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Kim Nielsen a écrit:
@ Nikezles Mickeler
Vincent Labrune, sauveur des clubs de football français devenu incarnation du fiasco
La crise du football français » (1/2).
Dans une enquête en deux volets, « Le Monde » revient sur la tempête qui secoue le sport tricolore, miné par les difficultés financières et les problèmes de gouvernance. A sa tête, deux hommes aux destins croisés : le patron de la Ligue de football professionnel, Vincent Labrune, et celui de la Fédération française de football, Philippe Diallo.
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L’homme qui communique plus vite que son ombre ne pouvait pas rater ça. Ce samedi 31 mai, il est un peu plus de 23 heures, à Munich. Alors que le joueur parisien Senny Mayulu vient d’inscrire le dernier but du Paris Saint-Germain (PSG) en finale de la Ligue des champions face à l’Inter Milan, scellant un succès historique (5-0), le président de la Ligue de football professionnel (LFP), Vincent Labrune, dégaine déjà un communiqué d’autocongratulation. « La victoire du PSG est le résultat de la stratégie globale mise en place depuis plusieurs années et qui porte ses fruits. » Dans un pas de deux parfaitement orchestré, le président du PSG, Nasser Al-Khelaïfi, lui renvoie l’ascenseur quelques minutes plus tard, en conférence de presse : « On a le meilleur président de la Ligue, Vincent Labrune, qui fait du bon travail. »
Soyons clairs : en dehors du président parisien, Labrune ne trouverait pas grand monde pour le célébrer depuis son arrivée, en septembre 2020, à la tête de la LFP, la structure chargée de gérer les 36 clubs professionnels français (18 en Ligue 1, 18 en Ligue 2), sous le contrôle – supposé – de la Fédération française de football (FFF), par ailleurs chargée du football amateur (2,5 millions de licenciés), mais aussi de l’organisation de la Coupe de France et, bien sûr, de l’équipe de France.
Si le patron de la Ligue concentre à ce point les critiques, c’est que le foot professionnel dont il a la charge est au plus mal : 1,3 milliard d’euros de pertes d’exploitation pour l’ensemble des clubs sur la saison 2024-2025 (hors cessions de joueurs), des menaces de faillite, un modèle obsolète, des conflits entre présidents, des tribunes gangrenées par la violence et l’homophobie, une image déplorable, un championnat dépourvu de tout suspense en raison de l’écrasante domination du PSG… Aux yeux de nombre de décideurs, Labrune incarne ce marasme. Cruel retournement de situation pour celui qui, à l’orée de son premier mandat (2020-2024), fit pourtant figure d’homme providentiel.
Paradoxalement, le foot professionnel français est au bord du précipice, alors qu’il vient de remporter, pour la première fois depuis 1993 avec l’Olympique de Marseille (OM), la plus prestigieuse des épreuves de clubs, la Ligue des champions. C’est que, fort de son budget illimité, le Paris Saint-Germain – propriété depuis 2011 du richissime Qatar – est l’arbre qui cache non pas la forêt, mais le désert. « Le PSG, c’est au moins 50 % de la valeur globale du championnat français », résume le patron de la FFF, Philippe Diallo. Et c’est un problème.
Voilà pourquoi la proposition de loi des sénateurs Michel Savin (Isère, Les Républicains) et Laurent Lafon (Val-de-Marne, Union centriste), votée le 10 juin au Sénat, fait figure de solution de la dernière chance. Si elle est adoptée par l’Assemblée nationale, cette loi permettra une réforme en profondeur : encadrement de la masse salariale des clubs, redistribution beaucoup plus équilibrée de l’éventuelle manne financière liée aux droits télévisuels, disparition de la LFP – donc éviction de fait du contesté Vincent Labrune – et création d’une société commerciale des clubs avec un directoire composé de professionnels du business, prééminence de la FFF, qui chapeautera le tout, lutte contre les conflits d’intérêts… La ministre des sports, de la jeunesse et de la vie associative, Marie Barsacq, l’assure au Monde : « L’objectif est que cette loi soit votée et promulguée rapidement, à l’automne », puisque « la procédure accélérée [qui permet de diminuer les délais nécessaires à l’adoption d’une proposition de loi] est OK pour le gouvernement », qui va la mettre en place.
Dressant un constat sévère sur le football français, le Sénat prône un contrôle renforcé de la LFP
Comment le foot professionnel en est-il arrivé là ? Pourquoi a-t-il fallu que la sphère politique mette son nez au ras des crampons pour sauver un secteur supposément assis sur un tas d’or ? Et, accessoirement, comment Philippe Diallo, l’homme de la FFF, a-t-il poussé Vincent Labrune, celui de la LFP, dans le fossé, pour mieux asseoir son propre pouvoir ?
Le Monde a tenté de restituer le récit d’un affrontement en sourdine, entre deux personnages aux antipodes l’un de l’autre, et de discerner les responsabilités de chacun. Ce n’est pas chose aisée, tant les responsables du fiasco se font discrets, entourés d’une armée de communicants, maniant à merveille la langue de bois ou le off assassin. Mais certains ont joué le jeu. Bienvenue dans un inframonde, où la frontière est parfois mince entre la naïveté et l’incompétence, l’appât du gain et la passion du jeu.
« Le pire président de l’histoire de l’OM »
A 49 ans, Labrune a pris la tête de la Ligue en septembre 2020, au terme d’une campagne éclair, émaillée de quelques coups bas en coulisse. Cheveux argentés au vent, homme de réseau et beau parleur, ce touche-à-tout, communicant de formation, a l’art de séduire. Il a débuté en 1994 à la télévision, à France 2, comme attaché de presse, avant de tâter de la production, puis de lancer en 2003 sa propre agence de communication.
Il a alors la bonne idée de devenir le porte-parole du richissime homme d’affaires Robert Louis-Dreyfus, tout en obtenant un poste de conseiller auprès du boss de TF1, Patrick Le Lay. Ce mélange des genres lui vaut déjà des critiques. Qu’importe : sa proximité avec Robert Louis-Dreyfus, propriétaire de l’OM, lui permet d’entrer par la grande porte dans le foot « pro », au point d’être nommé président du club phocéen en 2011. Il quittera son poste cinq ans plus tard, nanti ou plutôt lesté d’un bilan contesté – le quotidien La Provence ne l’a-t-il pas qualifié de « pire président de l’histoire de l’OM » ?
Mais Labrune, c’est surtout l’ami des puissants, le courtisan sympa et rusé qui sait susurrer les bons conseils. Adepte du contre-pied, il rebondit vite après son départ de l’OM : il décide de se présenter à la présidence de la LFP, en septembre 2020. A la surprise générale, il l’emporte de peu face à l’ancien animateur de télévision et ex-président du PSG, Michel Denisot.
A cette date, l’autre homme fort du foot français est Noël Le Graët, alors âgé de 79 ans, à la tête de la FFF depuis 2011. Entre eux, la répartition des rôles se fait assez naturellement : tandis que le septuagénaire surfe sur les excellents résultats de l’équipe de France masculine, finaliste de l’Euro 2016, puis championne du monde en 2018, Labrune se donne pour mission d’augmenter significativement les recettes des clubs professionnels.
Joueur de poker invétéré, il sait quand il a une bonne main, et il n’a jamais lésiné sur les coups de bluff ou de pression, usant à merveille de son copieux carnet d’adresses. Ses contempteurs lui prêtent un goût immodéré pour l’argent – au point d’attirer l’attention du Parquet national financier (PNF) – et un dilettantisme assumé. C’est aussi, peut-être, trop caricatural. Le Monde aurait bien aimé le questionner, mais il a refusé toute interview, malgré de multiples relances.
A son arrivée à la Ligue, Labrune doit gérer plusieurs incendies, principalement celui déclenché par Mediapro, un groupe audiovisuel espagnol. Pour une fois, le président de la LFP n’est pour rien dans cette histoire. Un petit retour de deux ans en arrière s’impose.
Le mirage Mediapro
En 2018, c’est une femme, Nathalie Boy de la Tour, qui préside encore aux destinées de la Ligue. L’équation de base est simple : les clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 bouclent leurs fins de mois depuis plusieurs décennies en s’appuyant sur deux ressources principales. D’un côté, les ventes de joueurs, notamment aux riches clubs anglais, espagnols ou allemands ; de l’autre, les droits télé tirés de leurs matchs.
Le réservoir de jeunes talents semble inépuisable en France, comme le porte-monnaie des diffuseurs, Canal+ en premier lieu. Mais la chaîne cryptée déchante. Car, le 29 mai 2018, les clubs « pro » dédaignent la proposition de Canal+, préférant signer un protocole d’accord avec Mediapro : au total, les droits télé du foot français sont vendus pour 1,1 milliard d’euros. Un montant colossal, alors que le contrat précédent (2016-2020) avait rapporté « seulement » 726 millions d’euros. Avec cette augmentation de plus de 60 %, le bond en avant est spectaculaire.
Mais, avant même la signature officielle du contrat, « les clubs augmentent leur masse salariale de 400 millions d’euros », tempête aujourd’hui Jean-Marc Mickeler, le président de la direction nationale du contrôle de gestion, le gendarme financier du foot français. En clair, les présidents dépensent sans compter l’argent qu’ils n’ont pas encore perçu.
La LFP, tout aussi imprudente, ne demande aucun acompte ni réelle garantie à Mediapro. Un seul président fait part de ses doutes, celui du RC Lens, Joseph Oughourlian. « Ce n’était pas une bonne idée de donner 80 % des droits à un groupe qui n’a pas bonne réputation, qui n’offre pas de garanties, et qui n’est pas solide financièrement », confiera-t-il plus tard aux sénateurs Lafon et Savin, auteurs, en octobre 2024, d’un rapport d’information sur les dérives du football français. Mediapro apparaît vite pour ce qu’il est : un mirage. Pire, voilà que, début 2020, surgit le Covid-19. Le championnat est stoppé dès le mois de mars, en plein élan. Le football français amorce sa dégringolade.
En septembre 2020, Labrune hérite donc d’une situation peu reluisante. Car le groupe audiovisuel espagnol profite de l’arrêt des compétitions pour tenter de renégocier son accord, et réclame un sursis. Bientôt, c’est la crise ouverte. Le 22 décembre 2020, Mediapro se retire piteusement, en se contentant de verser 100 millions d’euros d’indemnités. Et voilà Labrune contraint de brader son ersatz de championnat pour 35 millions d’euros, auprès de Canal+. Le milliard a bien fondu… « Il y a eu des fantasmes, une sorte de parenthèse enchantée », résume aujourd’hui Marie Barsacq.
A l’époque, le patron du Paris football club, Pierre Ferracci, n’avait pas trop voix au chapitre. Son club végétait alors en Ligue 2 (il vient d’accéder à la Ligue 1, avec le soutien de la famille Arnault), et n’était donc pas en position de force. De ses bureaux du 13e arrondissement, siège du groupe Alpha, dont il est le fondateur, cet homme d’affaires, spécialiste du conseil en ressources humaines, ne mâche pas ses mots, lui qui fait partie des – très rares – dirigeants à avoir accepté de répondre au Monde.
Et de voir la réalité en face. « Le business plan de Mediapro ne tenait pas la route, sermonne-t-il. Pourquoi les présidents se sont-ils engouffrés là-dedans ? Parce qu’il y a un mélange des genres qui est une hérésie à la Ligue : l’exécutif est composé de présidents de club qui sont aussi les administrateurs… Cela crée forcément une sorte de clan. » Et la tendance ne s’est pas arrangée sous le mandat de Labrune. Bien au contraire.
Amazon contre Canal+
Jean-Marc Mickeler, spécialiste reconnu de l’audit, partage ce point de vue. D’après lui, dans l’écosystème du foot professionnel, « il n’y a pas de contre-pouvoir, pas de voix forte assez indépendante ». « Je ne connais personne qui ait gagné de l’argent dans le football, assure-t-il encore. Mais le milieu est grisant. Et confère de l’influence. Vous rachetez un club ? Toutes les portes vous sont ouvertes, à l’Elysée, à Matignon… »
Autant dire que pareil levier de pouvoir n’incite surtout pas à la raison. Car, au moment où Labrune prend en main la LFP, la fièvre du milliard est encore présente dans les esprits des présidents, pourtant gestionnaires à succès de leur business en dehors du football. A croire que le ballon rond rend fou.
Le 11 juin 2021, c’est un football français déjà passablement endetté qui, à l’instigation de ce même Labrune, désigne comme nouveau diffuseur la plateforme Amazon. Dans les rangs de Canal+, où la séquence Mediapro a été perçue comme une première trahison, la colère est immense : les responsables de la chaîne lorgnaient la Ligue 1, en vertu de leur savoir-faire, bien sûr, et au nom, surtout, des relations historiques de cette chaîne avec le foot français. Canal+ se retrouve à diffuser seulement 20 % des matchs, moyennant 332 millions d’euros, tandis qu’Amazon récupère huit matchs par journée, pour 250 millions d’euros !
Canal+ crie de nouveau à la trahison, voire à l’escroquerie, annonce qu’elle ne diffusera plus la Ligue 1, et saisit les tribunaux. L’affaire est toujours en cours, dans l’attente d’un nouvel arrêt de la cour d’appel, la chaîne cryptée ayant gagné en cassation en 2024.
Elle évalue son préjudice à 670 millions d’euros. Un autre boulet attaché aux chevilles de la Ligue 1… « Vincent Labrune avait l’occasion de rattraper le coup avec Canal+, se souvient Pierre Ferracci. Mais il a dit à tout le monde : “On est solides juridiquement dans le conflit” [avec Canal+]. Sauf que, moralement et politiquement, on est à côté de la plaque. Il fallait faire un geste. »
Labrune affirme, quant à lui, que la rupture avec la chaîne cryptée est à mettre au débit de ses prédécesseurs. « Les anciens dirigeants de la Ligue ont scellé le divorce avec le diffuseur historique, qui [était] en situation de quasi-monopole. On en paye encore les pots cassés aujourd’hui », accuse-t-il dans L’Equipe, en février.
Une chose est sûre : après le choix d’Amazon, Vincent Bolloré – propriétaire de Vivendi, qui détient Canal+ –, pas vraiment un tendre, se braque totalement. En retour, il investit massivement dans la Ligue des champions, mais aussi dans le rugby. Pour beaucoup d’acteurs du foot professionnel, se mettre à dos Canal+, alors qu’il avait l’occasion de remettre dans le jeu la chaîne cryptée, a sans doute été la plus grande erreur de Labrune. Bien sûr, le président de la LFP ne prend pas seul toutes les décisions. Les responsabilités s’additionnent. Ou se diluent, c’est selon.
Une prime de 3 millions d’euros
« J’ai été confronté à un principe de réalité », plaide Labrune devant les sénateurs, en pointant un peu facilement la « panique des présidents de club ». Car son rôle apparaît central. « Vincent a une grosse responsabilité là-dedans, confirme Pierre Ferracci. C’est un loup solitaire, mais qui a l’habileté d’entraîner quelques administrateurs avec lui. » Au premier rang desquels Jean-Pierre Caillot, président du Stade de Reims, et Laurent Nicollin, son homologue de Montpellier. Avec, en surplomb, l’incontournable Nasser Al-Khelaïfi, dont les liens étroits qu’il entretient avec Labrune, au point d’apparaître comme le vrai boss du foot français, suscitent nombre d’interrogations.
Au centre, Vincent Labrune, président de la LFP, et Nasser Al-Khelaïfi, président du PSG, après la finale du Trophée des Champions, à Doha, le 5 janvier 2025. ANTHONY BIBARD/FEP/ICON SPORT
Exit Canal+ quoi qu’il en soit. Et le foot « pro » creuse un peu plus sa tombe. Pour éviter l’implosion, Labrune promeut une solution : l’appel à un fonds d’investissement, susceptible de prendre des parts dans une société commerciale et de recapitaliser ainsi le football français. Le 20 octobre 2021, le collège de Ligue 1, qui réunit régulièrement par visioconférence les présidents de club, découvre une présentation à sens unique de ce projet. Labrune a ses raisons, certaines peu avouables, comme le découvriront plus tard les sénateurs Savin et Lafon. Le 2 mars 2022, une loi est votée fort opportunément pour permettre la création d’une société commerciale, et, une semaine plus tard, la LFP reçoit trois offres de fonds internationaux.
Le « conflit d’intérêts » de Nasser Al-Khelaïfi au cœur du rapport de la mission sénatoriale sur la financiarisation du football
Dès lors, tout va s’accélérer. Le 25 mars 2022, lors d’un conseil d’administration de la Ligue, Labrune réclame un « élément fondamental, l’unanimité » dans le choix du fonds luxembourgeois CVC Capital Partners, qui paraît accorder les meilleures conditions au foot français. Cinq jours plus tard, le pacte d’associés est adressé aux clubs, et, le 1er avril 2022, l’assemblée générale de la LFP, toujours en visio, désigne CVC et sa filiale Renaissance Investissement, une société européenne qui réunit 500 investisseurs pour l’occasion et s’endette à hauteur de 50 % pour apporter 1,5 milliard d’euros aux clubs français. CVC obtient en échange 13 % des dividendes, à vie, versés par la société commerciale créée pour l’occasion, LFP Media. Présidée, comme la Ligue, par… Vincent Labrune.
Les sénateurs Lafon et Savin ont enquêté sur ce deal. Il apparaît que nombre de présidents n’avaient même pas lu les documents – « Nous avons peut-être été naïfs », leur a concédé celui de Montpellier, Laurent Nicollin – ou manquaient d’éléments. « Les clubs ne disposaient pas de l’information utile pour se prononcer sur l’accord CVC », révèle aux sénateurs le patron du Havre, Jean-Michel Roussier. Une pierre de plus dans le jardin de Labrune.
La répartition des fonds a de quoi faire tousser : 1,5 million d’euros pour Le Havre, justement, quand le PSG perçoit 200 millions d’euros. Et puis, il y a aussi ces « détails » signifiants : le 30 septembre 2022, un conseil d’administration, toujours en visioconférence, entérine la distribution de l’argent aux intermédiaires ayant mené le deal, soit 24 millions d’euros pour les banques Centerview et Lazard. Mais également l’attribution d’une prime de 3 millions d’euros à Vincent Labrune, qui n’avait pourtant fait que son travail.
Personne n’y trouve rien à redire, hormis une association, Anti-Corruption, qui, en déposant une plainte devant le PNF, a déclenché, en juillet 2024, l’ouverture d’une enquête préliminaire pour « corruption », « détournement de fonds publics » et « prise illégale d’intérêts ». Des perquisitions ont été menées en novembre 2024 au siège de la LFP, puis au domicile de son président.
Aujourd’hui encore, les gendarmes de la section de recherches de Paris examinent toujours les nombreux documents saisis. Les investigations ont pris du retard, mais Le Monde peut confirmer que Vincent Labrune est bien directement visé par cette enquête. Selon le rapport des sénateurs Lafon et Savin, il y aurait matière à s’interroger sur, au minimum, un conflit d’intérêts patent. « Si l’intérêt de l’opération avec CVC reste à démontrer pour les clubs, son intérêt pour les dirigeants de la LFP est en revanche évident, immédiat et sans contrepartie future », tancent-ils.
« Brillant, séducteur et vendeur »
Toujours est-il qu’en 2022, le foot français renoue avec les joies du milliard, à travers CVC (1,1 milliard d’euros plus précisément, compte tenu des ponctions diverses). « Vincent Labrune passe alors pour l’homme miracle, relate Pierre Ferracci. La clause des 13 % à vie, il n’y a pas eu de débat dessus, les clubs étaient obsédés par leur survie financière. »
C’est là une constante dans cette histoire : les présidents cigales vont privilégier le court terme. Contrairement à l’Espagne, par exemple, pays où CVC est aussi présent, ils vont utiliser massivement cette manne inespérée pour augmenter leurs joueurs et/ou en recruter d’autres. En Espagne, 15 % seulement des fonds CVC financent les transferts et les augmentations salariales (l’essentiel étant investi dans l’amélioration des infrastructures ou le remboursement des dettes). Cette proportion monte à 56 % côté français. Une pure gabegie. La bulle financière ne cesse d’enfler. Dans le même temps, Amazon, qui a obtenu les droits télé sur la période 2021-2024, ne parvient pas à rentabiliser son investissement.
Au même moment, la FFF traverse une grave crise, laissant le champ totalement libre à Labrune. Mis en cause, entre autres, pour son comportement inapproprié avec les femmes, Noël Le Graët est contraint de démissionner, en juin 2023. Il est remplacé au pied levé par Philippe Diallo, vice-président délégué de la Fédération. Le salarié sympa aux larges lunettes que l’on salue à peine, dans les couloirs feutrés de la FFF, est le successeur parfait. Cet homme à l’élégance surannée et aux phrases pesées au trébuchet ne risque pas de faire de l’ombre à qui que ce soit, surtout pas au sémillant Labrune, l’homme du foot « pro ».
Dans ce contexte où tout semble permis, de nouvelles élections sont prévues à la LFP en septembre 2024 – le mandat du président de la Ligue est de quatre ans. Qui pour défier Labrune ? Personne n’ose s’y confronter, tant le système semble verrouillé. Seul Cyril Linette, l’ancien patron du journal L’Equipe, puis du PMU, se lance dans la course, mais bien tardivement. Dans les coursives, il manœuvre, parvient à exister, promeut une réforme globale du fonctionnement du foot national. Il se sait soutenu par Canal+, un peu par le gouvernement, et les présidents de club l’écoutent poliment.
Quelques-uns votent même pour lui, comme Pierre Ferracci. En vain. « Labrune a su mener sa barque, juge le patron du Paris FC. Même s’il était minoritaire au niveau des 36 clubs, il est élu, car les statuts sont ainsi faits… » « Labrune gère de façon extrêmement solitaire, mais il peut être assez brillant, séducteur et vendeur », ajoute-t-il.
Labrune est réélu le 10 septembre 2024, avec 14 voix sur les 17 du conseil d’administration, puis 85 % des suffrages en assemblée générale. « Linette n’était pas du tout l’homme de la situation. Le bilan de Vincent Labrune était très bon », tranche Loïc Féry, président du FC Lorient et soutien du président de la Ligue.
Lire aussi le décryptage (2024)
Largement réélu à la tête de la LFP, Vincent Labrune, un président déjà au pied du mur
Il annonce, dans la foulée, une baisse de 30 % de sa rémunération qui avait été portée à 1,2 millions d’euros en septembre 2022, soit près du triple de ce qu’il percevait lors de sa première élection. Ses frais de représentation s’envolent – ils atteignaient allègrement les 200 000 euros en 2023. « Il y a une opacité structurelle à la Ligue, il y a eu des choses qui n’étaient pas opportunes, c’est le moins que l’on puisse dire, déplore Pierre Ferracci. Mais il a fait valider son bonus par le conseil d’administration. »
Son homologue de Lorient, Loïc Féry, confirme : « Ces décisions, elles ne se prennent pas sur un coin de table, il y a eu une unanimité de tous les membres en conseil d’administration. Labrune est celui qui a rendu ce deal avec CVC possible. » Le gendarme financier n’a pas eu son mot à dire. Pas son boulot. « La Ligue a une gouvernance, un organe de tutelle, note Jean-Marc Mickeler. Labrune ne s’est pas levé un matin en disant “je veux tant”. Ç’a été discuté, puis avalisé. Mais personne n’est venu lui dire stop. »
Pire, alors que ses finances virent à l’écarlate, la LFP emménage en 2024 dans de nouveaux locaux pharaoniques, par un crédit-bail de 123 millions d’euros, auxquels il faut ajouter 8 millions d’euros de travaux : 3 560 mètres carrés face au très chic parc Monceau. Le tout a été décidé par Vincent Labrune, en 2022.
Un homme que personne n’a vu venir va mettre un coup d’arrêt à cette fuite en avant, en instillant d’abord, dans l’esprit de chacun, le poison du doute : après avoir prétendu l’extirper du désastre, Vincent Labrune ne serait-il pas devenu le fossoyeur du football français ? Dans ce contexte, il y a un rôle à prendre, celui de « sauveur ». Cela requiert du doigté, de la psychologie, un sens du timing et, surtout, une savante évaluation des rapports de force. Les qualités d’un fin politique. Philippe Diallo peut entrer en scène.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Lemonde.fr
Philippe Diallo, ce nouveau patron du football français que personne n’avait vu venir. La crise du football français » (2/2).
« Le Monde » conclut son enquête en deux volets sur la tempête qui frappe le sport tricolore, miné par les difficultés financières et les luttes de pouvoir, notamment entre le patron de la Ligue de football professionnel, Vincent Labrune, et celui de la Fédération française, Philippe Diallo, deux hommes aux destins croisés.
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S’il existait un Ballon d’or du meilleur stratège, il pourrait postuler. Qui aurait imaginé, il y a encore quelques mois, Philippe Diallo dans le costume du sauveur providentiel ? Qui aurait pu prédire que cet échalas de 61 ans, président mal réélu en décembre 2024 à la tête de la Fédération française de football (FFF), avec 55 % des voix au premier tour, s’imposerait comme l’homme fort du football français ?
Tout a été si vite… Le 3 mars, Diallo lance ses états généraux du football. Le 12 mai, il présente ses réformes. Le 10 juin, elles sont reprises dans une proposition de loi votée dans la foulée au Sénat. Le boss de la FFF a désormais, notamment, le pouvoir de dissoudre toute ligue professionnelle et de modifier la répartition des revenus. En trois mois, celui qui était surnommé, dans les instances du foot pro, « Philippe Falot », a pris le pouvoir et expédié ad patres la Ligue de football professionnel – l’organisme de tutelle des 36 clubs pros du pays – et son si décrié président, Vincent Labrune. Dans son bureau avec vue sur la Tour Eiffel, cette victoire par K.-O. permet à Diallo de parader devant les trophées rapportés de ses innombrables déplacements. « Président de la fédé, c’est comme président de la République, vous voyagez sans arrêt et on vous offre des cadeaux », lance-t-il au Monde, début juin. Assez content de lui.
La FFF revient de loin, elle qui avait depuis toujours laissé les clubs professionnels s’organiser au sein de leur Ligue, en quasi-autonomie ; la répartition du pouvoir était tacite, à la FFF de gérer l’équipe de France et quelque 2,5 millions de licenciés amateurs ; et pour le reste, aux clubs pros de s’organiser et d’engranger les profits. Un édifice qui a volé en éclats, avec les pertes abyssales du football professionnel, entraînant la montée en puissance de Diallo.
Longtemps sous-estimé
Ces dernières semaines, l’ancien second rôle multiplie les sorties médiatiques ; il semble prendre goût à la lumière, quitte à se créer de nouveaux ennemis, le vrai signe de sa nouvelle importance. Il n’en reste pas moins prudent : Diallo a le verbe policé, en pur animal politique qu’il est, costume-cravate bien ajusté et chaussures noires lustrées, chaleureux juste ce qu’il faut. Lui, personne ne l’a vu venir, c’est une constante dans son parcours. Même lorsqu’il a succédé par accident, en juin 2023, alors qu’il était vice-président délégué de la Fédération, à Noël Le Graët. Ereinté par moult scandales, le dirigeant breton avait été contraint, après onze ans de règne, à la démission. « J’ai été loyal vis-à-vis de Le Graët tant qu’il était président », insiste Diallo. L’ex-patron de la FFF pense exactement le contraire.
Le Graët fait partie, et ils sont nombreux, de ceux qui l’ont sous-estimé. Jusqu’à tout récemment, le petit monde du foot français voyait en lui un ex-directeur du syndicat des clubs pros, adepte du consensus mou, un président par intérim arrivé un peu par hasard à la tête de la FFF, un homme voué, au mieux, à passer les plats aux tout-puissants présidents, et à leur boss, le remuant Vincent Labrune, l’homme qui murmure à l’oreille de tous les décideurs, dont Emmanuel Macron – en tout cas, c’est ce qu’il aime à faire accroire.
Noël Le Graët après sa démission de la FFF : « C’est une cabale politico-médiatique bien organisée »
Mais Diallo, dans l’ombre, attendait son heure ; il a su sortir du bois au bon moment. Son père boxeur lui a transmis le goût de la castagne et l’art de l’esquive. Dans ses jeunes années, au FC Nantes, il était numéro 10, le poste des stratèges. Et puis, il est passé par Sciences Po, où l’on apprend la politique et ses chausse-trappes. Diallo n’avait-il pas demandé à son représentant, le président du RC Strasbourg Marc Keller, de voter pour Vincent Labrune, lors de la réélection agitée de ce dernier à la LFP, en 2024, tout en favorisant en sous-main la candidature de Cyril Linette, éphémère rival de ce même Labrune ?
Le billard à trois bandes, Philippe Diallo maîtrise. Sa force ? Ne compter sur personne. « Beaucoup ne s’attendaient pas à ce que j’arrive à la tête de la fédération, reconnaît-il. Peut-être même que certains souhaitaient que j’en parte vite, c’est possible, c’est même certain. Je ne suis pas sûr que tous les clubs pros m’aient soutenu, parce que si cela avait été le cas, je n’aurais pas fait 55 %, mais 70 %. »
Diallo le taiseux a finalement terrassé Labrune le beau parleur, contraint de s’accrocher aux branches et de feindre d’être l’organisateur de son propre départ, devenu aujourd’hui inéluctable. En ce printemps où les clubs pros tentent d’éviter la faillite, faute de rentrées financières liées aux droits télé des matchs, le patron de la « 3F » est à l’origine de la grande réforme supposée mettre enfin de l’ordre dans ce capharnaüm, pour sauver un foot pro plombé par 1,3 milliard d’euros de pertes d’exploitation, sans diffuseur télé, des dettes à gogo, une image catastrophique.
Refus de « personnaliser »
Cette réforme, c’est évidemment lui, Philippe Diallo, qui l’a présentée, le 12 mai, assis aux côtés de la ministre des sports, Marie Barsacq. Des mois qu’il prépare son grand œuvre, il a travaillé en toute discrétion avec les sénateurs Laurent Lafon (UDI, Val-de-Marne) et Michel Savin (LR, Isère), mais aussi avec le fonds d’investissement CVC Capital Partners. Cette société luxembourgeoise a investi, en 2022, 1,5 milliard d’euros dans le foot professionnel français, dans l’espoir de revendre au prix fort, quelques années plus tard, sa participation, mais sans mesurer alors dans quel bourbier elle mettait les pieds.
« On n’est pas dans un trou d’air, on est dans un changement structurel », explique Diallo. « Il y a certainement eu des erreurs de faites, sinon on n’en serait pas là », ajoute-t-il, précisant toutefois : « Je ne veux pas personnaliser. » Il ne souhaite pas « personnaliser », certes, mais chacun aura saisi le message, adressé à Vincent Labrune. Le triomphe de Diallo, c’est la revanche d’un tacticien hors pair, doublé, découvre-t-on, d’un opportuniste sans trop d’états d’âme.
Philippe Diallo, président de la FFF, propose une réforme majeure du football professionnel français
Retour fin 2024. Quelques semaines après son homologue de la LFP, Diallo se fait lui aussi réélire, non sans difficultés, malgré un bilan très correct. « Certains ne s’en sont peut-être pas aperçus, mais j’ai fait beaucoup de réformes », s’enorgueillit-il.
Une fois réélu, Diallo enclenche son offensive, à bas bruit. Les politiques sortent du bois, il s’engouffre dans leur sillage. Ils font feu sur la LFP et Vincent Labrune, son président un peu trop voyant, en enquêtant sur les pratiques du foot pro. « Quand on a ouvert la boîte, se souvient le sénateur Laurent Lafon, c’était vraiment la boîte de Pandore. Le bateau allait à la dérive et tout le monde laissait faire. » Lui et son collègue Michel Savin, chargés d’un rapport d’information, auditionnent à tour de bras, souvent à huis clos. « Il y avait une chape de plomb, constate-t-il, une pression très forte mise par Labrune. C’est un système où ils se tiennent tous, avec des espèces de menaces, quasiment du chantage. »
Orchestré par Labrune, le deal avec CVC – qui, en apportant 1,5 milliard d’euros aux clubs, a obtenu en échange 13 % à vie des dividendes du foot pro – ne gêne pas tant que cela les sénateurs, tant il y avait un besoin urgent d’argent frais. « Il n’y a pas une situation où le foot français aurait pu éviter la mort clinique sans ce 1,5 milliard », confirme en écho Jean-Marc Mickeler, le patron de la direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), le gendarme financier du football professionnel.
En revanche, les sénateurs estiment qu’au moins la moitié du pactole aurait dû être sanctuarisée, pour permettre, notamment, le lancement d’une chaîne de TV sui generis, vu l’absence de diffuseurs. Ils pestent aussi contre les présidents de club qui se sont empressés d’acheter des joueurs avec l’argent de CVC, plutôt qu’investir dans des réformes de structure. « On a découvert des dysfonctionnements importants, constate Michel Savin. C’est un milieu fermé qui était dirigé par un tout petit groupe de personnes. Avec un phénomène d’emprise sur tous les autres, qui suivent. »
Les instances paraissent collectives, mais les décisions les plus importantes sont prises, in fine, par le tandem Vincent Labrune-Nasser Al-Khelaïfi, le tout-puissant président du richissime Paris Saint-Germain. Ce duo dirige, de fait, le football professionnel français – les deux hommes ont refusé de répondre au Monde. « On est vraiment au royaume des conflits d’intérêts, là, avec la double casquette du président du PSG, également patron de BeIN Sports. Ce n’est pas acceptable », blâme Michel Savin. « Avec le deal CVC, ils ont vendu une partie des bijoux de famille, accuse de son côté Laurent Lafon. Ce qui est absurde, c’est que ce milliard et demi a été dilapidé, et certains se sont servis. » Au premier rang desquels Vincent Labrune, estime le sénateur.
En plongeant dans les coulisses du foot business, les deux parlementaires ont été choqués de découvrir que, outre sa copieuse augmentation en 2022 (il avait doublé son salaire d’un mandat à l’autre et obtenu une prime de 3 millions d’euros liée au deal CVC), Labrune s’est attribué une seconde rémunération, via LFP Media, la filiale commerciale de la Ligue, lui permettant de toucher au total 1,2 million d’euros par an. Et ce, sans que CVC – actionnaire de la société commerciale LFP Media – ait jamais été mis au courant ! CVC a réagi assez abruptement à cette découverte, au point d’exiger – et d’obtenir – que Labrune rembourse les compléments de salaires ainsi perçus.
S’il concède que « tout ça était légal », le sénateur Lafon s’indigne : « Vincent Labrune a profité de la présidence de la Ligue pour s’enrichir personnellement. C’est hallucinant. Il y a un double problème Labrune, c’est le fait que cet homme soit attiré par l’argent ; et puis les choix qui ont été faits pendant sa présidence ont été catastrophiques pour le football français. »
CVC devrait rester un peu plus longtemps que prévu dans le foot français tant, à court et même à moyen terme, son retour sur investissement paraît délicat, voire compromis. « Ils se sont fait avoir, tranche Pierre Ferracci, le patron du Paris FC, club tout juste promu en Ligue 1. On leur a vendu un business plan qui ne tenait pas la route, avec le milliard d’euros… »
Fin de collaboration avec DAZN
Mais les responsables de CVC n’étaient pas au bout de leurs surprises. Le 14 juillet 2024, le collège de Ligue 1 se réunit : il y a urgence, il faut trouver un nouveau diffuseur après un premier appel d’offres infructueux. Depuis de longs mois, Vincent Labrune avançait sa certitude, fort de son réseau qatari : BeIN Sports, la chaîne dirigée par son ami Al-Khelaïfi, apporterait à coup sûr 700 millions d’euros pour acheter les droits de diffusion de la Ligue 1. Or, voilà que ce 14 juillet 2024, Labrune met sur la table une autre offre, beaucoup moins reluisante : la plateforme DAZN s’engagerait pour 400 millions d’euros annuels, une offre complétée in extremis par BeIN Sports, mais pour quelques dizaines de millions d’euros seulement. Les présidents tombent de haut. Eux à qui Labrune avait fait miroiter – au moins – 700 millions d’euros…
Benjamin Morel, le directeur général de LFP Média, tente bien de démontrer – en prenant soin de souligner, preuve de la crainte que le Qatari suscite, qu’il parle « sous le contrôle évidemment de Nasser » – que les deux offres (DAZN/BeIN) ne sont pas compatibles. Las, il se fait sèchement recadrer par Al-Khelaïfi, sans être défendu une seule seconde par son président, Vincent Labrune. Le boss du PSG promet même à l’insolent Morel qu’il sera viré, pour avoir contesté l’offre de BeIN Sports et osé vanter une troisième solution – la création d’une chaîne couplée au diffuseur Max.
Les présidents s’invectivent, selon un compte rendu dont L’Equipe puis RMC ont publié, en février, de larges extraits. Les dialogues sont dignes des Tontons flingueurs (1963), moins le talent de Michel Audiard. Ils mettent au jour les rapports de force, l’ascendant du duo Labrune-Khelaïfi, et ce don assez surprenant qu’ont ces businessmen avisés pour se tromper dans leurs choix.
Déjà, il n’est pas de bon ton de contester le tandem DAZN-BeIN Sports, imposé par Labrune. Jean-Pierre Caillot, le patron du collège de Ligue 1, entend mettre fin aux « branlettes », avant de tresser des lauriers à « notre ami président du PSG » et à Labrune. Les opposants, qui opteraient bien pour le lancement d’une chaîne ex nihilo contrôlée par les clubs, sont vilipendés ; John Textor, le propriétaire américain de l’Olympique lyonnais, est ainsi traité de « cow-boy » par le patron du PSG. Joseph Oughourlian (RC Lens) dénonce, quant à lui, le conflit d’intérêts flagrant de Nasser Al-Khelaïfi, et sa double casquette PSG-BeIN, ce dont le Qatari semble se moquer éperdument.
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Plutôt visionnaire, Oughourlian assure aussi que la solution DAZN ne tient « pas la route deux secondes ». Finalement, comme toujours, les présidents votent massivement pour la solution prônée par Labrune, au grand dam de l’actionnaire CVC, qui manifeste sa colère le lendemain, lors d’une réunion du comité de supervision de LFP Media : ses deux représentants regrettent « des manquements graves à la gouvernance ». Et CVC de rappeler, à en croire le compte rendu du comité : « Au cours des six derniers mois, Vincent Labrune nous a toujours répété qu’il avait un deal avec BeIN Sports qui ferait une offre de 700 millions d’euros (…) Il a délibérément empêché toute initiative des équipes pour développer des options alternatives. » CVC fustige encore « une faute de gestion » et des « conflits d’intérêts évidents ». « L’image publique du foot professionnel est terrible », résume Pierre Ferracci.
Le 30 juillet 2024, DAZN emporte la mise. Du côté de la FFF (qui, alors, ne pèse guère), Diallo pousse aussi pour cette solution – « Mieux valait aller vers DAZN, qui proposait 400 millions d’euros… », assure-t-il aujourd’hui – avec une clause de revoyure au bout de deux ans. On a connu des mariages plus optimistes. « Il n’y avait pas d’autre choix possible, estime Loïc Féry, le président du FC Lorient, soutien de Labrune. C’était DAZN ou le vide. Il nous fallait des minimums garantis, et quand on ne prend pas de décisions, c’est ensuite facile de les critiquer. » Et ce qui devait arriver arriva.
Un an plus tard, le 2 mai, la Ligue et DAZN signent un protocole d’accord pour mettre fin à leur collaboration. Avec un peu plus de 600 000 abonnés seulement, l’affaire n’est pas rentable. DAZN devrait débourser 85 millions d’euros pour sortir définitivement de ce bourbier. Cette fois, CVC a tapé du poing sur la table et professionnalisé le processus en propulsant un homme en qui le fonds a confiance. En effet, comme le lui avait « promis » Al-Khelaïfi, le directeur général de LFP Media Benjamin Morel a été renvoyé sans ménagement par Labrune. A sa place, CVC a imposé, en avril, Nicolas de Tavernost, l’ex-patron du groupe M6. A charge pour lui de ramener le calme dans le football français, et de trouver la martingale : comment rentabiliser un produit si démonétisé, géré, qui plus est, par des présidents de club incontrôlables ?
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Ceux-ci ont désormais des sueurs froides. La DNCG, qui les auditionne ces dernières semaines pour valider leur budget, leur interdit d’intégrer dans leurs comptes d’éventuelles recettes liées aux droits télé. Quant aux transferts de joueurs, ils pâtissent des nouvelles réglementations européennes, sans compter que les dispendieux clubs anglais se sont mis, eux aussi, à « sortir » d’excellents joueurs de leurs centres de formation, et donc, à acheter moins sur le marché français. « Nous étions pourtant un football qui réussissait chaque année à vendre entre 600 millions et 900 millions d’euros de joueurs », regrette Philippe Diallo.
L’équation insoluble
Comment, dans ces conditions, équilibrer un bilan ? La réforme en cours est supposée permettre de pallier ces maux, avec la FFF, et surtout son président, en vigie. Car Diallo s’imagine désormais en patron de tout le foot français : « Je dois avoir mon mot à dire, un droit de veto sur toute décision concernant le football professionnel, par exemple le format des compétitions. Je suis délégataire d’une mission de service public, avec une filiale, le foot professionnel, qui doit me donner de la lumière et des revenus. »
Diallo compte sur l’expérience et le détachement affecté par Tavernost. L’ancienne figure du PAF en a vu d’autres. Bonhomme, à 74 ans, l’ex-boss du groupe M6 arpente le Tout-Paris, du Royal Monceau jusqu’aux allées de Roland-Garros, pour obtenir un deal à la hauteur de ses ambitions. Il entretient de bonnes relations avec tous les diffuseurs potentiels, mais ne se berce pas d’illusions. « De toute façon, aucun diffuseur n’a jamais gagné d’argent avec le seul football comme produit d’appel », avance-t-il. En juillet, tout devrait être calé. Puisqu’il s’agit de sauver les meubles, il espère apporter au football français au minimum 300 millions d’euros, dès la première année, en prenant en compte les abonnements à la nouvelle chaîne, le dédit éventuel de DAZN et les versements de BeIN Sports.
Pour avoir été président des Girondins de Bordeaux durant de longues années (1999-2018), Nicolas de Tavernost connaît bien l’équation insoluble propre au foot français. « Souvent, les présidents de club dépensent l’argent qu’ils n’ont pas encore, résume-t-il. Le foot, c’est un capitalisme mal assumé. »
Nicolas de Tavernost a longtemps nagé dans le même marigot, alors il ne faut pas compter sur lui pour mettre en cause Vincent Labrune, cible un peu trop commode à ses yeux. « Les présidents ont considéré qu’il faisait son boulot, et ils lui ont fait confiance, rappelle-t-il. Il a certainement commis des erreurs, comme tout le monde, mais le chapeau me semble un peu large. CVC a été une chance pour le football français, même si l’on peut regretter de ne pas avoir provisionné des réserves et d’avoir distribué tout l’argent. »
Tavernost a donc pris son bâton de pèlerin, rencontré Diallo, Labrune et tous les intervenants de ce dossier complexe, dont Canal+ avec qui toute discussion était impossible depuis 2021 et le choix d’Amazon comme diffuseur, à son détriment. « Le dialogue est rétabli avec Canal », pense Diallo. Tavernost ne cache pas son admiration pour le président de la FFF : « Il a été extrêmement intelligent. C’est un homme de bon sens, très consensuel. » Mais le nouveau directeur général de LFP Media ne se projette pas. « Si ça ne marche pas, je partirai. L’âge que j’ai, c’est un avantage dans ces circonstances », sourit-il, pas dupe de grand-chose.
Tavernost a la confiance du microcosme mais aussi celle des autorités politiques, alors que le football français se retrouve en quelque sorte sous tutelle. « Il a peut-être moins de dépendance que Labrune par rapport à l’argent du football », veut croire le sénateur Lafon, atterré. « Les dirigeants ne sont plus face au mur, mais dans le mur », tranche ce dernier. Qui observe, en expert, le jeu de Diallo : « Il n’a rien dit pendant des mois, au moment où le football professionnel était au fond du trou. Puis il a joué son rôle de responsable. Politiquement, c’est assez habile ! »
Pour autant, le secteur du football professionnel est loin d’être guéri. Il est même « très malade », selon le patron de la DNCG, Jean-Marc Mickeler. « On va probablement dégager cette année une perte supérieure à celle de 2020, saison marquée par l’arrêt du championnat avec le Covid », avance-t-il. Selon lui, il faut « revoir la totalité de l’infrastructure de coût des clubs. Vous connaissez une seule activité où, pour être compétitif, vous devez vendre vos meilleurs actifs ? Ça n’existe pas ».
Marie Barsacq suit cela de près. Elle se sait sous surveillance étroite du président Macron, avec lequel elle a discuté de l’avenir du foot pro, le 24 mai, à l’occasion de la finale de la Coupe de France. « Il suit ça de près », confirme la ministre des sports. Elle forme un duo assez complémentaire avec Philippe Diallo. « J’ai une vision du football, une feuille de route, et je déroule », assure ce dernier, qui martèle son mantra : « Je veux réenchanter le football professionnel. Avec une nouvelle gouvernance, et des gens à sa tête qui ne sont pas élus mais nommés pour leurs qualités. » Labrune, une nouvelle fois, appréciera.
« Il sait négocier, c’est son cœur de métier, note Marie Barsacq à propos du patron de la FFF. Il a joué ses cartes assez habilement, c’est un fin stratège et un homme de dossiers qui connaît très bien le football. » La ministre se veut intransigeante s’agissant de l’image – déplorable – renvoyée par les dirigeants du foot pro. « Je les alerte énormément sur ce thème », certifie-t-elle. L’avenir de Vincent Labrune ? Elle passe son tour : « Je ne ferai le procès de personne. Il a été élu largement, donc on fait avec. » Elle se borne à cet euphémisme : « Il y a des sujets sur lesquels il est très perfectible. »
Poussé vers la sortie – « Il faut tourner la page Vincent Labrune », appuie Pierre Ferracci –, l’actuel président de la LFP ne s’accrochera pas, mais les sénateurs Lafon et Savin seront très attentifs aux conditions financières de son exfiltration. Diallo a déjà préparé son discours, au cas où il serait convié à son pot de départ : « Il y a beaucoup d’aspects positifs, avec un club champion d’Europe, l’opération de sauvetage avec CVC. Bon, ensuite, il y a l’échec des droits audiovisuels qui remet beaucoup de choses en cause. » S’agissant des casseroles financières de Labrune, de l’enquête judiciaire qui le vise à ce propos, il ne dira pas un mot de trop, juste un « Je vois bien ce que vous voulez dire ».
« Le départ de Labrune est logique et salutaire », insiste le sénateur Savin, qui n’a pas digéré d’entendre l’actuel président de la LFP annoncer qu’il diminuerait son salaire de 30 %. « On se fout de nous ? Tout est permis ? Diminuer de 30 % un salaire qu’il a triplé ? », s’emporte le parlementaire. Chacun l’admet, en tout cas : désormais, c’est Diallo qui tire les ficelles. « Il apparaît comme le sauveur du foot français. Le plus malin des deux n’était pas celui que l’on croyait », conclut, amusé, Ferracci.
Marie Barsacq reste optimiste, elle se souvient de sa dernière rencontre, à Clairefontaine (Yvelines), avec le capitaine de l’équipe de France, Kylian Mbappé. Les propos de l’attaquant, qui a quitté le PSG pour le Real Madrid il y a un an, l’avaient rassérénée : « “L’ambiance dans nos stades est géniale”, m’a dit Mbappé. » Et la ministre de rapporter le discours du capitaine des Bleus : « Quand je suis au Real Madrid, c’est très bas, quoi, il n’y a pas beaucoup d’ambiance. Et la qualité des stades en Espagne, elle est complètement dégradée par rapport à la qualité de nos stades en Ligue 1. » De quoi agacer les fans espagnols. Pas sûr pour autant que la star des Bleus revienne de sitôt fouler les pelouses d’une Ligue 1 durablement dévaluée.
Gérard Davet et Fabrice Lhomme
Lemonde.fr
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