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Tensions, blagues graveleuses : à l'Assemblée, plongée dans « l'enfer » des nuits budgétaires
Un Hémicycle rempli, des débats techniques et à rallonge, une tension parfois immense. Voyage dans les coulisses d'un Palais Bourbon à feu et à sang. Au menu : émotions, petites blagues et échanges improbables.
Il est 22 h 10 en cette fraîche soirée de novembre. Sur son pupitre, tout en bas de l'Hémicycle de l'Assemblée nationale, la ministre des Comptes publics, Amélie de Montchalin savoure un thé verveine bien chaud. « C'est la clé pour tenir le rythme » , chuchote-t-elle, en esquissant un petit sourire. Depuis plus de deux semaines, comme les députés, la ministre vit un véritable marathon dans l'enceinte parlementaire. Après plusieurs mois d'un calme législatif inhabituel, tous débattent des projets de loi de finances publiques (PLF) et de financement de la Sécurité sociale (PLFSS). Ce, alors que le premier ministre, Sébastien Lecornu, a promis aux parlementaires qu'il n'utiliserait pas l'article 49.3 de la Constitution pour faire adopter ces deux textes. Une véritable tornade dans un Palais Bourbon sans majorité depuis maintenant un an et demi.
Ainsi, tous les soirs ou presque, samedi dimanche inclus, jusqu'à minuit, les députés ferraillent, dans un Hémicycle souvent rempli. Le combat idéologique est intense. Les échanges passionnés. Les débats parfois techniques. Et les moments humains y sont nombreux, hors micro et hors caméra. Les exemples sont innombrables et racontent les travers d'une Assemblée nationale souvent caricaturée.
Quand la députée Insoumise Claire Lejeune défend son amendement pour réinstaurer la contribution des industries pétrolières, l'élu macroniste Charles Sitzenstuhl lui fait par exemple parvenir un petit mot par l'intermédiaire d'un huissier de la chambre : « Tu ne serais pas une verte repeinte en rouge ? » Une référence à la proposition écologique de l'élue mélenchoniste. Réponse de l'intéressée quelques minutes plus tard, toujours par lettre : « J'ai un père ouvrier et j'ai été biberonnée au journal L'Humanité . Je suis plutôt une rouge repeinte en verte ! »
Pendant ces longues soirées à siéger dans l'Hémicycle, il faut tenir. Alors, entre deux séances, certains, comme l'ancienne ministre Prisca Thevenot, improvisent une séance de course à pied sur les quais de Seine. Avant de revenir, juste avant la reprise, au Palais Bourbon. D'autres, au contraire, grignotent toute la soirée. C'est le cas de ce macroniste, qui cache dans son casier bonbons et chocolats en tous genres. « Je deale des bonbons pour faire tenir les parlementaires. Mais ne me citez pas, parce que les huissiers ne supportent pas qu'on fasse ça dans l'Hémicycle » , sourit-il en croquant un M &M's. « Ça aide à tenir dans ce marathon, d'autant plus que l'on ne peut pas toujours sortir » , complète-t-il.
Tout le monde n'est pas spécialiste des finances publiques. Encore moins du fonctionnement du système de santé français. Alors, pour ceux qui sont présents mais inactifs, il faut bien s'occuper. Pendant que les journaux circulent sur les bancs, certains députés penchent pour les livres. Olivier Faure lit et surligne Le Grand Retournement , de Marine de Guglielmo Weber et Rémi Noyon (Éditions Les Liens qui Libèrent). Le député RN Gaëtan Dussausaye feuillette Sortir du travail qui ne paie plus (Éditions L'Aube) et Le Futur du travail (Éditions Amsterdam). Le thème est plutôt adapté aux débats budgétaires en cours.
L'ancienne ministre Geneviève Darrieussecq, elle, joue discrètement à Candy Crush sur sa tablette. Le député RN Serge Muller, fait défiler des vidéos sur son portable en mâchant un chewing-gum pendant que son collègue socialiste Pierre Pribetich regarde un match de hockey sur glace. Ils ne sont pas les seuls. Séries télé, matchs de foot, jeux de cartes, stories Instagram : beaucoup d'élus s'occupent d'une manière ou d'une autre sur leur téléphone. Il faut bien faire passer le temps. Une députée écologiste, frigorifiée, enfile un gros pull en laine. « De la peau de Retailleau » , plaisante-t-elle, auprès de son voisin de banc. Charles de Courson, qui demande la parole au président de séance Sébastien Chenu (RN) en claquant des doigts, se fait recadrer fissa. Ce ne sont pas des manières, lui fait-on remarquer.
Les débats, eux, se déroulent la plupart du temps dans le calme. Ils sont d'un bon niveau sur une majorité des bancs. On parle de sujets de fond : exonération dans les entreprises, pouvoir d'achat, cotisations sociales, imposition des grandes fortunes, taxes sur les multinationales... Les présidents de groupe sont très présents : il y a Laurent Wauquiez (Droite républicaine), Gabriel Attal (Ensemble pour la République), Mathilde Panot (La France insoumise), Boris Vallaud (Parti socialiste) et tous les autres.
Certains députés naviguent d'un banc à l'autre pour discuter d'un amendement ou tenter de négocier un accord. L'élu RN Thomas Ménagé s'assoit par exemple sur les bancs du groupe Horizons d'Édouard Philippe et discute pendant plusieurs minutes avec la vice-présidente Marie-Agnès Poussier-Winsback. Jérôme Guedj, responsable de texte socialiste sur le PLFSS, ne tient pas en place. Il s'assoit longuement à côté de l'écologiste Sandrine Rousseau. Comme pour essayer de rester « amis » , alors que la stratégie socialiste de négociation avec le gouvernement hérisse le reste de la gauche. « Ouh la, la route est droite mais la pente est raide » , plaisante à moitié Rousseau. Manière de dire qu'elle ne goûte que très peu le jeu du PS.
Quand cette dernière prend la parole pour évoquer l'écologie, sujet selon elle « complètement oublié » par les députés lors des débats budgétaires, les rangs du RN s'agitent : on pouffe de rire tout en invectivant Sandrine Rousseau qui termine son intervention, impassible. Il y a parfois une part de cinéma dans ces piques envoyées dans l'Hémicycle. Quelques minutes plus tard, c'est l'Insoumise Sophia Chikirou qui s'en prend à la macroniste Prisca Thevenot pendant son intervention. « Honteusement menteuse » , crie-t-elle avant de faire un petit sourire à sa collègue du camp présidentiel lorsqu'elle se rassoit.
Un Insoumis, lui, s'amuse à prendre en photo l'ancien président de la République François Hollande pendant une prise de parole de l'écologiste Sandrine Rousseau. L'ex-chef de l'État semble pensif en écoutant l'argumentaire de sa voisine. « Une photo vaut bien 1 000 mots » , se gausse le député LFI en zoomant sur le visage un peu désabusé de François Hollande en le montrant à son voisin de banc. Ce soir-là, le député de Corrèze se fait lourdement attaquer par la droite et le Rassemblement national pour avoir, durant son quinquennat, détricoté la défiscalisation des heures supplémentaires mise en place par Nicolas Sarkozy. « Le fossoyeur des heures supplémentaires » , fustige notamment le député lepéniste Jocelyn Dessigny. François Hollande opine de la tête, tout sourire. Un brin déstabilisé ? Quelques minutes plus tard, pour un vote à main levée, l'ancien président se trompe et appuie sur son petit boîtier pour participer au scrutin. Raté. « Il débute dans le métier » , se moque un voisin socialiste.
Comme toujours, l'ancien président de la République ne prend pas la peine de répondre aux attaques. Cette fois, c'est son collègue Philippe Brun qui le fait pour lui. L'Hémicycle est un théâtre où chaque spectateur peut devenir acteur. Un combat de boxe où chacun peut monter sur le ring. Avant de retrouver sa place dans le public pour assister plus tranquillement à la fin de la représentation. Mais dans ce genre de débats très techniques, beaucoup de députés décident de ne pas participer. « Nos chefs de file prennent la parole, et nous suivons les choses assidûment et sur place pour pouvoir faire passer des amendements. Ces moments me permettent de communiquer sur nos victoires sur les réseaux sociaux mais aussi de préparer des lettres pour les commerçants de ma circonscription pour les prévenir de nos combats gagnés » , confie la députée RN Manon Bouquin.
Parfois, la tension monte d'un coup très fort, notamment entre groupes d'une même « famille » . À gauche, on se divise et se dispute sur des votes d'amendements, comme lorsque les écologistes ne votent pas l'impôt sur la fortune improductive avec les socialistes, qui parviennent tout de même à le faire adopter avec le MoDem et le RN. « Mais pourquoi vous ne l'avez pas voté ? » , interroge un député PS en direction des bancs voisins. « Parce que nous, on est de gauche ! » , lui répond méchamment l'écologiste Julie Laernoes. Ou encore, juste après l'adoption de la partie recettes du PLFSS, samedi soir, lorsque l'Insoumis Sébastien Delogu lance, bravache à Olivier Faure : « Je pense que c'est chez toi que je vais venir candidater, pas chez Payan (actuel maire de Marseille, NDLR) » « Bah viens, viens » , lui répond l'intéressé, impassible.
À d'autres moments, les esprits s'échappent de l'Hémicycle grâce à une prise de parole bien formulée. Comme ce moment où la communiste Karine Lebon compare les députés à sa fille de 2 ans qui essaye de faire rentrer un rond dans un triangle. De quoi faire sourire sur tous les bancs. « Nous sommes tous humains et nos enfants nous manquent, il est bon d'amener un peu de légèreté » , sourit-elle. Certains osent même quelques « blagues graveleuses » , comme ce député RN qui s'adresse, mort de rire, à Laurent Wauquiez, le chef des parlementaires LR. Rires amusés autour d'eux.
L'ancien ministre de la Fonction publique, Guillaume Kasbarian, s'amuse quant à lui à envoyer à ses camarades des GIF de Javier Milei, le président argentin, brandissant sa tronçonneuse, pendant une prise de parole d'un élu de gauche. « J'en peux plus, il faut baisser la dépense, pas augmenter les impôts » , plaisante-t-il, sourire jaune. Pendant ce temps, le député écologiste Pouria Amirshahi vient s'asseoir sur les bancs du camp présidentiel. « Encore un socialiste » , s'amuse un macroniste. « Mais non, c'est un écolo » , rigole son voisin. « Il va nous proposer quoi ? Une taxe Zucman mais avec un taux un peu plus faible quand c'est du patrimoine «vert» ? » , s'esclaffe le premier. Fou rire.
Minuit pile, la séance se termine. Chacun sort de l'Hémicycle tranquillement avant de monter dans sa chambre bureau ou de rentrer chez soi. Demain, il faudra revenir dès 9 heures du matin. « C'est une vie objectivement déraisonnable » , soupire le rapporteur général du budget, le député LR Philippe Juvin. « Mes neurones sont complètement grillés. C'est l'enfer, je n'ai même plus la niaque, les mots ne viennent plus quand j'essaye de parler » , se plaint une élue de gauche. « Tout le monde est fatigué. La période est éreintante, inquiétante, fatigante » , confie quant à lui un socialiste. Mais aussi passionnante.
Le Figaro
: 
) élu maire de New York
