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Le Tour de France 2025 de Tadej Pogacar vu par son directeur de la performance : « Très proche de son niveau ultime »
Directeur de la performance chez UAE Emirates XRG depuis 2019, Jeroen Swart a vu évoluer Tadej Pogacar, et s'il estime que son niveau a réellement augmenté en 2023, il n'est pas loin de penser que le Slovène a atteint son maximum sur ce Tour de France 2025.
« On ne vous voit jamais sur le Tour ou les courses. Pour quelles raisons ?
Je viens la semaine avant la course, car mon job est terminé et qu'on en voit le résultat à travers les performances sur la route, s'il a été bien fait. Mais sur place, nous avons notre spécialiste du chrono, David Herrero, Gorka Prieto-Bellver pour la nutrition, et évidemment nous échangeons tous les jours avec les mécanos, le responsable du matériel Alberto Chiesa. Et je préfère ne pas être là car sur la course, tout le monde est nerveux, concentré, alors qu'à la maison, j'en profite plus devant ma télévision.
Et les résultats sont au rendez-vous...
Oui, nous sommes très heureux. Bien sûr, nous l'étions déjà l'an passé, la saison avait été phénoménale. Mais là, nous sommes contents de continuer au même niveau.
Vous attendiez-vous à ce que Tadej Pogacar soit justement à ce niveau de performance ?
En fait, il se situe à un niveau presque similaire. La plus grosse progression a eu lieu de 2023 à 2024, quand il a changé d'entraîneur en passant d'Inigo San Millán, qui était mon ancien collègue, à Javier Sola. On a alors effectué beaucoup de changements et la différence est aujourd'hui évidente. Tadej a juste maintenu son niveau. Je pense que Jonas Vingegaard était à son meilleur l'an passé, malgré ses blessures, et que cette année, il n'est pas aussi fort. Tadej n'a pas forcément progressé, mais les autres ne peuvent pas lutter.
Quel était votre objectif au début du Tour ? Qu'il creuse des écarts rapidement ?
Une des principales qualités de Tadej, c'est qu'il est capable de très bien récupérer alors que d'autres coureurs voient leurs performances décliner en troisième semaine et préfèrent anticiper en ne commençant pas à fond. Tadej est capable de maintenir son niveau pendant trois semaines. Ces dernières années, on l'a vu réaliser ses meilleurs résultats lors de la troisième semaine du Tour. Le risque est alors moindre et vous pouvez être moins sur la défensive.
L'an passé, il avait disputé le Giro avant le Tour. Comment avez-vous travaillé cette année avec principalement les classiques en début de saison ?
Nous n'avons pas fait des choses vraiment différentes. Certains vont se demander quelle est notre recette, mais la vérité, c'est que rien n'a vraiment changé. Je le répète, le principal changement, c'est quand on a modifié les méthodes d'entraînement en novembre 2023 avec Javier Sola. Au printemps, il a juste continué de s'entraîner sur quatre-cinq mois en assimilant la méthode sur les classiques et nous l'avons encore vu progresser. Mais aujourd'hui, nous ne voyons plus vraiment d'évolution, il est très proche de son niveau ultime, sauf si nous trouvons une autre méthode pour le faire progresser.
La science continue d'évoluer, peut-être que des publications avec de nouvelles méthodes sortiront et que nous les appliquerons. La vraie différence cette saison a été son calendrier et on s'est d'abord concentrés sur la prise de masse musculaire, car les courses d'un jour nécessitent plus d'explosivité. Il n'a pas perdu de poids, il a réalisé plus de travail de renforcement et il a débuté ses séances de montagne plus tard dans la saison, ce qui est toujours un risque car passer d'un entraînement classique à un entraînement en altitude demande une période d'assimilation. Cela aurait pu avoir un effet négatif sur le Tour, mais on est heureux de constater que ce n'est pas le cas.
Ce travail de renforcement explique-t-il qu'il attaque ou contre de plus en plus assis sur sa selle ?
Totalement. Le travail de gainage est une part de sa capacité à rester assis, avec des manivelles plus courtes. Être assis et avoir une plus grande fréquence de pédalage est bénéfique, le renforcement un des facteurs. Mais depuis 2019 et mon arrivée dans l'équipe, nous avons continué d'améliorer les camps d'entraînement, d'intégrer les entraînements sur la chaleur, d'améliorer la nutrition avec des apports de 110-120 grammes de glucide par heure, quand auparavant, ils n'en consommaient que 60 à 80 grammes. C'est une source d'énergie incroyable qui permet aux coureurs de gagner en endurance et en performance dans le final. Il y a plusieurs facteurs et nous continuons de regarder ce que les autres font, on a intégré le travail de sprint en haute altitude. Il n'y a donc pas un facteur, mais cinq ou six, sans qu'on sache réellement lequel influe plus qu'un autre. Mais tous ensemble, on peut constater l'amélioration incroyable.
Tadej Pogacar a 26 ans, vous ne le voyez pas aller plus haut ?
Non, je pense qu'il est vraiment à son maximum. La question est maintenant de savoir combien de temps on peut le maintenir à ce niveau et ce n'est plus une question d'âge, mais principalement de motivation. Avec Tadej, le plus important est de maintenir son enthousiasme. Il adore ce qui est nouveau, comme de s'essayer sur Paris-Roubaix ou tenter de gagner Milan-San Remo. Quelque part, le Tour est un casse-tête, vous savez. Vous devez être bon sur les chronos, en montagne, rester en bonne santé, ne pas tomber, mais il n'y a rien de nouveau. C'est pour cela qu'il a voulu courir le Giro et maintenant qu'il l'a fait, il veut gagner Roubaix pour garder son degré de motivation et maintenir son niveau.
Par le passé, vous avez travaillé avec Jan Ullrich, analysé les données de Chris Froome à sa demande. Dans quelle mesure, Pogacar est-il plus fort physiologiquement ?
On parle de trois décennies différentes au cours desquelles les choses ont totalement évolué. Du temps d'Ullrich, l'approche scientifique des entraînements était, il faut le dire, assez pauvre. On a aidé Jan à se remettre de sa blessure au genou droit (en 2002), assez facilement pour être honnête. Et c'était assez fou qu'il ait pu courir avec cette blessure pendant trois ou quatre ans alors que la solution était assez simple. Mais l'approche n'était pas scientifique. Quant à Chris, je ne l'ai pas entraîné, je lui ai seulement donné des conseils quand il avait des blessures. J'ai commencé à entraîner en 2003 et quand je regarde en arrière, ce qu'on réalise aujourd'hui est à des années de lumière de ce que nous faisions il y a dix ou vingt ans et cela continue d'évoluer avec l'accès aux data.
Nous sommes non seulement capables de mesurer la fréquence de pédalage et son efficacité, mais nous avons également des capteurs de chaleur, de variabilité de fréquence cardiaque, de sommeil, et surtout les outils pour les analyser. Il y a vingt ans, on mettait ses valeurs dans un tableau Excel et on réalisait des graphiques qu'on cherchait à comprendre. On possède aujourd'hui tellement de données, on peut les analyser sur une même plateforme. Nous avons débuté une collaboration avec Analog (société spécialisée dans l'informatique) et l'intelligence artificielle nous offre des informations précieuses que nous n'avions pas il y a cinq ans, encore moins il y a dix ans. Parfois, il nous faut trois ou quatre ans pour les assimiler.
Mais sur le plan physiologique, à quel niveau situez-vous Pogacar ?
Avec Javier (Sola) et toute l'équipe d'UAE, nous avons conscience de la chance incroyable de travailler avec lui. C'est la première personne avec un tel niveau de compétence. Cela n'arrive qu'une fois par génération, c'est comme travailler avec Roger Federer ou Tiger Woods, c'est juste incroyable de les voir réaliser ce dont ils sont capables.
Mais quand quelqu'un domine autant son sport, le doute sur les pratiques dopantes est évident...
Quand on connaît le contexte et l'histoire de ce sport, c'est assez normal d'être sceptique. Le problème, c'est qu'on ne peut pas prouver qu'un coureur est négatif, on n'a pas d'autre choix que de vivre avec ça et de continuer de croire en nos connaissances, en ce que nous faisons. Malheureusement, c'est l'histoire de ce sport et c'est compréhensible de douter. Mais regardez l'équipement. En cinq ans, nous sommes passés de pneus de 23 mm ou 25 mm, et aujourd'hui, on roule avec des pneus de 30 mm voire de 31 mm, ce qui a contribué à améliorer la vitesse et l'aérobie, à tel point que vous avez l'impression que quelqu'un vous pousse et vous gagnez quatre à cinq kilomètres par heure. Personnellement, je ne suis qu'un amateur, mais je ressens cette différence, alors imaginez pour des professionnels le gain énorme. On le voit dans nos tests : sur une montée de 40 minutes, le matériel fait une différence de deux à trois minutes. »