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« Clarification », « pétition » et « feu sur le quartier général » : au Parti socialiste, le choix de Lucie Castets ravive les tensions entre Olivier Faure et ses opposants internes
La stratégie retenue par le Nouveau Front populaire (NFP) pour imposer la nomination de la haute fonctionnaire à Matignon est contestée à l’intérieur du PS. Jeudi soir, lors d’un conseil national extraordinaire, les deux courants minoritaires du parti ont dénoncé l’abandon d’une culture de gouvernement au profit de la supposée « soumission » à Jean-Luc Mélenchon et ses méthodes. Comment, en quelques heures, le consensus unitaire du NFP s’est-il fissuré ? Récit.
En accouchant dans la douleur d’un consensus sur le nom Lucie Castets, le Premier secrétaire du PS Olivier Faure pensait avoir fait le plus dur. Qui pourrait lui reprocher d’être allé chercher cette énarque, certes issue de la « société civile », certes non encartée, mais dont le parcours témoigne d’un véritable tropisme socialiste ?
Sinon comment expliquer que Lucie Castets ait accepté de figurer sur la liste de son principal opposant interne, le maire de Rouen Nicolas Mayer-Rossignol, aux élections régionales de 2015 ?
En faire, comme la présidente du conseil régional de La Réunion Huguette Bello, une affidée de Jean-Luc Mélenchon alors qu’elle a collaboré au sein du cabinet d’Anne Hidalgo, avant de devenir directrice financière de la ville de Paris, relèverait de la pure mauvaise foi. Les fauristes en étaient persuadés : Lucie Castets à Matignon, c’était l’assurance de préserver l’unité de la vieille maison socialiste. Au moins jusqu'au prochain congrès.
Clarification. Et voilà pas que, jeudi 25 juillet, l’opposition interne se rebiffe et exige, par la voix de la maire de Vaulx-en-Velin Hélène Geoffroy, que se tienne un conseil national extraordinaire le soir même pour procéder d'urgence à une « clarification ». Dans le langage diplomatique du PS, cela n’augure rien de bon.
Rapidement, dans l'après-midi de jeudi, la garde rapprochée d’Olivier Faure s’aperçoit de la bronca orchestrée par les chefs de file des deux courants minoritaires avec d’un côté, Hélène Geoffroy et, de l’autre, Nicolas Mayer-Rossignol et la présidente de la région Occitanie, Carole Delga. A 17 heures, c'est justement Carole Delga qui donne le ton du conseil national à venir. « Les sorties violentes de certains cadres de LFI, comme l’obsession égotique de Jean-Luc Mélenchon pour la présidentielle, sacrifient l’émergence d’une gauche progressiste et crédible aux yeux des Français […] Il y a un besoin urgent de clarification », écrit-elle sur son compte X.
L’unanimité derrière le NFP, dont le contrat de législature a été validé à plus de 96 % par les instances du PS, commence à se fissurer. Un prélude à l’interview d’Hélène Geoffroy qui doit sortir une heure plus tard dans Le Parisien pour acter l’impasse de la stratégie suivie par la coalition qui ne correspond pas, selon elle, à une « gauche de gouvernement ». « Rapport de forces ».
Il est 18 heures et Olivier Faure attend depuis sa bibliothèque boisée le début d’une visioconférence telle que le parti n’en avait pas connu depuis les temps orageux de la Nupes. Il sait que l'état de grâce post européennes touche à sa fin. Raphaël Glucksmann est reparti dans un Thalys vers Bruxelles, emportant avec lui ses 14 % et l’illusion d’une social-démocratie « ni Jupiter, ni Robespierre ». Idem pour la magie unitaire du second tour des législatives qui s’est progressivement dissipée, mise à mal par plus de quinze jours de négociations obscures entre chefs à plume. Tout juste si le numéro 2 du PS, Pierre Jouvet, a pu se réjouir d’avoir vu le groupe PS à l’Assemblée nationale doubler ses effectifs en passant de 31 députés sous la précédente législature à 66 aujourd’hui. Un peu d’autosatisfaction ne nuit pas. Dans son mot d'introduction, Jouvet appelle ses camarades à « prendre la mesure du rééquilibrage du rapport de force à gauche », relevant notamment qu’Olivier Faure surpasse désormais Jean-Luc Mélenchon dans toutes les enquêtes d’opinion — du moins en termes de popularité, car pour la notoriété, c’est une autre affaire.
A ses yeux, le choix de Lucie Castets pour porter les mesures du NFP en tant que Première ministre « permet d’avoir un poids politique nouveau vis-à-vis du président de la République ». Une opinion très loin de faire l’unanimité chez les anti-fauristes, qui font part de toutes leurs récriminations.
Déjà pas franchement convaincue par Lucie Castets après l’avoir écoutée pour la première fois sur France Inter mercredi matin, Hélène Geoffroy a été carrément refroidie par son passage sur BFMTV le lendemain. « On a bien vu qu’il lui était compliqué de répondre sur le nucléaire, sur la réforme des retraites, sur le vote avec le RN, sur la question des athlètes israéliens », souligne l'ex-ministre de la Ville de François Hollande, sans toutefois nier la compétence de cette haute fonctionnaire de 37 ans.
« Soumission ou démission ». Dans le camp des pro-Faure, on s’indigne d’une « tentative de fragilisation » de Lucie Castets, alors que l’aspirante au poste de Première ministre doit effectuer son premier déplacement officiel, samedi 27 juillet, dans un hôpital de Roubaix (Nord). « Soit on la dédit et on la fragilise, ce que tu fais Hélène. Soit on tient bon et on la défend avec acharnement », résume le député PS, Arthur Delaporte. « C’est nous qui l’avons proposé car nous pensions qu’elle pouvait être un trait d’union et que nous savions qu’elle était plus proche de nous que de beaucoup d’autres », répliquera un peu plus tard Olivier Faure, jugeant sa championne « particulièrement à la hauteur » au vu du temps de préparation qu'elle a eu avant d'entamer un marathon médiatique visant à crédibiliser sa candidature pour Matignon.
Derrière ces querelles en apparence picrocholines, il s'agit en réalité moins d'une question d'incarnation que d'une question de ligne. « Nous, notre sujet ce n’est pas coincer de Emmanuel Macron, ce n’est pas d’être comme Jean-Luc Mélenchon qui veut semer le chaos dans le pays et dans la rue, c’est de gouverner », rappelle la présidente du conseil national PS, Hélène Geoffroy. « Les bras m’en sont tombés, dit-elle, quand j’ai vu la pétition que nous lancions pour imposer Lucie Castets à Matignon. Depuis quand, au PS, nous faisons des pétitions ? Donc nous disons comme Mathilde Panot “soumission ou démission” ? » Pour les soutiens d'Hélène Geoffroy, le compagnonnage avec LFI interdit toute perspective de retour au pouvoir, que ce soit à Matignon ou à l’Elysée. Il s’agit pour eux de réunir une convention nationale à l’automne, c’est-à-dire un grand chantier sur la ligne du PS, sans conséquences sur les instances dirigeantes du parti.
Car, quand bien même Emmanuel Macron consentirait à nommer un gouvernement de gauche à la rentrée, d'aucuns s'interrogent déjà sur l'attribution des ministères régaliens aux proches lieutenants de Jean-Luc Mélenchon. « Qui acceptera dans ce conseil national de soutenir un gouvernement où Manuel Bompard serait à Beauvau ? », demande le Premier secrétaire délégué du PS, Nicolas Mayer-Rossignol.
« Brutalisation ». Les accusations se font alors plus dures entre cadres socialistes, les premiers accusant les seconds de vouloir céder aux appels du pied du camp présidentiel, en rejoignant la grande coalition d’union républicaine dont rêve Emmanuel Macron. « Si vous pensiez qu’il fallait des coalitions avec Ensemble et Les Républicains, il fallait dire le début », tance le député PS du Calvados, Arthur Delaporte. « C’est tout ce qu’attend le bloc présidentiel [...] Mais il est hors de question de gouverner avec Aurore Bergé, Prisca Thevenot et Bruno Le Maire », prolonge son collègue Iñaki Echaniz. «
C’est inadmissible, s'insurge le sénateur PS de Paris, David Assouline. Vous nous sortez le même argument que Mélenchon quand il a refusé Laurence Tubiana ! » Pour rappel, la diplomate et ex-architecte des accords de Paris lors de la COP 21 s'était vu disqualifiée par LFI pour avoir signé une tribune dans laquelle elle appelait à tendre la main à « d'autres acteurs du front républicain ». Comme souvent, les outrances de Jean-Luc Mélenchon et de ses ouailles font irruption dans les discussions internes au PS. Si souvent récusée par Raphaël Glucksmann, la « brutalisation du débat public » fait son grand retour avec les propos récents du député LFI Thomas Portes, qui est allé jusqu’à considérer que les athlètes israéliens n'étaient « pas les bienvenus » aux Jeux Olympiques de Paris.
« On n’est même pas capables de condamner ce qui a été dit par Portes, pas un mot sur les menaces de mort de Rima Hassan quasiment à chaque tweet », soupire David Assouline. Pourquoi un tel mutisme ? Si ce n'est la promesse d'une nouvelle dissolution en 2025 qui solidarise les différentes composantes du NFP, les enfermant de facto dans « le bruit et la fureur ».
« Contrairement à ce que tu nous expliques depuis deux ans Olivier, nous sommes seuls face à LFI. Le PCF est devenu résiduel […] Les écolos sont des pastèques, verts à l’extérieur, mais rouges insoumis à l’intérieur », attaque l’ancien maire PS d’Argenteuil, Philippe Doucet. Avant de se montrer encore plus menaçant : « Il y a des jours Olivier où je demande si tu ne penses pas toi aussi que nous ne sommes pas des punaises de lit imprésentables à tes amis de LFI […] S’il faut faire feu sur le quartier général pour être entendu et respecté, nous allons le faire ».
Le message est clair : le pacte de non-agression tacite qui durait depuis le psychodrame du congrès de Marseille, en janvier 2023, est désormais caduc.
Congrès. C'en est assez pour Olivier Faure, qui balaie les arguments de ses détracteurs dans un long monologue conclusif. « S’il y a quelqu’un qui a à se plaindre des Verts, c’est bien moi car ils ne m’ont pas bien traité, mais jamais je ne reprendrai l’expression de Jean-Marie Le Pen », répond-il d'abord à l'image de « la pastèque » employée par Philippe Doucet. Face au tabou soulevé par l'eurodéputé François Kalfon, qui juge le programme du NFP « insoutenable au vu de l’état des finances publiques », le leader du PS assume : « Nous ne sommes pas dingues, nous savons parfaitement que nous ne pouvons pas appliquer tout le programme du NFP ». Pourtant, entre l’intransigeance des opposants irréductibles et la plasticité idéologique totale du « en même temps », Olivier Faure continue de penser qu’il existe un chemin pour un gouvernement porteur d'une rupture. Depuis mardi et la révélation du nom de Lucie Castets, le dirigeant socialiste s’est entretenu avec Sophie Binet (CGT) et Marylise Léon (CFDT), mais il dit aussi avoir reçu un appel du patron du Medef, Patrick Martin qui se serait dit « prêt à dialoguer » avec un gouvernement du NFP. Qu'importe si le même Patrick Martin avait eu l'occasion de dire combien l'application des mesures du NFP serait « fatale pour l'économie française », Olivier Faure préfère y voir la preuve que « même le patronat prend au sérieux cette histoire ».
Alors pourquoi les roses doutent-ils d'eux-mêmes ? Au PS, l’idée d'un congrès n’est jamais loin. Une toile de fond permanente qui obscurcit les débats, les frappe souvent d’insincérité et de défiance réciproque. « Est-ce que quelqu’un pense qu’on peut avoir le luxe de neuf mois de congrès ? Mais c’est une folie, vous voulez vraiment que LFI prenne tout l’espace à gauche ! », lance Olivier Faure à ceux qui voudraient devenir calife à la place du calife. Tout bon apparatchik maîtrise ses statuts : en théorie, le congrès doit intervenir à mi-mandat présidentiel et/ou six mois après des élections législatives. Or, toujours en théorie, il faut présenter six mois d’ancienneté pour disposer d’un droit de vote au congrès. Au détour d'une phrase, jeudi soir, le Premier secrétaire a donné un chiffre qui n'a rien de neutre : en une quinzaine de jours, les roses se sont vus rejoints par 3 000 nouveaux entrants. Allez savoir pour qui voteraient ces néo-socialistes en cas de congrès en janvier prochain !