[Ex] Jean-Philippe Durand

Joueurs et staff qui ne sont plus sous contrat avec l'Olympique de Marseille

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[Ex] Jean-Philippe Durand

Messagepar Dragan » 12 Juin 2023, 21:48

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À l'été 1992, si on vous avait dit que vous alliez gagner la coupe d'Europe, alors que Papin, Waddle et Mozer étaient partis, vous l'auriez cru ?

Il me faut faire un flash-back. Non, en 1992, je ne pense pas qu'on va gagner la coupe d'Europe. Mais quand j'arrive à l'OM en 1991, je viens de Bordeaux, un club de haut niveau, qui lutte pour le titre avec l'OM. L'objectif de Bordeaux, c'est d'être champion. Dans le bureau de Bernard Tapie, je m'attends à ce qu'il me dise on vise le championnat, mais non, il me dit : "On veut gagner la coupe d'Europe". J'entre dans son bureau avec l'idée de franchir un cap, j'en ressors vingt minutes plus tard en me disant qu'il est possible de gagner une coupe d'Europe. Ce gars-là a l'ambition et la capacité à la transmettre. À l'été 1992, il y a certes du changement, je ne suis pas convaincu qu'on va gagner la coupe d'Europe, mais il y a une petite idée derrière la tête.

Le début est assez compliqué...

À l'OM, c'est courant. En 1992, on ne joue pas forcément très bien, il y a beaucoup de pression pour les nouveaux joueurs parce que passer après Papin, Waddle, Mozer, ce n'est pas évident. La pression est énorme sur le coach, Jean Fernandez qui, après avoir été adjoint, est devenu numéro 1. Mais on s'accroche, c'est à nous de prendre les choses en main, plutôt que de subir et croire qu'on va juste s'appuyer sur les acquis.

Il y a des moments délicats, comme Bucarest en coupe d'Europe...

Énormément de pression, avec le souvenir de la saison d'avant où on se fait sortir par le Sparta de Prague alors que nous étions largement supérieurs. Cette qualification pour la phase de poules nous a en quelque sorte libérés. Après, c'était aussi compliqué en championnat, mais nous étions encore dans la course.

Le retour de Goethals à la tête de l'équipe, ce n'est pas une surprise...

Non, effectivement. On connaissait le mode de fonctionnement de Bernard Tapie, on voyait qu'il y avait une certaine impatience. Le changement d'entraîneur induit toujours une remise en cause personnelle de beaucoup de gens, mais on sait comment Raymond Goethals sait mener sa relation avec l'extérieur. Il apporte une certaine quiétude dans ce domaine que Jean Fernandez ne pouvait pas assumer de la même manière. C'était naturel pour Raymond.

Il vous servait de paravent, de bouclier ?

Complètement. Médiatiquement, avec sa bonne humeur, sa manière de dédramatiser, il fait passer beaucoup de messages. Sa position et son caractère ont été prépondérants.

Le premier match de poules à Glasgow vous envoie dans une autre dimension ?

Nous sommes un peu dans l'incertitude, l'ambiance sera chaude, mais nous sommes prêts au combat et on le voit très vite, nous sommes capables de marquer des buts. Nous menons au score. Fabien (Barthez) se fait secouer, mais on reste debout. Au-delà du point pris, le match nul a montré que nous avions du caractère et nous étions capables d'élever notre niveau de jeu et d'investissement, nécessaire pour faire un bon parcours en Ligue des champions.

Parmi les joueurs qui connaissent des difficultés pour assumer l'héritage de Mozer et Papin, il y a Marcel Desailly et Alen Boksic et leur révélation est importante dans votre progression...

Alen Boksic est très jeune, il est resté un an sans jouer, il a un poids énorme sur le dos. Il est timide et tout neuf. On voit ses capacités à l'entraînement ; il ne doute jamais et son évolution est exceptionnelle comme sa réussite. Il termine meilleur buteur et son association avec Völler est essentielle. Marcel Desailly, quand il arrive, Raymond Goethals lui dit : "Oh ! là ! là ! Ça va être compliqué pour toi de passer après Mozer". Marcel n'est donc pas sûr de lui, il a besoin de confiance. Il joue parfois en réserve. Mais il a été soutenu par le groupe parce que nous voyions à l'entraînement qu'il était physiquement au-dessus du lot. Il a grandi très vite. C'est propre à Marseille : on y grandit très vite.

Êtes-vous surpris par la décontraction de la mise au vert ?

Nous avons certains joueurs capables de dédramatiser des situations ou de motiver les autres, s'ils sentent que c'est trop relax. Notre approche est très juste, sur le plan psychologique. Quand Basile (Boli) fait l'andouille et chante, on rigole, ça fait partie de notre vie, de cet OM. On ne peut pas préparer un match sans que Basile fasse le con. Qu'il fasse prendre la douche à Roger Zabel, en lui montant un piège en direct, c'est très drôle, c'est habituel, mais ça ne nous empêche pas de savoir pourquoi nous sommes là. Chris Waddle est venu nous voir, il a mis le maillot, il s'est entraîné avec nous. Je ne connais pas beaucoup d'équipes qui s'entraînent à la veille d'une finale en admettant un joueur qui n'est plus au club. C'est inimaginable mais sympa.

Pas de stress ?

Si, en arrivant au stade, parce qu'il est majestueux. Moitié rouge et noir, moitié blanc et bleu, on a l'impression d'être aux Jeux du cirque, on se dit : "Ces gens sont là pour nous, pour moi", il y a une responsabilité qui provoque un stress important. Mais dès qu'on s'échauffe, qu'on touche le ballon, qu'on court, on évacue, on sait ce qu'on a à faire ; le placement de la défense, les appels de Van Basten, tout le monde entre dans son rôle. Ce qui m'a marqué, c'est aussi le couloir. On voit ces Milanais au torse bombé, bien coiffés, on a l'impression qu'ils mesurent tous 1,90 m pour 90 kg. On se sent un peu petit. On comprend que c'est la meilleure équipe du monde. C'est là qu'il y a un travail à faire sur soi en se disant : "Mais nous aussi, nous sommes capables de rivaliser, on l'a déjà fait."

Deux jours avant la finale, nous écrivons un papier dans "Le Provençal", "Trois hommes pour un maillot", expliquant quel est le dernier petit doute sur la compo d'équipe de l'OM et qui vous concerne personnellement...

L'idée principale, sans doute insufflée par Bernard Tapie, c'est que si Papin joue, il faut que Di Meco soit en face de lui. Il est impossible que Jean-Pierre joue bien contre nous et nous marque un but dans ces conditions. Donc, s'il joue, Éric va évoluer comme défenseur central gauche, Basile axial et Marcel central droit, avec Jocelyn (Angloma) couloir droit et moi couloir gauche. Si Jean-Pierre ne joue pas, on décale tout, c'est l'équipe que l'on a vue avec Eydelie à droite, Angloma dans l'axe, Di Meco à gauche et moi sur le banc.

Comment vivez-vous la première période ?

Elle est très compliquée, nous sommes dominés, un peu en retard. Sans les interventions de Fabien (Barthez), nous serions menés au score et dans une telle finale, quand on ouvre le score, on gagne. Sentiment que nous avons eu d'ailleurs, quand nous avons marqué nous-mêmes. La révélation de Fabien a déjà été une surprise. À 21 ans, il dégageait une sérénité fabuleuse pour l'équipe, avec un jeu au pied magnifique, très en avance. On dit souvent que les gardiens sont à part. Olmeta était à part, Barthez aussi. Parfois, on partait en déplacement et, la veille du match, il ne savait pas contre qui on jouait. Il vivait dans un autre monde et il se régalait à jouer au foot sans se mettre de pression.

Le but, comment le voyez-vous ?

Sur le banc, je ne vois pas grand-chose. Juste le ballon au fond. Mais on entend. Le stade s'enflamme, car le but a été marqué devant le virage marseillais. Le match bascule en quelques secondes. On a la chance de bénéficier d'un corner, qui n'en était peut-être pas un, je sens qu'on devient leaders de ce match. À la pause, le vestiaire est très serein, le vent a tourné.

En revoyant ce but, comment le qualifiez-vous ?

La difficulté, c'est de bien frapper un corner, bien le reprendre et le mettre au fond. Là, toutes les planètes étaient alignées à l'instant T. Un jeu de quilles où on fait un strike alors qu'on n'aurait peut-être pas dû le faire. C'était le jour J.

Quand partez-vous vous échauffer ?

Dès la reprise, en même temps que Jean-Pierre. Mon entrée en jeu est accélérée par la blessure d'Angloma. Je suis prêt, dans mon match, bien dans le duel, dans le vif du sujet. Paradoxalement, entrer m'a libéré, j'étais beaucoup moins stressé que sur le banc. Je me sentais dans mon élément et très heureux. Contrairement aux autres, je n'étais pas pressé que le match finisse tellement j'étais content de jouer. Et j'avais la sensation que nous ne pouvions pas encaisser de but, même si le match durait encore une heure.

Le retour à Marseille, c'est un moment exceptionnel ?

Plus fort que ce que nous avons vécu à Munich. L'entrée au stade a été l'apothéose. Avoir rendu les gens aussi heureux, c'était inimaginable. Il y a encore des gens qui me disent aujourd'hui : "Vous ne pouvez pas savoir le bonheur que vous nous avez apporté". Un papa m'a dit : "Même le jour où ma fille est née, ce n'était pas aussi beau". Avec le recul, on se dit que ce n'était qu'un match de foot, mais ils n'en démordent pas. Nous ne sommes pas des chercheurs en médecine, nous n'avons pas fait de découverte, alors c'est une chance d'avoir vécu ce moment.

Trois jours après, il y a OM-PSG, capital pour le titre. La cerise sur le gâteau...

Pour moi, OM-PSG c'est plus fort qu'OM-Milan. En termes d'émotion exacerbée, de scénario de match, d'environnement. L'ambiance était folle. Paris était une équipe très très forte qui aurait pu être sacrée. Nous sommes menés 1-0 au bout de dix minutes et derrière, nous accomplissons un match d'une grande intensité avec des buts incroyables. Celui de Basile auquel je participe avec Abédi (Pelé), on peut le réessayer mille fois, on ne le réussira jamais. C'est peut-être le plus beau qu'il n'y ait jamais eu en France. Une grosse cerise. Plus grosse que le gâteau.

Derrière, l'OM-Vitrolles gagne la coupe d'Europe de handball, vous êtes dans la salle, puis vous fêtez vos trophées ensemble...

Associer le hand au foot avec deux présidents frères (Tapie), c'est très fort. Voir des handballeurs gagner une coupe d'Europe, c'est un exploit unique alors. Pour une ville comme Marseille, c'est fabuleux. Nous sommes le point central du sport en France, par rapport à Paris, Marseille la rebelle focalise l'attention. C'est une fierté incroyable.

La cassure, c'est l'affaire VA-OM qui pourrit la saison suivante en D1 et après vous en passez deux en D2...

J'ai eu beaucoup de fierté à participer à cette aventure en deuxième division en restant fidèle à l'OM. Quand le club a été relégué, j'ai croisé des gens qui habitaient dans le Nord et ont créé un club de supporters là-bas pour soutenir l'OM qui en avait plus besoin à ce moment-là qu'après les triomphes. Nous avons puisé nos forces dans les sacrifices des supporters. Je me souviens de notre premier déplacement à Saint-Brieuc. Stade champêtre, des gens heureux de nous voir, pas de sécurité, on passe au milieu du public, les adversaires nous demandent des autographes. On a l'impression de jouer un match caritatif. Et toute la saison, nous avons fait la promotion de la D2 dans toute la France, face à des équipes qui jouaient leur match de la saison. Cet accueil, c'est l'héritage de la coupe d'Europe, de l'histoire récente de l'OM. Les gens se retrouvaient en nous, même à Charleville-Mézières. C'est la culture de l'OM, qui manque à d'autres clubs, qui ont des moyens mais n'ont pas cette culture, cette énergie interne.

Dans les années 2000, il y a eu de nombreuses célébrations, des retrouvailles. Il y a un lien particulier entre vous ?

Nous avons vécu un truc extraordinaire. Mis à part certains, nous ne sommes pas restés très proches, chacun a fait sa vie, mais il y a toujours un réel plaisir à se retrouver. La force de cette équipe était, au coup d'envoi, d'avoir un même but et d'être solidaire. Les décès de Raymond Goethals et Bernard Tapie ont ravivé des souvenirs. J'étais à l'enterrement de Raymond avec qui je n'avais pourtant pas que de bonnes relations, mais je le respectais et il a été un acteur majeur, comme Bernard Tapie. Il y avait des choses qu'on adorait et d'autres qu'on détestait, mais sa disparition a été marquante, elle nous a fait revivre une époque, son énergie.

Trente ans après, que reste-t-il ?

Ce sont les gens qui me font sentir l'importance de ce que nous avons accompli, qu'à titre personnel, je ne ressens pas ainsi. Trente ans après, pour moi, nous avons gagné un match de foot. Si ça reste historique, ce sont les autres qui m'en font prendre conscience.

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