de ma carrière et qui est devenu un ami.
Deux ans et demi après vos débuts, c'est le grand saut avec le départ à l'OM, à l'été 2007. C'était vertigineux, pour vous aussi ?
L'OM, j'en avais un peu entendu parler. Samir (Nasri), avec qui j'étais en Espoirs, n'arrêtait pas de me dire de venir à l'OM. Et, un jour pendant les vacances, je me retrouve chez mes parents en banlieue parisienne et mon téléphone sonne. "Pape Diouf à l'appareil." "Mais qu'est-ce qu'il me raconte celui-là !" C'était bien lui (il sourit). Je ne pouvais pas imaginer le président de l'OM appeler le gardien du Havre en Ligue 2.
Comment quelqu'un d'aussi posé a-t-il pu durer aussi longtemps dans l'environnement volcanique de l'OM ?
Malgré mon tempérament assez calme, j'ai aussi mon caractère, il ne faut pas croire (sourires). Ce mariage avec l'OM, ç'a été un alignement de planètes. J'ai découvert un coach qui a énormément compté : Éric Gerets. Incroyable dans sa gestion tactique et son management. Il était franc, direct, j'ai adoré. Au moment où Cédric (Carrasso) revient de blessure, je fais une semaine d'entraînement atroce. Il vient me voir, ça dure vingt secondes : "C'est toi mon numéro 1 !" Malheureusement pour Cédric, il s'était blessé quelques mois avant et ça a complètement changé ma carrière, encore fallait-il que je sois performant. Avant mon premier match à Caen (2-1), j'ai vécu trois jours d'enfer, la veille du match, je n'ai quasiment pas dormi de la nuit, je voyais mon nom dans tous les journaux, je n'étais pas habitué à cette pression-là. Une action change tout : je sors un coup franc de "Titi" Deroin main opposée. Ça me donne de la confiance, ça montre aux gens que je suis performant.
Est-ce si difficile de survivre dans la lessiveuse marseillaise ?
Quand tu es jeune, insouciant et performant, tu ne prends que le positif. J'ai eu la chance d'avoir un chant à mon nom au stade assez rapidement. Et puis, je crois avoir pris le temps de bien observer, de bien comprendre où j'avais mis les pieds. Je me suis mis à participer à des réunions avec les supporters, j'ai eu des rôles plus importants. Je cogite beaucoup, sur tout. Certaines questions sont arrivées avec le brassard mais c'est ma personnalité, c'est aussi ce qui m'a aidé à durer dans l'univers du football et de l'OM en particulier. Même s'il y a eu des moments très, très compliqués.
Quel a été le plus dur ?
L'invasion de la Commanderie en janvier 2021. On était arrivé à une véritable cassure avec les supporters, il y avait eu d'autres épisodes mais ça se cantonnait au Vélodrome, sur des banderoles. Là, on s'était retrouvé avec Pablo (Longoria), le coach (André) Villas-Boas, Alvaro et moi, devant le bâtiment sportif devant des dizaines et des dizaines de supporters furieux. Il y avait plein de joueurs enfermés dans les chambres mais, ma place, c'était là face à eux. Ils n'étaient pas contents, il y avait la mauvaise série en Ligue des champions, le Covid, et leur colère visait surtout les dirigeants. Mais je suis capitaine, je suis devant, c'est mon rôle, encore plus dans les moments difficiles.
Malgré une courte parenthèse à Crystal Palace (2016-2017), vous êtes devenu le joueur le plus capé de l'histoire de l'OM. Mesurez-vous la portée d'un tel record à une époque où les joueurs ont la bougeotte ?
Ce sont les autres qui m'en parlaient, les médias qui en faisaient des sujets. Je ne me rendais pas vraiment compte et je n'ai jamais joué pour ça, de toute façon. Je ne réalise pas, même aujourd'hui. Je me sens juste privilégié d'avoir pu porter ce maillot, d'avoir pu jouer autant de matches dans cette équipe, d'avoir été protégé des blessures. Je suis heureux de laisser une trace bien sûr mais, plus tard, je me souviendrai surtout de mes titres.
Que vous avez tous gagnés avec Didier Deschamps.
Avec l'OM et les Bleus, oui. Je n'ai jamais connu un entraîneur comme lui. Si je ne devais citer qu'un seul coach, ce serait lui. Il sait comment gagner. Je me rappelle de son débriefing après le match contre l'Australie au Mondial 2018 (2-1), qu'on gagne pourtant. Chirurgical. Il a pointé du doigt tout ce qui n'allait pas, et tous les joueurs qui n'avaient pas fait les efforts, devant tout le monde. C'était la première fois que je le voyais procéder comme cela. Ç'a été le tournant de la compétition.
Cette saison 2017-2018 est peut-être l'apogée de votre carrière : la finale de Ligue Europa avec l'OM (0-3 contre l'Atletico) et le titre de champion du monde avec les Bleus.
Le seul petit regret, c'est cette finale avec l'OM. On sort d'une saison de dingue où on commence mi-juillet en préliminaires de Ligue Europa à Ostende jusqu'au mois de juillet suivant à Moscou. Je me blesse au printemps mais grâce au kiné Jean-Georges (Cellier), qui est devenu un ami, on arrive à raccourcir le délai. Le coach m'appelle pour me dire que je serais dans le groupe si j'arrive à revenir avant la fin de saison, et je reviens. Si j'avais raté deux Coupes du monde coup sur coup, ç'aurait été très, très compliqué. Je me retrouve à jouer mon premier match de Coupe du monde face au Danemark (0-0). Et je finis cette saison sur le plus beau titre dont un footballeur peut rêver.
Les souvenirs n'ont pas toujours été heureux : il y a cette blessure en mai 2014 qui vous prive de la Coupe du monde au Brésil.
Sur un contact avec Mustapha Yatabaré, où il me tape là (il indique son cou), je perds connaissance quelques secondes. Je rouvre les yeux, je vois plein de crampons, le visage du doc qui me parle. Je sais que je suis au Vélodrome mais je ne sais pas pourquoi je suis au sol, contre qui on joue. Je sors sur civière, je suis transféré à La Timone et Flo (Thauvin) décide de passer la nuit avec moi, un moment que je n'oublierai jamais, d'autant que le lendemain le médecin me dit que j'ai une fissure au niveau des cervicales. Première question : "Est-ce que je vais pouvoir aller à la Coupe du monde ? " "Non, mais estimez-vous heureux monsieur Mandanda parce qu'à quelques centimètres près, vous auriez pu devenir tétraplégique."
Votre histoire en bleu a été un peu contrariée malgré des débuts précoces (35 sélections au total). Comment l'avez-vous vécue ?
En équipe de France, ç'a été très vite, peut-être un peu trop : première saison à l'OM puis l'Euro 2008 avec les Bleus, où je me retrouve avec Thierry Henry, "Pat" Vieira, Lilian Thuram. Je suis avec des champions du monde, dix mois avant j'étais en Ligue 2 ! Puis, "Greg" Coupet arrête après la compétition et je passe numéro 1. Dans cet emballement-là, j'ai eu du mal à tout gérer, jouer tous les trois jours, le Championnat, les coupes, la Ligue des champions, la sélection... J'explose en vol parce que ce n'est plus la même pression, parce que ce n'est plus ma première saison, parce que les gens sont moins indulgents. Et il y a Hugo qui est présent.
Quelles étaient vraiment vos relations avec Hugo Lloris ?
La concurrence et la comparaison étaient légitimes, c'est le sport de haut niveau. Mais, entre nous, il n'y a jamais eu le moindre problème. Je pense qu'on a tous les deux un profond respect l'un envers l'autre. On était deux garçons assez réservés, Hugo peut-être un peu plus que moi. Et puis, notre admiration mutuelle a grandi au fil de notre parcours en bleu. Ce qui m'a aidé, avec le temps, c'est que je n'ai jamais été considéré vraiment comme numéro 2. J'avais encore un rôle à jouer dans le groupe, j'étais de toutes les réunions de cadres, je discutais des primes avec les tauliers, etc. Même si j'ai mal vécu de perdre cette place de numéro 1, je m'en suis plus voulu à moi-même. La facilité, ç'aurait été d'accuser les médias, le coach. Non, non, le coach (Raymond) Domenech m'a mis numéro 1. Je n'ai pas eu les épaules à ce moment-là pour assumer ce statut.
Avez-vous dû travailler cet aspect psychologique particulièrement ?
C'est une des qualités premières pour un gardien, au-delà de l'aspect technique ou tactique. Un joueur de champ qui n'est pas bien, il peut un peu se cacher, se mettre un peu plus sur le côté, jouer davantage en une touche. Un gardien qui n'est pas bien, il va jouer moins haut, moins sortir dans les airs, mais tu le remarques tout de suite. Parfois, ton niveau de performances sur plusieurs semaines se joue sur trois ou quatre centimètres, un dixième de seconde, le bout de ton pied qui traîne et te permet de sortir une frappe ou, à l'inverse, sur deux doigts pas assez solides qui te font encaisser un but.
Vous avez ouvert la voie à vos trois frères (Parfait, Riffi et Over), tous devenus gardiens comme vous. C'est une question de gènes ? D'imitation ?
Dans la famille, on a un oncle qui a été gardien mais on n'a pas vraiment eu de modèles. Je ne sais pas d'où ça vient même si je pense avoir influé sur le choix de mes petits frères mais à un moment donné ils ont tous eu des qualités pour décrocher des contrats pros. Ce qui est certain, c'est que ça a renforcé les liens entre nous parce qu'on a encore quelque chose qui nous rapproche.
Et vous ?
Je me sentais bien dans le but tout petit, et puis, il y avait un côté un peu flemmard : au moins, je n'avais pas besoin de courir autant que les autres. Mais je ne me doutais pas qu'il fallait travailler autant sur l'explosivité, les réflexes, la détente, etc. Mais j'ai réussi à trouver beaucoup de plaisir, dans le jeu au pied aussi. Le poste a beaucoup changé avec les années, avec l'évolution des règles et en fonction de ton coach, aussi.
Avec lequel, vous êtes-vous le mieux senti ?
Avec Bielsa (coach de l'OM entre 2014 et 2015), je me suis régalé. Le gardien était vachement sollicité, on devait ressortir au pied. Ce qui est paradoxal, c'est que j'ai commis quelques erreurs au pied, ce qui a pu faire penser que j'étais fébrile dans ce domaine. Mais le risque était assumé. Il me disait que si je faisais une erreur, je devais recommencer encore et encore, que l'erreur était pour lui.
Quand vous étiez à l'OM, à l'époque, il paraît qu'il vous arrivait de jouer des matches le lundi soir dans le champ avec une équipe de copains. C'est vrai ?
Comment vous savez ça ? (Il rigole.) Avec l'OM, j'avais l'habitude de jouer dans le champ les lendemains de match, dans les jeux réduits, les toros, quand les autres restaient en soins. Et comme j'adore vraiment le foot, je me suis aussi mis à jouer dans l'équipe d'un ami pour des matches à sept contre sept, le lundi soir, toujours dans le champ. Quand on avait des saisons sans coupe d'Europe, ou avec des matches le jeudi, j'y allais régulièrement. Parfois, les adversaires se demandaient ce que je faisais là (il sourit). On faisait des photos avant, ils me branchaient un peu mais c'était très sympa. C'était mon rituel pour évacuer, m'amuser. Bon, il valait mieux éviter la blessure mais je n'ai jamais rien eu de sérieux.
Vous avez choisi de quitter l'OM une deuxième fois, en 2022, pour aller à Rennes cette fois. Pourquoi ?
La saison avec Jorge Sampaoli a été très compliquée, j'ai commencé titulaire mais le club avait investi de l'argent sur Pau Lopez, et il y avait surtout un nouvel entraîneur des gardiens, Jon Pascua, très proche de Pau. J'ai disparu ensuite pour revenir sur la fin mais les choses n'ont pas été très claires. L'été suivant, pour le bien de tous, la meilleure solution c'est que je parte. Et surtout, ça arrange tout le monde que cela vienne de moi. Quand le coach m'avait mis sur le banc, Flo Maurice (alors directeur sportif de Rennes) m'avait déjà sollicité. Il m'a rappelé, le coach (Bruno) Genesio est venu me voir à Aix. J'ai adoré ces échanges, j'y suis allé et je ne l'ai pas regretté. Sans Rennes, je ne sais pas si j'aurais continué trois ans de plus, si j'aurais pu être appelé pour la Coupe du monde 2022.
À quoi va ressembler votre vie d'après ?
Pour l'instant, ce n'est pas simple. Les vacances ont été très compliquées à partir de la mi-juillet quand tout le monde a repris. C'est une vie plus solitaire : je me lève, je fais du sport, je vais jouer au padel mais le temps ne passe pas vite (il sourit). Et les week-ends sont durs parce que j'avais toujours l'habitude d'être parti alors je regarde beaucoup de matches. Pour le coup, j'ai hâte que ma formation commence au CDES de Limoges. J'ai envie d'apprendre le management et de mieux comprendre ce qui se passe derrière le terrain. »