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Le miraculé de la rade
Brian Alainu’uese, atteint d’une maladie génétique détectée par le RC Toulon, n’en finissait plus de grandir. Opéré avec succès, il est devenu l’ancre du paquet d’avants toulonnais. DE NOTRE ENVOYé SPéCIAL
KARIM BEN-ISMAïL TOULON - Mayol guette avec ferveur le retour sur le terrain de Mathieu Bastareaud, blessé aux genoux il y a dix mois. Sa réapparition, miraculeuse, est dit-on imminente. Elle apportera de la densité au pack toulonnais. En mêlée, « Basta » poussera derrière un autre rescapé : Brian Alainu’uese (2,02 m ; 137 kg). Le deuxième-ligne doit la vie au staff médical du RC Toulon.
Lorsqu’il est arrivé à Toulon en 2018, Alainu’uese se plaignait de douleurs au rachis lombaire. Des examens minutieux, menés par le docteur Didier Demory, en révéleront la cause : « Une acromégalie, explique Alainu’uese de sa voix délicate. Vous savez, comme André le Géant, l’ancien catcheur. » Cette pathologie génétique qui provoque une hypersécrétion de l’hormone somatotrope, vectrice de croissance. « Mes organes internes grandissaient sans cesse. Ça pompait sur mon cœur, avec le risque d’en mourir dans mon sommeil. »
Rétif à une intervention, Alainu’uese s’est finalement résolu à se faire opérer. La pathologie hypothéquait son espérance de vie. « J’ai un fils, Théodore, il est déjà grand. On m’a assuré que ce que j’ai ne se transmettait pas génétiquement. Un cas sur cinq millions. » Demory le met en contact avec le professeur Dufour, neurochirurgien à l’hôpital de la Timone à Marseille. Alainu’uese se remet bien de l’intervention. Et accomplit une saison 2019-2020 du tonnerre. « Il a parcouru plus de 600 mètres, ballon en main, se souvient Patrice Collazo, qui l’avait recruté à Toulon. C’est d’autant plus énorme que Brian n’est pas un trois-quarts. Il avance sur la ligne de front, avec des mecs sur le porte-bagages, accrochés à ses jambes ou à son dos. Brian, c’est un mec colossal, atypique, façon Uini Atonio. »
Son successeur, Franck Azema, pousse dans le même sens : « Brian est surprenant dans sa qualité de déplacement, son activité. Il enchaîne les tâches avec beaucoup de justesse, d’intelligence dans sa lecture de jeu. Il est complet, altruiste. C’est le papa du paquet d’avants. »
Brian le géant est né le 19 mars 1994 dans le climat polaire d’Invercargill, « dernier arrêt avant le pôle Sud » disent les habitants de cette ville située tout en bas de l’île du sud en Nouvelle-Zélande, pour la plupart des descendants d’Écossais, habitués à ce genre de climat. Komiti, son père, arrivait, lui, de la moiteur des îles Samoa, 4 000 kilomètres plus au nord. « Papa est pasteur méthodiste. Tous les sept ans, on changeait de ville, selon son ministère. » Alainu’uese est l’avant-dernier d’une fratrie de quinze frères et sœurs, la plupart nés aux Samoa. « Avec les Muliaina, nous étions les deux seules familles polynésiennes. Je jouais avec Mils » (Muliaina, champion du monde 2011, 100 sélections All Black entre 2001 et 2011). »
Quand le pasteur Alainu’uese a été muté à Auckland, la famille s’est installée à Mangere, près de l’aéroport. Changement de décor, en haut de l’île du Nord. Mangere, c’est un coin chaud d’Auckland, infesté de gangs. Jonah Lomu en avait raconté la violence à L’Équipe en 1999 : « Mon oncle s’est fait décapiter près du Wesley College où j’ai étudié. Décapité, coupé en morceaux. Sans raison, juste parce qu’il passait par-là. »
Au collège avec Fekitoa et Laulala
Brian aussi a étudié au Wesley College. « Ah, South Auckland ! Pas un jour sans embrouilles… », souffle-t-il. À 17 ans, alors qu’il mesure déjà deux mètres, il décroche un job comme videur de boîtes. « Certaines nuits, j’ai flippé. J’étais môme, face à des hommes. Des Polynésiens baraqués. » Alcoolisés ou sous « Ice », une came de synthèse qui crame les neurones. « Les mecs se mettent dans des états… Tu ne peux pas les raisonner. Tu attends qu’ils attaquent pour cogner, les jeter dehors. Notre équipe de portiers était soudée. Ça nous a sauvés. On a parfois risqué notre vie pour 100 dollars NZ (60 € environ). »
Il rentre les dimanches au petit matin et s’affale quelques heures avant de jouer au rugby l’après-midi. Il sourit : « À cet âge, on récupère facilement ». Dans le quinze de Wesley, il joue surclassé, aux côtés de Malakaï Fekitoa et Nepo Laulala, futurs All Blacks. « J’ai commencé à l’arrière. Ils m’ont dit que j’étais trop grand et m’ont mis deuxième-ligne. »
Il a joué trois ans pour Waikato, en Championnat des Provinces. En 2016, Dave Rennie – désormais sélectionneur de l’Australie – l’a pris avec lui en Écosse, aux Glasgow Warriors. Jusqu’en 2018, année où il rejoint la France. Chaque matin le pasteur Komiti Alainu’uese loue le Seigneur d’avoir guidé son fils à Toulon.
L'Equipe