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Dès 2022, un courrier de la DNCG annonçait les risques d'une catastrophe industrielle pour le projet de John Textor à l'OL
Dès la validation du dossier de reprise de l'OL par la DNCG, en décembre 2022, les questions posées par les instances annonçaient le marasme à venir.
C'est un courrier en date du 16 décembre 2022, signé par Jean-Marc Mickeler, président de la Direction Nationale de Contrôle de Gestion, adressé à John Textor, tout frais repreneur de l'OL, mais aussi à Jean-Michel Aulas, le vendeur, à Thierry Sauvage alors directeur général du club, ou à Harry Moyal, directeur général adjoint d'Eagle. Un document qui annonce presque, avec deux ans et demi d'avance, le scénario qui a failli se transformer en catastrophe industrielle ces derniers jours.
Il décrit en tout cas précisément la mécanique financière qui, jusqu'à la décision de la commission d'appel de la DNCG fédérale de maintenir le club en Ligue 1, a envoyé l'OL vers la Ligue 2, voire pire. Et affaiblit le discours de ceux qui affirment qu'ils ne savaient pas. Depuis le début, toutes les personnes impliquées au plus près du dossier savaient : pour éventuellement fonctionner, le plan très optimiste porté par John Textor devait bénéficier de 100 % de circonstances favorables.
Dans ce courrier, il est bien indiqué qu'Eagle Football contracte, pour acquérir l'OL, deux tranches d'emprunt auprès du fonds d'investissement ARES. Une première de 278,1 millions d'euros à un taux de 2 à 8 %, une deuxième de 151,7 millions d'euros à un taux de 15 % (plus 1 % tous les six mois, jusqu'à 20 % maximum) que John Textor pensait solder rapidement via le fameux « SPAC » prévu avec le fonds d'investissement ICONIC. Un élément crucial.
Près de 400 M€ de dettes dès le 30 juin 2022
Au coeur de ses conclusions, la première recommandation claque : « Que soit renforcée à moyen terme la structure capitalistique et financière de la Holding du club ; ce que prévoit notamment le repreneur qui envisage qu'Eagle fusionne avec le SPAC d'ICONIC Sports d'ici avril 2023 afin de favoriser l'entrée de nouveaux investisseurs dans Eagle Group à hauteur de 150 millions d'euros, permettant de rembourser immédiatement la tranche B de la dette envers ARES. »
Or cette opération ne s'est jamais réalisée, entre autres en raison des liens d'ICONIC avec le milliardaire russe Mikhaïl Fridman, sanctionné par les autorités du Royaume-Uni. Depuis, le litige entre ICONIC, qui souhaite récupérer son investissement initial de 75 millions de dollars, et Eagle, n'a jamais été réglé. Mais surtout, ce raté initial a plombé la suite : la fameuse tranche B due à ARES vient seulement d'être remboursée via la vente des parts de Crystal Palace (200 millions d'euros, dont 40 reversés sur les comptes de l'OL). Et, au vu des taux pratiqués, sans doute pas en intégralité.
D'emblée la dette financière, établie à 383,4 millions d'euros (dont 194 pour les financements des infrastructures) au 30 juin 2022, enfle. Le plan de départ prévoit qu'elle grimpe à 455,5 millions au 30 juin 2023 (dont 145 pour les infrastructures). Elle a, depuis, allègrement franchi la barre des 500 millions, malgré la vente d'OL féminin, de l'Arena et du bail de l'académie. Pourquoi ? Parce que les projections à cinq ans, selon une stratégie basée sur l'académie et le développement des jeunes, s'avèrent en décalage complet avec la réalité.
Elles prévoient 365 millions d'euros de revenus opérationnels en 2026-2027, contre 202 en 2022-2023 ; des ventes de joueurs qui rapporteraient entre 65 et 90 millions d'euros par an, des exercices excédentaires à partir de 2023-2024, des fonds propres qui grimperaient de 155 millions d'euros en cinq ans ; et une dette ramenée à 98 millions d'euros en 2026-2027.
Le modèle Textor aurait dû allumer des feux rouges et non des clignotants
À mi-chemin, c'est la trajectoire inverse qui a été empruntée, exactement comme semblait l'imaginer la DNCG : « La commission observe que le retour sur investissement présenté sur la durée du Business Plan lui apparaît optimiste, qu'il pourrait nécessiter des apports complémentaires, et ce dès la fin de la saison 2022-2023. » L'instance évalue « un besoin de financement supplémentaire estimé à environ 200 millions d'euros a minima sur la durée du plan (par exemple en cas de qualification en Ligue des champions uniquement une saison sur deux). »
La fragilité du modèle Textor était donc manifeste. Le projet de reprise de l'OL était adossé à une assise financière et des mécanismes capitalistiques (SPAC, fonds d'investissement) qui auraient dû allumer des feux rouges, et non des clignotants. Si la responsabilité de l'homme d'affaires américain est essentielle, le courrier du 16 décembre 2022 atteste que le football français, Jean-Michel Aulas inclus, a préféré guérir en 2025 que prévenir deux ans et demi plus tôt.