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« Au quotidien, il aime se présenter comme un Robin des bois » : Roberto De Zerbi, l'entraîneur qui ne cesse de se revendiquer du peuple
Amoureux de la culture ultra, l'entraîneur marseillais Roberto De Zerbi ne cesse de se réclamer du peuple et adore faire la guerre aux puissants, sans craindre la démagogie.
Après des journées en haute altitude, passées à imaginer les meilleurs moyens de contrarier les puissants, Roberto De Zerbi va se trouver ce mardi dans une position plus confortable, qui lui sied pourtant moins : recevoir l'Ajax Amsterdam (21 heures), l'un des adversaires les plus abordables que lui offre cette saison le programme de la Ligue des champions, ce n'est pas visiter le Real Madrid ou accueillir le PSG.
Battu en Espagne (1-2, le 16 septembre), l'entraîneur marseillais a su sortir vainqueur du Classique six jours plus tard (1-0), et il n'a pas cherché à cacher qu'il s'agissait pour lui d'une émotion particulière. Il l'a plutôt revendiqué : « Je suis venu ici pour le Vélodrome et pour battre le PSG, l'équipe qui représente le pouvoir, qui gagne sans rival depuis des années, ce que je n'accepte pas dans ma philosophie. Moi, le pouvoir, je n'aime pas ça. »
Rien de mieux pour fédérer un large soutien dans une ville qui s'érige volontiers contre la centralisation, mais rien de nouveau non plus pour De Zerbi. À 46 ans, il n'a pas attendu de s'installer à Marseille, en juillet 2024, pour inscrire son travail dans une dimension sociale, voire politique. Avec deux passions déclarées, « le foot et les cigarettes », il ne lit toutefois pas Karl Marx à la lumière de sa lampe de chevet, mais il se pose régulièrement en incarnation d'une certaine idée de son sport, avant tout populaire.
Devant ses joueurs et face aux micros, De Zerbi répète qu'il vient de la rue et mène une vie sans ostentation, centrée sur sa passion du jeu et son amour des tribunes, transmis par son père, ultra de Brescia. Il adore d'ailleurs communier avec les virages du Vélodrome, au milieu de ses joueurs, aussi expansif qu'ils peuvent l'être.
« Il est issu d'un milieu modeste et le succès ne lui a pas fait oublier ses valeurs. Il sait de quel côté de la barricade il se trouve : avec le peuple. Il éprouve un profond mépris pour ceux qui se croient supérieurs à ceux d'en bas, explique Salim Lamrani, ancien interprète de Marcelo Bielsa, qui a passé cinq semaines aux côtés de l'Italien, la saison dernière, pour écrire son livre Le football selon Roberto De Zerbi (Éditions Marabout). Avec Marcelo Bielsa, ils ont le même attachement pour les gens d'en bas. Même s'il appartient à une classe ultra privilégiée, il est resté fidèle aux siens. Il se rangera toujours du côté des plus faibles et des plus vulnérables. »
Sa carrière lui permet de tisser ce fil et d'affermir sa stature d'outsider permanent, car il n'a entraîné que des équipes moins fortes que la concurrence, à Foggia pour commencer en Serie C (2014-2016), ou à Brighton pour découvrir la Premier League (2022-2024). Club du milliardaire Rinat Akhmetov, l'homme le plus riche d'Ukraine, le Chakhtior Donetsk fait figure d'exception dans le parcours de De Zerbi.
Mais là-bas aussi, il n'a pas raté une occasion de jouer la carte du petit contre le gros, sans craindre les contradictions. « Nous avons quelque chose que Monaco n'a pas : du coeur et des couilles, avait-il ainsi asséné après la qualification en barrages de Ligue des champions, contre l'ASM (0-1, 2-2, en août 2021). Le coeur et les couilles ont comblé l'écart. Et ça, ça ne s'achète pas sur le marché des transferts. »
Son discours sombrait alors dans la démagogie mais son expérience en Ukraine était déjà éprouvée par les difficultés, à la tête d'un club qui devait déménager pour s'éloigner de la guerre du Donbass, avant même l'invasion russe en février 2022. De Zerbi a quitté le Chakhtior cinq mois plus tard, et son entourage le dit profondément marqué par cette année : « Là-bas, il a été confronté à la forme la plus violente que peut prendre le pouvoir, avec l'invasion russe. » Les blessures du pouvoir, encore et toujours, comme un écho à des failles plus intimes.
« Son caractère rebelle a été forgé par son histoire personnelle. Il a vécu dans sa chair le mépris des puissants lorsque son père a perdu son travail. Il n'a jamais oublié cette violence sociale, ni l'arrogance affichée par ceux qui détenaient le pouvoir, assure Lamrani. Il aurait pu être l'entraîneur de Manchester United (en 2024) si les dirigeants avaient fait preuve d'un peu plus de tact et de considération. Il n'accepte que les relations d'égal à égal, ne supporte pas la condescendance. »
Parti de Brighton en conflit avec ses patrons, il a des conversations animées avec ses supérieurs à Marseille, centrées sur le foot. En privé, il peut quand même oublier son obsession du ballon pour évoquer d'autres sujets qui reflètent sa mentalité. Lamrani l'a constaté : « Roberto De Zerbi est favorable à une répartition plus équitable des richesses et ne comprend pas comment une Europe aussi prospère peut abriter autant de pauvreté. Il est très sensible à la question palestinienne. »
Avec ses tatouages, il serait donc un ultra marseillais comme un autre, descendu du virage pour s'asseoir sur le banc, où il tient très peu en place. Son expulsion, en fin de match contre le PSG, vient parfaire cette image d'homme soumis aux mêmes pulsions que les supporters. « Au quotidien, il aime se présenter comme un Robin des bois, là pour donner des émotions à des gens qui n'ont pas les moyens, dans des villes pauvres. Il est très attaché à Foggia, où il a été fait citoyen d'honneur en juin, témoigne un habitué de la Commanderie. Il sait pertinemment que son discours va trouver un écho à Marseille, il ne peut pas se tromper dans ce registre. Mais ça lui plaît d'être David contre Goliath, et il avait sincèrement très mal vécu les défaites contre le PSG la saison dernière (0-3 et 1-3 en Ligue 1). Il ne voulait pas faire de la figuration, il voulait taper le PSG et la richesse du Qatar. »
Ainsi avance De Zerbi, avec sa part de calcul et sa sincérité, ses combats et ses contradictions, acteur à part entière d'un business qui lui a offert sa revanche sociale.