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Jan Van Winckel était l'adjoint de Marcelo Bielsa à Marseille. Il revient pour la première fois sur sa collaboration avec celui qu'il désigne comme ''le Professeur'' : «Durant quelques mois, nous avons joué le plus beau football du monde.»
Sa parole est rare. Jan Van Winckel fut le bras droit, l’adjoint et l’homme à tout faire de Marcelo Bielsa à l’OM. Quelques jours avant la démission d’El Loco, le 8 août, il avait lui aussi choisi de quitter le navire pour rejoindre l’Arabie Saoudite. Le Belge occupe aujourd’hui le poste de directeur technique de la fédération. Il est à l’origine notamment de la venue comme sélectionneur de Bert van Marwijk et de son adjoint Mark van Bommel. Pour L'Equipe, Van Winckel a accepté de témoigner sur son expérience avec Bielsa. Avis aux nostalgiques.
«Pourquoi avez-vous quitté Marseille en début de saison ?
Je suis parti en raison de l’offre unique qui m’a été formulée par l’Arabie Saoudite. J’ai travaillé dans le Golfe pendant six ans, dont quatre auprès des plus grands clubs d’Asie. J’ai atteint le titre de vice-champion d’Asie avec Al-Ahli et remporté la coupe avec Al-Hilal. Je suis conscient des problèmes du pays, et lorsque le Prince Abdullah Bin Mosaad, ministre des Sports et entre autres propriétaire de Sheffield United, et le président de la fédération m’ont formulé leur proposition, je l’ai acceptée. Je connais l’énorme potentiel de l’Arabie Saoudite et je veux contribuer à y structurer le football. Il s’agissait naturellement d’une décision très difficile et j’ai longuement hésité, car l’OM, son personnel et ses joueurs me tenaient beaucoup à coeur.
Est-ce une question d’argent ?
Les gens qui me connaissent savent que j’accorde très peu d’importance à l’argent.
«Le professeur est doté d'une incroyable intelligence et il la consacre intégralement au football»
Que retenez-vous de votre expérience avec Marcelo Bielsa ?
Je retiens trois choses : la quête des gains marginaux, la passion et le dynamisme. L’entraînement avec le professeur est une quête de ces trois éléments. C’est à cela qu’il aspirait et c’est cela que l’on retrouvait sur le terrain. Durant quelques mois, nous avons joué le plus beau football du monde. Nos rencontres constituaient des cas d’école sur la manière dont le football devrait être joué. Avec pression, passion et une énorme “ verticalité ”.
Est-ce aussi dur qu’on le dit de travailler avec lui ?
Oui, le professeur est doté d’une incroyable intelligence et il la consacre intégralement au football. Je ne possède pas ce don. J’ai également d’autres centres d’intérêt. Je n’atteindrai donc jamais son niveau d’excellence. Seul celui qui consacre toute son énergie et toute son âme à une cause peut être un vrai maître. Durant les seize mois pendant lesquels j’ai travaillé pour l’OM, nous avons pris quatre ou cinq jours de repos. Le reste du temps, nous étions toujours au club pour travailler. Bielsa consacre sa vie au football et en attend tout autant de ses assistants proches.
Pour le professeur, par exemple, l’évaluation d’un joueur ne doit rien laisser au hasard. Je me souviens que durant l’été, pour chacun des joueurs qui présentaient un intérêt pour le club, nous visionnions l’ensemble de ses rencontres, souvent plus de cinquante. Nous en faisions une compilation et nous en discutions. Nous contactions ensuite le joueur, ses entraîneurs et son entourage pour pouvoir brosser un tableau complet. Ce n’est là qu’un petit exemple de son niveau d’exigence.
Il pouvait être très dur avec vous ou ses adjoints.
Naturellement, il était parfois très dur, mais le plus important est qu’il était toujours honnête et qu’il avait toujours raison. Mes collègues avaient pour habitude de dire que j’étais un maniaque du détail, toujours à la recherche de gains marginaux, mais en comparaison avec lui, je n’étais qu’un amateur. Les enseignements qu’il vous apporte sont inestimables. Le sport de haut niveau est très exigeant. Le fait qu’un nageur passe quotidiennement des heures dans l’eau à travailler par exemple la position de son coude offre un contraste criant avec la manière dont certains entraîneurs considèrent le football. Si vous souhaitez vous approcher du haut niveau, vous devez être prêt à sacrifier une partie de votre vie. Ce n’est pas un choix facile.
Comme vous parliez français, vous étiez un relais entre les joueurs et Bielsa la saison dernière. Certains nous disaient que vous aviez parfois peur d’aller le voir pour transmettre leur message...
Je n’ai peur de personne. Je dis ce que je pense et je communiquais avec le professeur de manière correcte. En d’autres termes, je filtrais. Si un joueur se plaignait qu’il ne voulait pas s’entraîner parce qu’il était trop fatigué, alors je ne le disais pas au professeur. Car j’estime que la fatigue fait partie intégrante du football. Il me donnait carte blanche en la matière.
Est-ce usant de travailler avec lui ?
Naturellement. Mais je n’aurais pas voulu qu’il en soit autrement. André Maurois (écrivain français) a dit : “ Être exigeant, c’est montrer de l’intérêt ”.
Vous deviez donc dormir souvent à la Commanderie comme Bielsa ?
Je dormais toujours à la Commanderie lorsque les joueurs y dormaient ou que nous travaillions trop tard, autrement dit souvent trois à quatre fois par semaine. Une séance dans la matinée avec le professeur devait toujours être précédée par une nuitée à la Commanderie pour pouvoir garantir la qualité de l’entraînement.
On a dit aussi que Bielsa payait lui-même le salaire de certains de ses adjoints. Est-ce vrai ?
Le professeur collabore avec un nombre impressionnant d’assistants. Certains travaillent personnellement pour lui et sont donc à sa solde, entre autres pour analyser la Coupe d’Afrique et la Coupe d’Asie. D’autres, notamment ceux qui travaillaient pour Marseille, étaient simplement payés par le club.
Savez-vous pourquoi il a quitté l’OM ?
Je n’ai pas d’avis sur cette question et je ne suis pas censé en avoir. C’est entre lui et le club.
On sait que ses rapports avec les dirigeants étaient compliqués.
Une relation de travail normale liait la direction au professeur. Cependant, il n’est pas hypocrite et exprime toutes ses pensées. Certains disent qu’il manque de sensibilité sociale, mais il est tout simplement sincère. On peut penser que l’hypocrisie constitue une nécessité pour mener une conversation normale. Moi j’estime que si deux personnes dans une même pièce pensent la même chose, alors il y en a une de trop. Il ne faut pas toujours partager la même idée sur les choses.
La direction du club dit encore aujourd’hui que c’est lui qui est à l’origine du loft pour écarter certains joueurs à son arrivée (Fanni, Kadir, Cheyrou…).
Cette décision avait été prise par le club. Et il s’agissait d’une décision juste et logique, tant pour le joueur que pour les ambitions du club. Seul Rod a montré que c’était une erreur de le faire passer en équipe B. Il a peut-être joué la meilleure saison de sa carrière.
Bielsa n’a pas toujours été irréprochable dans son attitude...
Pas du tout. Il était très ouvert. Nous avions pour habitude de faire de longues promenades. Durant ces promenades, je ne l’ai par exemple jamais vu refuser une photo ou un autographe. Ce comportement témoigne d’une ouverture bien supérieure à la moyenne. Il était presque impossible de manger tranquillement ensemble à Marseille. Cependant, je ne l’ai jamais entendu se plaindre.
Quand vous avez pris votre décision, étiez-vous au courant que Bielsa allait lui aussi quitter l’OM quelques jours plus tard ?
J’ai pris ma décision indépendamment du professeur. Ce que j’apprécie chez lui, c’est qu’il a écarté des clubs fantastiques durant l’été pour rester à Marseille. Vu la situation économique du club en comparaison avec le PSG, Monaco et Lyon, il s’agissait d’un engagement très courageux et honnête.
On dit qu’il a mal pris le fait que vous quittiez son staff ?
Il était bien entendu déçu, tout comme moi. J’avais pourtant pris la décision de poursuivre ma carrière à ses côtés. Il ne faut pas oublier que je suis fan du professeur depuis vingt ans. Il m’a contacté en personne pour remplacer Luis Bonini, son légendaire assistant. Je considère ce moment comme la plus belle reconnaissance de ma carrière. Notre collaboration fut un rêve d’enfant qui se concrétisait. Mais parfois, vous prenez un chemin différent de celui que vous aviez prévu.
Pourquoi l’OM s’est-il écroulé en deuxième partie de saison alors que le club jouait le titre ?
Sans la CAN (17 janvier au 8 février 2015), nous aurions emporté le titre. J’en suis certain. Nous savions que Nicolas Nkoulou et André Ayew étaient indispensables. Cependant, la situation économique du club ne permettait pas d’embaucher des joueurs supplémentaires. Nous disposions d’un noyau très réduit. Nous avons donc dû faire confiance à des joueurs qui n’étaient pas encore prêts.
Michel, le nouvel entraîneur, a dit que les joueurs français ne travaillaient pas assez. Êtes-vous du même avis ?
Tout à fait. Les entraînements sont insuffisants. En France, il est de coutume de ne rien faire dans les deux jours qui précèdent et qui suivent une rencontre. Il reste alors peu de temps pour s’entraîner de manière fonctionnelle. Il est difficile de convaincre les joueurs de changer leurs habitudes. Cela tient plus à la culture sportive d’un pays qu’à la prétendue fainéantise des joueurs. Au début des années 2000, la France était devant, avec entre autres le centre de Clairefontaine, mais tout cela a changé au cours de la dernière décennie. J’ai cependant rendu visite à la FFF fin décembre et j’ai été impressionné par leur plan. Je pense que la France est à l’aube d’une génération en or.
Cette saison, il y a eu beaucoup de blessés à l’OM. La saison dernière, moins. Vous l’expliquez comment ?
La saison dernière fut exceptionnelle. Nkoulou et Ayew s’étaient blessés en équipe nationale, mais pour le reste, nous n’avons pas eu de blessures évitables, malgré le régime d’entraînement très soutenu et les grandes distances parcourues à haute intensité et en sprint pendant les matches. Nos joueurs ont réellement donné le meilleur d’eux-mêmes durant une saison complète. Ayew a par exemple disputé sa dernière rencontre avec une blessure au pied. Il était en fait médicalement en incapacité, mais il a quand même joué.
Vous avez félicité le docteur Baudot sur Twitter. Il va quitter le club en fin de saison. Est-ce une grosse perte pour l’OM ?
Le docteur Baudot est un des meilleurs au monde dans son travail. Je trouve que le staff médical est injustement incriminé en cas de blessures. L’équipe technique et le joueur, voilà les vrais responsables. Le staff médical se charge des convalescences et veille à éviter les rechutes. Dans cette optique, ce qui importe, ce n’est pas la rapidité avec laquelle un joueur se remet de ses blessures, mais bien la période durant laquelle il reste en forme. Pour n’importe quel club, son départ serait une perte. C’est donc également le cas pour l’OM.
Vous pensez que la France accuse un retard dans le domaine de la science sportive ?
Non. Des gens comme Martin Buchheit (PSG), Yann Lemeur (INSEP) et Gregory Dupont (Lille) font partie des meilleurs au monde dans leur discipline. Le problème, c’est que le concept dépassé de coach physique est encore bien ancré dans les mentalités. Pourtant, un club de haut niveau devrait plutôt disposer d’un ‘’Performance Manager’’ qui supervise une équipe de spécialistes. On peut facilement engager quatre ou cinq scientifiques sportifs dans un club de haut niveau. L’investissement est rentable, puisque les joueurs se blesseront moins et seront meilleurs sur le terrain. Mais les clubs préfèrent souvent s’offrir un trentième joueur alors que, pour le même salaire, ils pourraient engager quatre ou cinq scientifiques du football.
Finalement, en avez-vous assez profité à Marseille?
Non, pas assez malheureusement. À quelques reprises, nous avons fêté des victoires Chez Henri ou le RestÔ à Saint-Cyr, mais, dès la fin d’un match, le professeur lançait déjà la préparation de la rencontre suivante. Quelques assistants y travaillaient pendant une semaine entière et consignaient le tout dans un livre. Ce livre, Bielsa l’emportait immédiatement après le match pour préparer la semaine d’entraînement. Nous n’avions donc pas beaucoup de temps pour profiter. Mais ce n’était pas un problème. En arabe, on dit qu’il faut d’abord faire le jeûne avant de pouvoir profiter d’un repas de fête.
Finalement, quels souvenirs gardez-vous de l’OM ?
Ce qu’il me reste, c’est le souvenir d’un football de qualité, le record de plus d’un million de supporters à domicile (1 009 478 spectateurs, soit 53 130 de moyenne, selon les données de la LFP), le staff technique très compétent, Franck Passi, Stéphane Cassard et Thomas Benedet (vidéo), et l’amitié avec de nombreuses personnes au sein du club. L’OM occupera toujours une place spéciale dans mon cœur. C’est l’un des plus beaux clubs du monde. Maintenant que j’y repense, je me souviens également des entraînements avec Benja (Mendy) sur les dunes de Saint-Cyr, le travail individuel avec Michy (Batshuayi) à la Commanderie ou les joggings avec Flo (Thauvin) aux Calanques de Cassis. Des gars super. Des souvenirs que je n’oublierai jamais.»