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Ferveur, histoire, joueurs emblématiques... L'OM, « le plus argentin des clubs français »
Le recrutement, cet été, de Facundo Medina a un peu plus renforcé les liens passionnels entre l'OM et l'Argentine, dont les racines sociétales remontent au XIXe siècle.
Lors de sa présentation, début juillet, Facundo Medina a glissé ces quelques mots, en français dans le texte : « J'ai passé cinq ans à Lens, j'étais content mais ici, le stade et les supporters sont incroyables. Je connais déjà car c'est un peu pareil qu'en Argentine. » Il n'en fallait pas plus pour parfaire son opération séduction auprès du public marseillais et rappeler combien ses compatriotes y ont toujours, et de plus en plus, occupé une place particulière.
Premier buteur de la préparation, Medina est devenu le 25e joueur argentin de l'histoire de l'OM et rejoint, dans l'effectif actuel, le gardien Geronimo Rulli et le capitaine Leonardo Balerdi. Sans oublier Neal Maupay, né d'un père français et d'une mère argentine, et qui détient la double nationalité depuis 2013. « Medina va renforcer la défense, c'est top », se réjouit Raoul Noguès. À 73 ans, l'ex-milieu offensif, né en Argentine et resté vivre dans le Sud de la France après sa carrière, continue à suivre les aventures de son ancien club (1974-1977), avec lequel il a remporté une Coupe en 1976.
À l'époque, dans les années 1970, une première vague d'Argentins avait rallié Marseille dans son sillage : Alfonso Troisi, Hector Yazalde ou encore le futur champion du monde 1978 Norberto Alonso. « Les ADN marseillais et argentin se ressemblent, observe Noguès. Le climat, d'abord, est assez semblable, avec beaucoup de soleil. Et puis il y a la passion, la façon de ressentir le football, l'exigence des fans... »
Et Noguès d'illustrer : « C'est-à-dire qu'on vit pleinement quand on est à l'entraînement, dans la rue comme au restaurant. En Argentine, si vous n'êtes pas au niveau, ils vous le font sentir tout de suite. C'est pareil à Marseille. Si ça va bien, tout est parfait. Si ça va mal, ils viennent vous voir à la sortie du terrain. Ils mettent beaucoup de pression. Mais pour les Argentins, ce n'est pas un grand problème parce qu'on est formés comme ça depuis tout petit. C'est pour ça que les Argentins s'adaptent très bien ici. »
On ne peut pas non plus affirmer que tous ont réussi. Bon nombre d'entre eux ont connu des passages éphémères et anonymes, y compris récemment. Des attaquants comme Christian Gimenez et Dario Benedetto ont déçu. Quand, à l'inverse, des joueurs comme Renato Civelli, Lucas Ocampos et Balerdi ont fini par gagner le coeur des supporters grâce à leur persévérance et leur hargne, la « garra » en VO. « Mais la bascule, ce sont les arrivées de Gabriel Heinze et de Lucho Gonzalez, en 2009, qui ont acquis une vraie autorité », souligne le sociologue Ludovic Lestrelin, auteur de plusieurs travaux sur l'OM.
La décennie suivante est, elle, incarnée par un entraîneur, Marcelo Bielsa, entre 2014 et 2015, puis via Jorge Sampaoli (mars 2021-juillet 2022). « La tactique de Bielsa, tournée vers l'offensive, a enchanté les Marseillais au nom de la devise "Droit au but", analyse l'ethnologue Christian Bromberger. On retrouve, entre Marseille et l'Argentine, une même frénésie, un esprit de conquête à travers le football, qui font que la vie des cités tourne autour des clubs. » Salim Lamrani le rejoint : « L'Olympique de Marseille est le plus argentin des clubs français. »
Ce dernier, ancien interprète de Bielsa et maître de conférences en civilisation hispano-américaine, évoque « un lien spirituel profond » : « Un Argentin se reconnaît immédiatement dans le caractère du peuple marseillais : son tempérament, sa fierté exacerbée, ses excès et sa passion dévorante pour le football. Ce sont deux peuples très fiers de leur identité, au caractère bien trempé, anticonformistes, souvent rebelles face à l'autorité. Marseille est souvent considérée comme une ville à part, différente du reste de la France, avec une culture populaire affirmée et un esprit frondeur. L'Argentine, de son côté, est également un pays singulier en Amérique latine, animé d'un patriotisme fort, mais historiquement ouvert aux peuples venus d'ailleurs. »
Chercheur associé à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, Thibault Bechini a consacré sa thèse aux migrations italiennes entre Marseille et Buenos Aires. « Dans les années 1870, ce sont les deux villes dans le monde qui ont accueilli le plus d'Italiens, retrace-t-il. Cela a vraiment laissé une marque importante, dans la proximité culturelle et la mentalité. Cela va de pair avec le fait que ce sont aujourd'hui deux villes très populaires, ouvertes sur le monde, avec du brassage et des flux continus. Elles ont aussi pour point commun d'avoir été prospères dans la première moitié du XXe siècle avant de connaître de graves difficultés économiques. Les clubs sont devenus des éléments centraux de leur identité et une manière de se raccrocher à quelque chose de positif. »
Des années 1860 jusqu'à la Seconde Guerre mondiale, Marseille était une étape incontournable et facilement accessible sur la route maritime vers l'Argentine, dans le transport de personnes et de marchandises. « Tant qu'il y a eu des lignes de navigation régulières, reprend l'universitaire, les deux ports étaient extrêmement liés. Des familles se retrouvaient partagées entre Marseille et Buenos Aires en fonction de l'inversion des saisons. C'est ainsi que le foot est devenu un vecteur d'intégration très fort pour toutes ces populations nouvelles qui ont débarqué dans l'une et l'autre ville au fil du XXe siècle. Toute une sociabilité s'est construite autour des parties de quartier, puis en allant voir les matches ensemble au bar du coin à l'apparition des premiers téléviseurs. »
L'ombre de Maradona
Plus tard, cette relation fusionnelle sera également entretenue par le mythe de la vraie-fausse signature de la légende Diego Maradona à l'été 1989, malgré un pré-accord avec Bernard Tapie, qui se rabattra avec succès sur Enzo Francescoli, Uruguayen de naissance mais idole de River Plate et très vite adopté par le peuple phocéen. Ce n'est pas un hasard si une délégation du club lui a rendu visite au printemps dernier, lors d'un séjour à Buenos Aires. Dix-neuf ans plus tôt, en 2006, Roland Desroches, ex-figure des South Winners, décédé en 2021, s'était lui aussi rendu en pèlerinage en Argentine, pays dont il était devenu fan, et avait rencontré son héros, Maradona.
Camille, un des fondateurs du groupe dans les années 1980 et ami de Desroches, dont le frère est l'un des capos actuels, confie : « Petit à petit, on s'est intéressés à l'Argentine avec Maradona, qui a marqué toute une génération, un personnage fantasque, fort et faible à la fois, une alchimie entre des qualités exceptionnelles et des défauts immenses. Toutes ces contradictions nous plaisaient. » Encore aujourd'hui, le « Che Guevara » demeure l'un des emblèmes des Winners et les groupes, à l'image des Fanatics, ont perpétué la tradition argentine, comme celle des « papelitos », ces lamelles de papiers lancées à l'entrée des joueurs.
« Les ultras marseillais se sont d'abord référés aux cultures italienne et grecque, car il y avait des échanges et une proximité géographique, mais il y a ensuite eu un jeu de distinction, une volonté d'aller chercher des références ailleurs, plus lointaines, à Boca Juniors notamment, grâce à l'émergence d'Internet, complète Ludovic Lestrelin. On retrouve ce même imaginaire autour de la force de caractère et de l'ascension sociale des joueurs, ce côté bouillonnant et cette ferveur déraisonnable, au stade et en dehors. Mais l'OM est tellement cosmopolite qu'on ne peut pas tout résumer à cette seule culture. » La preuve : depuis, un voisin brésilien, Igor Paixao, a signé.