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Le gouvernement ordonne la déchéance de nationalité d'une jeune Franco-Turque condamnée pour terrorisme
INFO OBS. La mesure vise une femme condamnée pour association de malfaiteurs terroriste en 2017 après un attentat déjoué. Il s'agit de la neuvième déchéance depuis 2020. La mesure, contestée par les avocats, doit encore être validée par le Conseil d'Etat.
Rarissime, la mesure traduit une nette fermeté voulue par le ministère de l'Intérieur. Selon nos informations, une Franco-Turque de 25 ans, définitivement condamnée pour association de malfaiteurs terroriste et désormais arrivée au terme de sa peine, s'apprête à devenir la première femme déchue de la nationalité française : la procédure a été engagée au début du mois d'août dernier.
La décision du gouvernement, loin des polémiques qui avaient entouré le débat sur la déchéance de la nationalité au lendemain des attentats de 2015, s'appuie sur les dispositions de l'article 25 du Code civil. La déchéance peut en effet s'appliquer à des personnes condamnées pour terrorisme ayant obtenu la nationalité française par acquisition depuis moins de dix ans et ayant conservé une autre nationalité, ne pouvant ainsi devenir apatride.
Le 6 novembre 2017, Umrän Safak (le prénom et le nom ont été changés) avait été condamnée par la 16 chambre du tribunal judiciaire de Paris pour un projet d'attentat déjoué en 2016 contre le Casino de Paris, un soir où des centaines de spectateurs devaient se trouver sur place. La jeune femme avait été arrêtée alors qu'elle s'apprêtait à « monter à Paris » en compagnie de trois autres adolescentes radicalisées pour « faire mieux que le Bataclan ». Ces dernières, mineures, avaient été jugées séparément devant le tribunal pour enfants. Au moment des faits, le quatuor était « télécommandé » depuis la Syrie par l'un des plus redoutables recruteurs de l'Etat islamique (EI), Rachid Kassim, commanditaire de plusieurs autres attentats. Par messages, il martelait à ces jeunes musulmanes de « mourir en martyrs au lieu d'aller sur les plages d'Occident ».
Lors de son procès, Umrän Safak avait marqué l'audience par son apparente lucidité sur sa radicalisation et sa volonté de s'en démarquer. « Avant, quand je voyais un gendarme, je ne voyais que l'uniforme. J'étais prête à le tuer, avait-elle déclaré en se tournant vers l'escorte qui l'entourait dans le box des accusés. Mais j'étais en otage [de la propagande, NDLR]. C'était terrible. » Ses propos avaient sidéré l'assistance. Les juges l'avaient finalement condamnée à cinq ans de prison, dont six mois avec sursis, dépassant légèrement les réquisitions du procureur.
Après plusieurs années derrière les barreaux de la prison de Fleury-Mérogis, puis en liberté conditionnelle dans le cadre d'un programme de suivi et de réinsertion, la « sortante » Umrän Safak s'était formée à la boulangerie-pâtisserie.
« Mesure disproportionnée »
Désormais, la mesure de déchéance doit être validée par le Conseil d'Etat au terme d'une procédure contradictoire. « Nous allons la contester », réagissent ses avocats Xavier Nogueras et Vincent Brengarth. Lesquels prévoient un « combat difficile, dans un contexte lourd, face à des mesures inédites, voire imprévisibles ».
« C'est une mesure disproportionnée pour une jeune femme installée en France où elle a toute sa vie, qui ne peut ainsi être condamnée deux fois pour les mêmes faits à moins de voir rétablir le bannissement », considèrent les deux avocats. Selon eux, aucun trouble à l'ordre public ne peut être allégué pour justifier cette procédure.
Par ailleurs, ils soulignent la difficulté posée par « le cloisonnement entre la justice et l'administratif » : la jeune femme a été intensément suivie par la juge d'instruction chargée de son dossier, par le tribunal correctionnel de Paris, par les équipes des services pénitentiaires d'insertion et de probation de Fleury-Mérogis et enfin par le Programme d'Accompagnement individualisé et de Réaffiliation sociale (Pairs), consacré notamment à la réinsertion de djihadistes sortant de prison.
Neuf déchéances depuis 2020
Sollicité, le ministère de l'Intérieur n'a pas souhaité commenter la procédure en cours. Comme en attestent les chiffres que nous avons collectés auprès de plusieurs sources judiciaires et administratives, 9 déchéances de nationalités ont été prononcées depuis 2020.
En mars dernier, le Franco-Turc Mesut Sekerci, un djihadiste en fuite, condamné par défaut en 2016 et aujourd'hui soupçonné dans des affaires de financement du terrorisme, a ainsi été déchu de sa nationalité française avant même son éventuelle arrestation. Autre cas : celui du Franco-Turc Farid Rettoun, père du bourreau de l'Etat islamique Samy Rettoun, déchu de sa nationalité française après une peine de trois ans dont dix-huit mois avec sursis terminée en 2018. Même déchéance encore pour Mansour Ly et Fayçal Aït Messoud, membres du foyer des radicalisés de Trappes (Yvelines)sortis en 2019. Ces derniers étaient proches de Bilal Taghi, auteur à Osny en 2016 de la première attaque au sein même d'une prison.
Pour ce qui concerne Usman Safak figure en toile de fond de la procédure administrative lancée par le ministère de l'Intérieur un renseignement crucial n'apparaissant nulle part dans le dossier judiciaire : l'un des frères de la jeune femme, installé en Turquie, ferait partie des accusés del'attentat du Nouvel An 2017 ayant visé la discothèque La Reina à Istanbul, causant la mort de 39 personnes... Ce point n'a jamais été évoqué lors de son procès. Il pourrait l'être lors de l'examen devant le Conseil d'Etat du dossier.
Le Nouvel Observateur