La cote de Labrune est au plus bas
RAPHAËL RAYMOND et BAPTISTE CHAUMIER
Mercredi 10 septembre 2014
Un peu plus de trois ans après sa prise de pouvoir, Vincent Labrune, le patron de l'OM, que Marcelo Bielsa a violemment mis en cause à propos du recrutement estival jeudi dernier, apparaît plus esseulé que jamais.
LA BOMBE de Marcelo Bielsa a explosé il y a six jours et Vincent Labrune n'a riposté que par textos, distillés à quelques journalistes chargés d'évaluer les dégâts. Officiellement, le président de l'OM se laisse le temps de la réflexion depuis l'Italie, où il est parti décompresser avec femme et enfants.
En réalité, s'il se mure dans le silence, c'est parce qu'il considère que le temps et le calendrier restent ses meilleurs alliés. Les deux déplacements à Annecy contre Évian et à Reims, entrecoupés par la réception de Rennes, laissent entrevoir à l'actuel quatrième de L 1 – qui reste, on l'avait presque oublié, sur deux succès de suite à Guingamp (1-0) et contre Nice (4-0) – la poursuite d'une dynamique intéressante. Et au patron du club provençal un peu de répit. À moins que son entraîneur ne décide de ressortir l'artillerie lourde.
La charge du technicien argentin, qui l'a accusé de lui avoir fait des promesses qu'il savait ne pouvoir tenir et d'avoir recruté des joueurs sans son accord, a sapé un peu plus la success story de l'ancien attaché de presse de France 2, devenu roi de l'OM en juin 2011 grâce aux relations de confiance qu'il entretient depuis une décennie avec son propriétaire, la famille Louis-Dreyfus, plus qu'à sa formation ou à son CV, qui ne faisaient pas état d'expériences significatives dans la gestion financière ou humaine.
Quand il s'est assis dans le fauteuil de Pape Diouf et de Jean-Claude Dassier, dont il avait largement favorisé la chute (1), Labrune était précédé d'une réputation de génie. Son pouvoir de séduction s'est singulièrement estompé. Face à ses contradictions, ses échecs et ses stratégies à géométrie variable (lire par ailleurs), le génie a perdu de sa superbe, et donne l'impression d'avancer dans le noir, sans lanterne, en se cognant la tête contre les murs.
Les salariés de l'OM n'ont pas attendu que Bielsa sorte ses griffes pour s'interroger sur l'efficacité de leur patron. Son autorité a pourtant été écornée. « Avec sa bande, Labrune a joué à “Football Manager” mais en vrai. Il ne s'occupe que des transferts. Mais pour le reste, les autres aspects importants d'un club, le marketing, la gestion administrative, humaine, il n'y a rien, pas de coordination. Ce qu'on se demande, c'est à quoi va ressembler la prochaine bombe. On a passé l'été sans savoir où nous allions jouer avec l'histoire du stade (2). Et maintenant, il y a ce problème avec Bielsa, qui devait être le sauveur. Ce foutoir, c'est du jamais-vu », confie par exemple un collaborateur.
Cet été, José Anigo s'est installé au Maroc, où il est officiellement devenu l'oeil de l'OM sur le continent africain. Labrune n'a pas seulement perdu un directeur sportif mais aussi un bouclier, un tampon, qui encaissait bien des chocs sans jamais trop broncher. Sa garde rapprochée se résume à deux amitiés de longues dates : Luc Laboz, inconnu dans le milieu du foot et bombardé directeur de la communication depuis septembre 2011, et Philippe Pérez, arrivé dans ses bagages au poste de directeur général du club mais que « certains joueurs », si l'on en croit Labrune, ne considèrent pas comme « un interlocuteur légitime ».
MLD RESTE SILENCIEUSE
Très proche des joueurs jusque-là, trop même aux yeux des entraîneurs qui ont précédé Bielsa, Labrune a perdu la confiance du vestiaire. « Plus aucun joueur n'accorde de valeur à sa parole », glisse l'un d'eux. La gestion du loft, dans lequel certains tauliers comme Benoît Cheyrou ou Rod Fanni ont passé l'été, a créé une première fracture.
Sitôt parti à West Ham, Morgan Amalfitano a stigmatisé les méthodes de l'état-major olympien. « Pour ne pas avoir l'air trop bête, il faut bien qu'ils inventent des mensonges, comme ils l'ont fait depuis le début. Il faut arrêter de prendre les joueurs pour des ânes », a fustigé l'ancien Lorientais sur l'antenne de RMC. « C'est très compliqué, il y a eu beaucoup de problèmes de communication au sein du club, c'est ce qui cause tous ces soucis aujourd'hui », a estimé Fanni de son côté, dimanche, au Canal Football Club. Labrune, qui a souvent été considéré comme un expert en la matière, appréciera…
Dans le conflit ouvert qui l'oppose à son entraîneur, le boss de l'OM n'a pas eu trop de mal à compter ses soutiens publics. Son homologue et ami lorientais Loïc Féry s'est fendu d'un tweet pour assurer qu'il n'avait pas oeuvré contre Bielsa. Mais, comme Bernard Tapie, l'ancien boss de l'OM, dans nos colonnes le 6 septembre, d'autres présidents se sont fait un malin plaisir de monter au créneau pour l'inviter à faire preuve d'autorité. « Si Labrune veut défendre ses actionnaires, et il en a la responsabilité, il doit faire quelque chose. Ça mérite une sanction grave. C'est sûr que ça ne peut pas rester en l'état », a par exemple expliqué hier au Parisien son meilleur ennemi, Jean-Michel Aulas. D'autres s'étonnent de son peu d'implication dans les affaires de la Ligue, dont il est vice-président.
Labrune a suffisamment à déminer dans son propre jardin. Dans dix jours, contre Rennes, l'OM retrouvera le Vélodrome. Où Bielsa est considéré comme un dieu… parce que Labrune l'a aussi présenté comme tel au printemps dernier, quand il s'agissait d'éclaircir la saison noire, la première depuis dix ans sans qualification européenne. Sur son site Internet, le quotidien la Provence a demandé à ses lecteurs qui ils soutenaient dans la tempête qui secoue l'OM. Hier soir, 75 % étaient derrière Bielsa, 9 % derrière Labrune, 16 % les renvoyaient dos à dos.
Devant ce tableau effrayant, le silence de Margarita Louis-Dreyfus peut sembler assourdissant. Un de ses proches assure qu'elle ne s'est pas exprimée parce que Labrune, qui « ne veut pas en rajouter ni jeter d'huile sur le feu, ne lui avait pas demandé de prendre la parole ». Selon cette même source, MLD peut difficilement comprendre les reproches de Bielsa, elle qui a encore injecté 20 M € dans les caisses du club pour joindre les deux bouts. Labrune ne court pas seulement après les résultats sportifs mais aussi après l'autofinancement, qu'il avait érigé en règle de gestion, sans parvenir à les rattraper. Forcément, il commence à s'essouffler.
RAPHAËL RAYMOND et BAPTISTE CHAUMIER
(1) Labrune présidait le conseil de surveillance, une structure chargée de contrôler la gestion du club. Elle a été dissoute quand il a été nommé président de l'OM, en juin 2011.
(2) Un conflit a opposé l'OM à la mairie cet été au sujet du loyer pour le Stade-Vélodrome. Le club a menacé de délocaliser ses rencontres à Montpellier, avant de trouver un accord avec le maire, Jean-Claude Gaudin.
PAROLES DE LABRUNE
EN UN PEU PLUS DE TROIS ANS À LA TÊTE DU CLUB, LE PRÉSIDENT DE L'OM A ASSÉNÉ DES PHRASES FORTES ET FORMULÉ PLUSIEURS PROMESSES. QUI NE SONT PAS TOUJOURS VÉRIFIÉES...
« Anigo-Deschamps ? Il n'y a aucun problème, même si ça ferait plaisir à certains... »
28 mars 2012
À la fin de la saison 2011-2012, Deschamps quitte son poste d'entraîneur car il estime que son président n'a pas voulu arbitrer le conflit qui l'oppose depuis plusieurs mois au directeur sportif.
« L'exemple à suivre, c'est Dortmund. »
1erAOÛT 2013
Dans une interview à L'Équipe, Labrune affiche l'ambition de suivre une trajectoire inspirée du club allemand, récent finaliste de la Ligue des champions. Dans cette même compétition, l'OM terminera la saison 2013-2014 sans avoir pris le moindre point en six matches.
« Margarita Louis-Dreyfus considère que le club doit s'autofinancer. À nous de trouver des solutions (...). Avant on subissait, aujourd'hui on a repris la main et on peut envisager l'avenir avec beaucoup plus d'ambition. »
8 OCTOBRE 2013
MLD a dû verser 20 millions d'euros pour boucler le budget et l'OM a raté, pour la première fois depuis dix ans, une place européenne.
« Que l'entraîneur soit critiqué quand on perd, c'est la loi du foot. Ce qui est important, c'est la façon dont il est soutenu par son club. Et, de ce côté-là, nous n'avons jamais dévié de notre ligne. »
28 DÉcembre 2013
Deux jours plus tard, Élie Baup est licencié après une défaite à domicile contre Nantes (0-1) au cours de laquelle les supporters du virage sud ont exigé son licenciement.