Information
Victor Wembanyama : « Si je peux changer la vie des gens »
Dans la nuit de jeudi à vendredi, l'ancien joueur de Boulogne-Levallois sera le premier Français à être sélectionné numéro 1 de la draft NBA. Mais son objectif ultime va au-delà du rêve américain. Il espère faire de la France, à terme, la plus grande nation basket du monde.
Au coeur du ballet incessant des yellow cabs new-yorkais sur Times Square, à quelques blocs du quartier général de la NBA sur la 5e Avenue, le visage de Victor Wembanyama est apparu en grand sur les panneaux.
Après trois jours comme autant d'ouragans émotionnels à New York, entre une arrivée de rock star à l'aéroport de Newark, un lancer protocolaire de la première balle de baseball au stade des Yankees et une plongée dans le métro local sous les flashes des officiers de police censés le protéger, il est l'heure.
La nuit prochaine, le prodige du Chesnay (2,23 m, 19 ans) sera convoqué sur l'estrade du Barclays Center de Brooklyn. Adam Silver, patron de la NBA, prononcera son nom avant de lui remettre une casquette frappée du logo des San Antonio Spurs.
Escorté par une folie furieuse que la NBA n'avait plus connue depuis LeBron James en 2003 - il y a même match, estiment beaucoup d'observateurs locaux -, « Wemby » va devenir le premier Français à être sélectionné numéro 1 de la draft.
Point de départ d'une carrière dont à peu près tout le monde - on a rarement vu si peu de haters accompagner les débuts d'un sportif aussi médiatisé - fantasme qu'elle marquera l'histoire.
La tête déjà dans les nuages, au-dessus de l'Atlantique dans le vol qui le conduisait vers son destin, ce lundi, Victor Wembanyama a accordé à L'Équipe un entretien de quarante-cinq minutes. Pour lui, « chaque record - même les 100 points de Wilt Chamberlain - est fait pour être attrapé ».
S'il préfère ne pas dévoiler ce qui ferait selon lui une première saison ou une carrière réussies - « le plus de bagues possible », tout de même -, il a confié l'un de ses rêves : faire de la France la plus grande nation de basket au monde. Ou, comme il l'a joliment formulé : « Instaurer le règne français. »
« Comment dormez-vous ces derniers jours ?
(Il rit.) Bien, mais peu depuis la fin de saison (défaite 85-92 en finale avec Boulogne-Levallois contre Monaco jeudi dernier). Pendant l'année, il n'y a pas une minute de sommeil à sacrifier pour quoi que ce soit en dehors de la compétition. Maintenant, avec toute l'organisation que nécessite la draft, je dors beaucoup moins. Ce n'est pas une histoire de stress. Même si l'excitation m'empêchera de fermer les yeux la veille, c'est sûr.
Est-ce qu'à l'approche du grand jour, vous avez reçu un cadeau particulier ?
Je n'ai jamais eu autant de gens qui me disaient, en même temps, qu'ils étaient fiers, m'envoyaient des messages. J'ai pu voir ma famille proche avant de partir, sauf ma soeur (Eve), en équipe de France 3x3, qui va nous rejoindre. C'est ça, le cadeau, pas un objet, mais avoir eu ce moment avec eux.
On vous sait grand lecteur. Vous trouvez le temps ?
Bien sûr. J'ai fini les deux premiers livres des Archives de Roshar. Des pavés de 850 pages chacun. Je les ai terrassés, tout comme le volume 2 de The Witcher (deux séries d'heroic fantasy, genre dont il est friand) la semaine dernière. Et je suis dans Le Problème à trois corps (saga SF chinoise), de la science-fiction, mais pas traditionnelle. J'ai besoin que ce soit différent, de ne pas avoir l'impression d'avoir déjà vu ou lu ça. Comme pour tout. C'est une des clés de mon existence.
Votre existence s'apprête à changer. C'est le premier jour de votre nouvelle vie ?
(Il réfléchit.) Non, je pense que le premier jour sera le 22 juin, soir de la draft. Là, il y aura vraiment une troncature.
Racontez-nous votre basculement dans une nouvelle ère. On vous a vu très ému le 9 mai lors du match des Mets à Nanterre, votre club formateur, par exemple...
Je n'ai pas de honte à pleurer, c'est une manière comme une autre d'exprimer ses émotions, comme rire. Je ne me contiens pas, je suis libre. Il n'y a pas de raison de cacher ça. C'était incroyable, avec des fans que j'ai connus pendant des années, toujours assis à la même place et pour me dire au revoir.
« Wembyyy ! Wembyyy ! » Que vous évoque ce chant qui a rythmé la fin de votre première carrière ?
C'est un truc de fou. Pendant le match, c'est dur d'y penser, mais quand je vois les images après, ça donne des frissons. C'est spécial d'avoir autant d'impact sur les gens, même ceux que tu ne connais pas, et ceux qui n'avaient pas de place - je sais que c'était dur d'en trouver. (Il rit.) J'espère pouvoir toujours galvaniser la France ainsi. Je n'ai pas de regrets, avec les Mets, on a fait quelque chose qui n'avait jamais été fait. Ce n'est pas une fin, mais un début.
Qu'entendez-vous par là ?
Je ne parle pas que de moi. J'espère que prochainement, on pourra constater qu'il y a une distinction entre tout ce qui s'est passé avant et tout ce qui commence aujourd'hui, pour le basket français, sa place sur l'échiquier mondial. J'espère qu'on pourra, tous ensemble, instaurer le règne français.
Pouvez-vous développer ?
Je veux un règne français, pas comme Napoléon, hein ! (Il s'esclaffe.) Simplement que la France soit la plus grande nation basket au monde, durablement. Qu'on nous voie comme ça. Qu'on dépasse les USA, que ce soit eux qui se disent avant une compétition : on doit aller battre la France. Il va y avoir les Jeux à Paris, puis à Los Angeles. Un cycle ? Il est impossible de l'affirmer. Seul l'avenir le dira.
Un article d'ESPN rapporte des propos de vous évoquant votre désir de battre les États-Unis en finale des JO de Paris...
Ç'a été un peu sorti du contexte. J'imagine que ce n'était pas aussi spécifique. Bien sûr que ce serait le rêve, en tant que sportif en équipe nationale, de battre la plus grande nation en finale. Mais dit comme ça, on dirait une provocation.
Et vous ne voulez pas provoquer ?
Si, ça m'arrive, mais il faut que ce soit un peu maîtrisé. (Rire.)
Revenons à la draft. Lors d'une conférence de presse des Bleus, vous expliquiez que vous vous préparez à tout ce qui vous arrive « depuis votre naissance ». Qu'entendez-vous par là ?
Ce rêve, ces objectifs, on peut les avoir en soi dès la naissance. Je pense avoir toujours eu cette volonté et cette rage. Pas consciemment les premières années bien sûr. Mais c'est quelque chose qui m'habite et c'est ce qui me fait avancer. Depuis que je sais ce qu'est la draft, je veux être numero un.
Après la loterie, le 16 mai, vous avez également déclaré : « L'univers me l'avait dit » (que ce serait San Antonio)...
Je suis convaincu qu'il y a certains schémas dans l'univers, et qu'un moyen de réaliser ses rêves et de s'accomplir soi-même est de suivre ces schémas. Je me fie à cette conviction et ç'a toujours porté ses fruits. Plein de choses sont arrivées dans ma vie que je ne vois pas comme des hasards. J'avais cette certitude que les Spurs auraient le premier choix. Et j'en ai d'autres. Mais en parler avant peut faire foirer le scénario. (Rire.) Pour la loterie, j'avais fait une vidéo où je l'annonçais. Je ne l'ai montrée qu'après.
Est-ce que vous avez prévu quelque chose de particulier pour le grand moment, un objet, un accessoire ?
Il y aura une surprise. Je porterai quelque chose qui me représente, me ressemble. Ceux qui me connaissent vraiment ou s'intéressent pointilleusement à qui je suis, ce que je veux, pourraient deviner.
Comment visualisez-vous la montée sur l'estrade ?
Déjà, tu ne veux pas glisser sur la scène. C'est déjà arrivé ? Je préfère y penser le moins possible. (Rire.) Clairement, il y a une mystique, une énergie autour de la draft. Quand tu penses fort à quelque chose, longtemps, cela devient presque palpable. Ce moment où je vais entendre Adam Silver prononcer cette phrase, ça va être fort parce que ça germe en moi depuis des années.
Cela sera une draft record pour la France, si vous êtes numéro 1, si trois joueurs sont choisis au premier tour...
Le plus haut était Killian (Hayes, 7e en 2020), non ? Il risque d'être battu, et... même pas par moi (référence à Bilal Coulibaly). (Rire.)
Vous lui faites beaucoup de pub, à Bilal Coulibaly.
C'est normal de donner de la force à un ami. Et puis, surtout, c'est honnête.
Comment voyez-vous le jeu NBA auquel vous serez bientôt confronté, particulièrement après avoir rencontré des défenses physiques à la limite, comme celles de Charles Kahudi (Asvel) et John Brown III (Monaco)... Enfin libre ?
Je ne vais pas mentir, j'ai trouvé des fois que le terrain était trop petit en France. Il y a certaines choses qu'on autorise qui seront interdites en NBA. Mais cela ne me dérange pas d'avoir subi ça. Ce sont juste deux sports différents. Je pense que je vais m'épanouir davantage en NBA, avec plus d'espace, moins de prises à deux... Un monde n'est pas meilleur que l'autre. Il y a de meilleurs joueurs en NBA, mais une dimension tactique et coaching moindre qu'en Euroligue. Après, il y a des équipes qui jouent davantage avec ces qualités, comme San Antonio. Je n'ai pas de souci à me faire. Je suis sûr qu'un jour je finirai dans une de ces équipes. (Il éclate de rire.)
Vous vous êtes instruit sur l'histoire des Spurs de 2013, 2014 (champions cette année-là avec Tony Parker et Boris Diaw) ?
Je connais, bien sûr. Et c'est l'un des plus beaux baskets qu'il m'ait été donné de voir. C'est la quintessence, le paroxysme du basket collectif, où chacun rend ses coéquipiers meilleurs. Et gagner cinq titres en si peu de temps, ça dit quelque chose. Tony Parker m'a félicité et souhaité bonne chance. Pour moi, être dans une franchise où il y a cette tradition française, cette histoire avec TP, Gregg Popovich, et surtout la culture, c'est un avantage car un gage de stabilité. C'est le meilleur endroit pour moi.
Et quelques-uns des plus grands joueurs de l'histoire, Tim Duncan, David Robinson... Vous imaginez les dépasser un jour ?
Je vais devoir travailler mon bank shot (tir signature de Duncan, à 45° avec la planche) ! Tim est sous-coté par ceux qui classent les meilleurs de l'histoire, parce que pas assez flashy. Après, être le plus grand, ça se construit. Je ne peux pas dire ça aujourd'hui. Je veux déjà réussir à être le plus fort sur le terrain, jour après jour.
Quel est votre objectif en NBA : devenir une sorte de Michael Jordan européen ?
Inutile de vouloir aller trop vite. Avant de vouloir révolutionner quoi que ce soit, je veux être celui qui bosse le plus dur, participe le mieux à construire son histoire, celle de son équipe.
Cela paraît impossible, mais est-ce que vous rêvez du titre dès votre première saison ?
Bien sûr que je le veux. Mais uniquement en tant que compétiteur. Je ne connais même pas encore réellement la NBA. J'aborderai la saison avec humilité, en essayant d'apprendre le plus possible, pour gagner le plus vite possible.
Les play-offs feraient-ils déjà votre bonheur ?
On verra.
Une carrière réussie pour vous, ce serait quoi ?
Je n'ai pas encore la réponse.
Vous aimez vous démarquer. Comment le faire dans un contexte aussi concurrentiel que la NBA ?
Se démarquer est le seul moyen d'exister. Comment ? En étant moi-même à 100 %, un joueur sans aucun formatage, qui gagne aussi le plus de bagues possible.
Cela inclut de révolutionner les postes de jeu et évoluer à l'aile, voire à la mène ?
Vincent Collet (son entraîneur à Boulogne-Levallois et en équipe de France) m'a beaucoup fait travailler le poste de meneur et il m'est arrivé de l'occuper. Je ne vois pas ça comme une révolution. C'est une vision personnelle, ma personnalité. Personne ne m'empêchera d'être capable d'évoluer à tous les postes.
Les records, comme les 100 points de Wilt Chamberlain en 1962, est-ce quelque chose qui excite votre instinct de compétiteur ?
Bien sûr. Chaque record, même s'il y en a des très compliqués à aller chercher comme celui-là, est fait pour être attrapé.
Gagner avec de multiples franchises ou passer toute votre carrière sous les mêmes couleurs : de quel parcours rêvez-vous ?
La loyauté est un principe important dans le sport, et qui me touche. C'est pour ça que je suis resté longtemps à Nanterre (de 2014 à 2021) alors que j'aurais pu aller à Barcelone, et ailleurs, bien plus tôt. Mais sincèrement, n'étant même pas rookie, je n'ai pas mon mot à dire. Je ne sais pas ce que sera demain.
La crainte des blessures semble, pour tous les observateurs, planer au-dessus de vous. Est-ce une angoisse ?
Pas du tout, parce que par rapport à d'autres joueurs de ma taille, je fais, comme toujours, les choses différemment. Il n'y a pas eu de joueurs comme moi. Avec Guillaume (Alquier, son prépa physique), par exemple, on travaille sur des amplitudes proches de la blessure, pour que le corps soit préparé.
Vous êtes déjà une star. Mais quel type de star voulez-vous devenir ? Une bling-bling à l'américaine ou un MVP à la manière de Nikola Jokic, qui une fois sacré retourne faire des courses de chevaux et se fiche de perdre son trophée de champion ?
(Il rit.) Un entre-deux. Le bling-bling ne m'intéresse pas. Jamais tu ne me verras porter des vêtements chers parce qu'ils sont chers, ou à la mode parce qu'ils sont à la mode. Je m'habille seulement avec ce que je trouve beau. C'est pour ça que, dans ma tenue à la draft, il y aura une surprise. Gagner de l'argent sert à pouvoir dépenser sans se soucier du prix des choses. Depuis longtemps, je me dis que l'argent ne doit pas être une problématique. Et il ne le sera pas. Je savais que je serais riche. Mais acheter des marques de luxe, des yachts, aller dans des pays exotiques, je n'en ai rien à faire. La seule raison d'être de tout ça est de prendre soin des miens, et si je peux changer la vie des gens.
Vous comptez également le faire sur la scène internationale ? Vous verra-t-on bien à la Coupe du monde avec les Bleus ?
La volonté est toujours là. Même s'il faut faire les choses dans l'ordre et que je discute avec ma franchise.
Vincent Collet a dit qu'il comptait sur vous pour vite endosser le rôle de leader qui était celui de Tony Parker à son époque. Cela vous inspire quoi ?
La première fois que je suis allé en sélection, en Lituanie (le 11 novembre 2022, victoire 90-65, 20 points, 9 rebonds pour lui), j'ai été surpris par le volume de responsabilités que j'ai eues d'entrée. J'essaie d'être humble. Il y a ceux qui ont plus d'ancienneté, des choses à respecter. Hormis au Mondial des moins de 19 ans en 2021 - dont la défaite en finale contre Team USA me ronge toujours -, je n'avais jamais eu un tel rôle. Mais l'équipe de France, c'est la dévotion. Si tu enfiles ce maillot, c'est pour tout sacrifier. Je suis prêt à assumer n'importe quel rôle.
Kobe Bryant, l'une de vos idoles, se disait habité par une rage, une motivation profonde d'aller toujours plus loin, d'être le meilleur. Et vous, pourquoi faites-vous tout ça ?
La réponse la plus simple, c'est se réaliser soi-même. C'est presque un scénario écrit pour moi. Et il n'y a rien qui pourra m'empêcher de suivre le script. Ou me détourner de ce que je veux accomplir. »