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Suppression d'emplois publics : la vraie question
François Fillon et Alain Juppé, qualifiés pour le second tour de la primaire de la droite, proposent de supprimer des milliers de postes d'agents publics. Comment comptent-ils s'y prendre ? Nous attendons encore de connaître leur méthode.
250.000 à 300.000 suppressions de postes dans la fonction publique pour Alain Juppé. 500.000 pour François Fillon. Les enchères montent, et le ton des débats aussi, entre les deux qualifiés au second tour de la primaire de la droite et du centre. Essayons donc d’y voir un peu plus clair et de rendre cette analyse un peu plus objective.
L’avantage du débat en cours est qu’il souligne une réalité qui est, elle, indiscutable : la France possède l’appareil public le plus important en Europe. Fin 2014, l’Insee recensait 5,6 millions d’agents au sein de l’Etat, des collectivités locales, des hôpitaux publics et des établissements publics.
En équivalent temps pleins, hors contrats aidés, il y avait à la même date, 2,3 millions de fonctionnaires de l’Etat, 1,8 dans la fonction territoriale et 1,1 dans les hôpitaux publics. Dès lors, dira-t-on d’un côté, 500.000 agents publics (et non fonctionnaires seuls) de moins sur cinq ans, cela fait à peine 9% de moins [ 8% selon François Fillon, dont c'est le projet, NDLR], alors même que plus d’un million de ces agents devraient partir à la retraite sur la même période. Mais, dira-t-on de l’autre côté, l’ensemble de ces effectifs (sauf ceux de l’Etat) a continué à grossir ces dernières années et surtout, que deviendra la qualité du service public ?
Une question de méthode
Ce qui nous amène enfin à la vraie question : ce qui compte au-delà des chiffres, ce qui demande à être éclairci au-delà des slogans, c’est la méthode : qui, quand, où, comment… et pourquoi ? Disons-le tout net : ne pas remplacer un départ sur deux est un objectif global, non une approche service par service. Disons-le tout aussi net : la qualité du service public et la proximité n’ont jamais dépendu du nombre d’agents, sinon, il y a longtemps que nous aurions la médaille d’or dans ces domaines !
Ce qu’on attend maintenant des candidats qui en ont fait leur cheval de bataille, c’est qu’ils nous expliquent comment ils vont mettre en oeuvre cette cure d’amaigrissement : sur quelles fonctions et comment se répartiront les départs définitifs, où se feront les transferts pour renforcer les fonctions qui en ont besoin (sécurité, hôpitaux…), à quel rythme se fera la montée en régime de ce vaste chantier de réorganisation.
Au-delà de quelques mesures mécaniques et immédiates, au-delà de l’effort de dématérialisation à poursuivre et accélérer pour améliorer la productivité, cela suppose en effet des réformes de fond sur deux aspects.
Strates administratives
Premier aspect : la sempiternelle question du mille-feuilles administratif. Malgré les annonces et la réforme régionale, bien peu de problèmes de tuilage ont été résolus ; au contraire même, puisque l’arrivée des métropoles a rajouté à la complexité et aux doubles-emplois. Supprimer les départements ? Pousser plus fort vers les regroupements de communes et interdire aux communes qui s’y adonnent de continuer à augmenter leurs effectifs ?
Transférer les effectifs et les budgets à ceux à qui on transfère les responsabilités ? Mettre fin à l’empilement d’organismes de même nature (agences de développement, offices de tourisme…) à tous les échelons ? Rationaliser les coopérations entre organisations plutôt que s’approprier des fonctions et les coûts qui vont avec ?
En tout état de cause, les décisions à prendre doivent cesser d’être purement politiques, voire improvisées comme nous l’avons vu pour les régions, et s’appuyer sur des analyses approfondies, non en termes de coûts, mais en fonction des ratios efficacité/coût.
Le dilemme public/privé
Second aspect : l’analyse de la valeur des activités administratives. Elle aussi longtemps promise, cette approche essentielle est restée dans les limbes ou, en tout cas, n’est appliquée que de manière partielle et sporadique. Elle consiste à se poser la question de ce qui relève encore aujourd’hui de la sphère du service public et ce qui peut être dévolu au privé.
Qque le traitement de l’eau reste dans le giron municipal peut se justifier, mais, le ramassage d’ordures ? Mais, l’entretien des parcs et jardins ? Mais la collecte des contraventions ? Qu’il y ait un audiovisuel public peut se défendre ; mais, peut-on continuer à le maintenir en l’état, voire le développer sans se poser la question des objectifs qu’il doit atteindre ?
L’analyse de la valeur permet justement de poser clairement les objectifs… donc, «d’objectiver» l’examen des résultats. Elle permet aussi d’examiner et peser l’efficacité des composants nécessaires pour atteindre les objectifs : répartition des effectifs entre appareil central et activité locale, modalités de transfert de certaines compétences vers le privé, effets des gains de productivité (notamment dématérialisation) sur l’organisation et les effectifs, savoirs nécessaires à conserver ou à acquérir, formations rendues indispensables par les redéploiements de personnels…
Six mois pour la droite
Oui, la situation budgétaire impose des efforts en termes de rationalisation de l’appareil public, oui, cet appareil public est atteint d’obésité, oui, il y a des gains d’efficacité à en attendre et oui, la potion est d’autant plus amère qu’on a trop longtemps refusé les traitements (plus doux…) qui s’imposaient. Mais, les slogans chiffrés n’y suffiront pas.
Si la droite l’emporte, il lui reste à peine six mois pour se préparer, définir et annoncer les modalités de réalisation de cette promesse. Quant à la gauche (si elle devait gagner), qu’elle y prenne garde : comme pour la TVA sociale (transformée en CICE), comme pour la compétitivité des entreprises, comme pour l’âge de la retraite, refuser la réalité pour se faire élire vous revient à la figure comme un boomerang une fois au pouvoir.