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Les South Winners de l’OM, des ultras influents
Le plus puissant groupe de supporteurs de l’Olympique de Marseille joue un rôle qui dépasse largement l’enceinte du Stade-Vélodrome. Entre engagement social et opportunisme politique, ses membres sont devenus des acteurs incontournables de la cité phocéenne, malgré plusieurs débordements de violence. A l’image de leur charismatique leader, Rachid Zeroual.
Les ors de la République brillent de mille feux ce 23 février dans la grande salle de réception de la préfecture des Bouches-du-Rhône. La préfète de police, Frédérique Camilleri, célèbre son départ de Marseille, trois ans et trois mois après sa prise de fonction. Nommée dans l’Essonne, elle convie ce vendredi les principales personnalités d’une ville bouillonnante, dans laquelle elle a dû affronter le narcobanditisme, d’inédites émeutes urbaines et quelques éruptions sociales. Au milieu des grands élus locaux et des représentants des forces de l’ordre et des institutions, une barbe à la blancheur immaculée se détache. A quelques pas de la secrétaire d’Etat chargée de la citoyenneté et de la ville, Sabrina Agresti-Roubache, à qui il a claqué la bise en arrivant, se tient Rachid Zeroual, le leader des South Winners, principal club de supporteurs de l’Olympique de Marseille (OM).
A priori déroutante, la présence du plus célèbre des ultras marseillais aux adieux de la patronne des forces de police prouve que celui qui s’est un jour vanté de pouvoir « faire sauter les présidents de l’OM » s’est construit une place qui va bien au-delà du football. Intouchable, le chef des Winners, comme le martèlent ses détracteurs ? Incontournable plutôt, après trente-sept ans de ferveur dans les stades, d’activisme social dans les rues de Marseille et de militantisme politique en coulisses. « On a travaillé avec la préfète sur plusieurs dossiers. Il y a eu du respect… Je pense que c’est pour ça qu’elle m’a invité », subodore, après coup, celui que toute la ville appelle « Rachid ».
Il y aurait pourtant quelques raisons pour que ce quinquagénaire éruptif à la voix rocailleuse et au teint de cuivre ne fasse pas partie des VIP du jour. Comme sa condamnation à neuf mois de prison, dont cinq avec sursis, dans l’affaire de l’attaque de la Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM, en janvier 2021. La troisième peine de prison ferme de sa vie après celles infligées pour des violences entre supporteurs marseillais, en 2003 et en 2009. Dans le dossier, il a fait appel et se défend toujours d’avoir diligenté l’assaut du centre par les trois cents ultras et le déluge de fumigènes, de mortiers d’artifice et de pétards qui a choqué Marseille et provoqué le départ de l’ex-président du club Jacques-Henri Eyraud.
Puis, à la rentrée 2023, il y a aussi eu cette polémique nationale au cœur de laquelle il s’est retrouvé. Fâchés par un morne début de saison, une humiliante élimination au tour préliminaire de la Ligue des champions et par l’augmentation du tarif des abonnements, les responsables des sept groupes de supporteurs de l’OM expriment, le 18 septembre, leur colère à la direction du club. La réunion est tendue. Le président, Pablo Longoria, successeur d’Eyraud, en sort sonné. L’entraîneur, l’Espagnol Marcelino García Toral, démissionne dans la foulée.
« Continuez à baver sur nous, on s’en fout »
Au micro de RMC, le champion du monde 1998 Christophe Dugarry – dont le passage à Marseille fut chaotique – fulmine : « C’est Zeroual qui décide ! » Sur les chaînes de débat en continu, le supporteur est accusé d’avoir proféré des menaces de mort, de faire pression sur les responsables du club pour défendre des intérêts personnels, de vivre financièrement sur le dos de l’OM… En un mot, d’être trop puissant. Le parquet de Marseille s’autosaisit et lance une « enquête préliminaire pour menaces et intimidations ».
« On cherche à m’attribuer un rôle qui n’est pas le mien et à me donner l’image d’un leader négatif. Peut-être l’ai-je été sur certaines actions dans ma vie… Mais, dans cette histoire-là, je ne suis pas celui qui a gueulé le plus fort », répond l’intéressé, qui n’est, officiellement, que vice-président de son association. Neuf mois plus tard, la tempête est passée et Rachid Zeroual est toujours là. Pablo Longoria a reconnu dans une interview à RMC Sport qu’il n’y avait pas eu de menaces de mort. Aucun Winner n’a été entendu par la justice et le bureau du procureur répond, laconique, que « l’enquête préliminaire se poursuit ».
« Votre haine, notre fierté. » Le 5 octobre 2023 au Stade-Vélodrome, les South Winners dévoilent leur réponse à tous ceux qui ont critiqué leur chef. A quelques minutes du match de Ligue Europa entre l’OM et les Anglais de Brighton, l’immense message sur fond noir couvre lentement tout le haut du virage sud, l’antre du groupe. « Ça veut dire, continuez à baver sur nous, on s’en fout, on avance… », traduit Rachid Zeroual. A 53 ans, aux prises avec un cancer depuis 2016, l’ancien gamin des quartiers nord se moque bien qu’une partie de la ville et du pays s’agace de ses coups de gueule cycliques et le considère comme une caricature marseillaise : « Ça les fait chier de voir un mec des quartiers qui a réussi ? Je suis fils d’immigrés, j’ai combattu les fachos dans tous les stades de France, je ne me cache pas. »
Le culte de Bernard Tapie
Créé en 1987, son groupe n’est pas le plus ancien du Stade-Vélodrome… Mais en est devenu le plus structuré et le plus influent. Aujourd’hui, l’association emploie cinq salariés et revendique plus de huit mille membres qui s’acquittent d’une adhésion annuelle à 35 euros. Elle possède son local, un hangar entretenu avec une précision militaire dans le quartier de la Belle-de-Mai (3e arrondissement), où la voix du vice-président tonne comme celle d’un général. Pour autant, Rachid Zeroual n’est pas salarié de son association et assure qu’il ne vit aujourd’hui que de sa pension d’invalidité.
Ici, on vénère Bernard Tapie, décédé en 2021, dont le portrait, légendé « Le Boss pour l’éternité », occupe tout un mur. L’ancien président de l’OM (1986-1994) a fait beaucoup pour le développement des groupes ultras, leur concédant, cas unique dans le monde, la vente des abonnements à leurs adhérents dans les deux virages du stade, les tribunes les plus populaires, placées derrière les buts. Pour Rachid Zeroual, Bernard Tapie, c’est aussi celui qui donne son feu vert, à la fin des années 1980, quand les Winners, groupe antiraciste et cosmopolite qui a fait du portrait de Che Guevara un de ses symboles, décident de sortir manu militari les supporteurs d’extrême droite du Stade-Vélodrome. « En loucedé, Tapie m’a dit : “Je ne veux plus d’eux, fait le nécessaire” », se glorifie-t-il.
Trois décennies plus tard, l’OM court après son lustre passé et le club a récupéré en direct la commercialisation des abonnements dans les virages. Les Winners ont néanmoins négocié que sept mille deux cents d’entre eux soient réservés exclusivement à leurs adhérents. Et chaque saison, aux côtés des autres groupes, ils se battent pour que les tarifs – à partir de 180 euros au Stade-Vélodrome, contre 490 euros au Parc des Princes en 2023 – n’augmentent pas. Un moment où la voix forte de Rachid Zeroual porte plus que les autres.
Dévoués pour le meilleur et pour le pire
S’ils mènent souvent les frondes contre la direction de l’OM, les Winners ne se gênent pas pour investir d’autres champs. Lors des émeutes de l’été 2023, ils diffusent un communiqué officiel demandant aux jeunes Marseillais de « cesser ces actes de destruction de la ville ». Trois ans plus tôt, lors du premier confinement, ils organisent une distribution alimentaire dans les quartiers sud, à la cité de la Soude, d’où est originaire l’un des lieutenants de Rachid Zeroual, Hamza Baggour, lui aussi condamné – avec sursis – par la justice pour l’attaque de la Commanderie. « On se sent concernés par tout ce qui se passe à Marseille. On a un rôle à jouer dans notre ville. On veut la valoriser », explique ce dernier, visage en lame de couteau et catogan, dont le charisme a séduit les castings des films Corniche Kennedy (2016) ou Stillwater (2021).
Défendre l’image de Marseille, coûte que coûte. Le credo est à double tranchant. Rachid Zeroual peut faire déployer avec le même élan une immense banderole de soutien au professeur Didier Raoult (en 2020, devant l’institut hospitalo-universitaire Méditerranée Infection), dont les dérives font hurler la communauté scientifique mondiale, comme réunir symboliquement, quelques jours après l’attaque du Hamas en Israël, le 7 octobre 2023, un rabbin, un imam et un prêtre sur le parvis de Notre-Dame de la Garde « pour dire qu’ici on veut vivre ensemble ». « Les Winners sont de vrais généreux, très famille, très protecteurs. Ils font du bien à beaucoup de jeunes perdus qui y trouvent un cadre », témoigne Ahmed Heddadi, adjoint au maire délégué à la vie associative, qui les a découverts en 2020 après son élection avec le Printemps marseillais.
Dans les salons du Stade-Vélodrome, où Samia Ghali, maire adjointe divers gauche chargée des grands événements, est venue dévoiler, le 15 janvier, les festivités pour l’accueil de la flamme des Jeux de Paris 2024, les Winners, installés au deuxième rang, la couvent des yeux. L’élue leur a confié un rôle important : le 8 mai, quand le monde entier aura le regard tourné vers le Vieux-Port, ils accueilleront le Belem, le trois-mâts qui convoie le feu olympique depuis la Grèce, avec un tifo géant et des fumigènes. L’une des premières images que la télévision retransmettra.
« Les Winners, c’est la ferveur de cette ville. Ils sont prêts à tout pour l’OM et pour Marseille… Avec parfois, c’est vrai, des maladresses. Mais ce ne sont ni des violents ni des voyous. Et moi, je les sollicite pour tout », défend Samia Ghali. L’ex-sénatrice socialiste ne cache pas son amitié avec leur leader : « C’est une grande gueule, il s’appelle Rachid et il est marseillais… Donc, tout est retenu contre lui. »
Dans son bureau de l’archevêché de Marseille, au pied de la Bonne-Mère, le père Xavier Manzano se souvient parfaitement du jour où il a contacté Rachid Zeroual et les siens pour préparer l’entrée dans le Vélodrome du pape François, invité, en septembre 2023, à venir célébrer une messe dans le stade marseillais. « On s’est dit que le pape, qui est lui-même un supporteur de football et aime les manifestations populaires, serait heureux d’être accueilli comme ça », se souvient le vicaire général du diocèse de Marseille.
Sollicités dès l’été 2023, les Winners répondent au quart de tour. Ils réaliseront une voile dédiée au Saint-Père, l’archevêché la paiera. Elle sera dessinée par le graphiste du groupe, un Algérien en attente de régularisation qui, depuis Marseille, continue également de fabriquer les tifos de son club d’origine, le Mouloudia d’Alger. « Nous avons été très touchés par la simplicité de leur investissement. Cet enthousiasme symbolise bien le génie de cette ville. Le créateur du tifo est musulman, comme une bonne partie des membres du groupe. Et ça, c’est profondément Marseille ! », poursuit, emballé, le père Manzano. Le vicaire général reconnaît avoir eu « quelques inquiétudes » quand l’affaire Longoria a éclaté cinq jours avant la célébration papale. « Mais les choses se sont rapidement tassées », constate-t-il, soulagé.
La branche égalité des chances
Mercredi 20 mars, c’est une autre des initiatives « hors stade » des South Winners qui a droit, à nouveau, aux honneurs de la préfecture. Sous les lustres de cristal qui pendent du plafond peint, les membres du Protis Club sont assis le long d’interminables tables nappées de velours rouge. Une trentaine de lycéens, garçons et filles tirés à quatre épingles, écoutent avec respect pendant près de deux heures le préfet de région Christophe Mirmand, le préfet à l’égalité des chances Michaël Sibilleau et la sous-préfète chargée du plan Marseille en grand, Virginie Avérous. Soit le top trois des services de l’Etat dans la cité phocéenne.
« Les initiatives telles que les vôtres nous intéressent particulièrement », assure le préfet Michaël Sibilleau. Né un soir de 2022 dans le local des Winners, le Protis Club est un objet curieux. Une association qui mélange depuis deux ans des lycéens issus de tous les arrondissements de Marseille et les accompagne dans leur parcours scolaire et humain. Avec pour objectif final de les propulser vers les grandes écoles. « Avec Rachid, on s’est dit qu’il fallait faire quelque chose pour réduire la fracture sociale de cette ville et aider les gamins des quartiers défavorisés qui ont un fort potentiel à accéder aux meilleures formations », se rappelle Jules Sitruk, 25 ans.
Cheveux blonds, yeux clairs et look de fils de bonne famille, cet étudiant en dernière année à HEC est un membre actif du noyau des Winners depuis 2019 et le moteur du Protis Club. « L’idée est d’utiliser la passion de l’OM comme vecteur d’ambition. Quand ils me voient dans le virage avec eux, les jeunes ont plus tendance à m’écouter qu’un prof de leur lycée », assure-t-il.
Sous les dorures de la préfecture, Rayane Mamane, 20 ans, titulaire d’un des tambours des Winners depuis deux ans et demi, confirme : « Jules savait que j’avais décroché de ma terminale pro et que j’étais un peu paumé… Un soir, après un match, il m’a proposé d’intégrer le Protis Club et ça a changé ma vie. » Le jeune homme, originaire de la cité difficile de la Maurelette (15e), a repris ses études et passe son bac : il espère désormais intégrer dès la rentrée 2024 une « prépa économie et social ». Repéré au sein du Protis, son camarade Karim Benguedih, 17 ans, membre lui aussi des Winners, a été invité à plusieurs reprises aux Rencontres jeunesse de Matignon autour d’Elisabeth Borne. « Jamais je n’aurais imaginé pouvoir parler à la première ministre », lâche-t-il.
En deux ans, le Protis a séduit HEC, la fondation du sponsor de l’OM, la compagnie maritime de fret CMA CGM ou encore le délégué interministériel à la jeunesse, Mathieu Maucort. Il compte parmi ses intervenants le général Pascal Facon, ancien patron de la force « Barkhane » au Sahel… Qui depuis son installation à Marseille s’est abonné aux South Winners. « On aimerait convaincre l’Etat d’inclure, dans le plan Marseille en grand, la création d’un nouveau modèle de classe préparatoire où seraient accueillis les élèves du Protis », poursuit Jules Sitruk. Une idée qui, grâce au réseau du groupe, est remontée jusqu’au président de la République.
Pragmatisme politique
Quand Emmanuel Macron arrive à la cité des Campanules, en juin 2023, il ne peut guère manquer le message de bienvenue, lettres bleues sur fond blanc, accroché le long de la route. Le chef de l’Etat vient inspecter les avancées de Marseille en grand, lancé en septembre 2021. Au pied des tours de cet ensemble du 11e arrondissement, une petite délégation de militants et d’habitants, sélectionnée par la néodéputée et future secrétaire d’Etat à la citoyenneté et à la ville Sabrina Agresti-Roubache, patiente au soleil. Au bout du rang, Rachid Zeroual, Hamza Baggour et quelques Winners attendent leur tour pour saluer Emmanuel Macron. « Aidez-nous, on souffre », glisse le premier en lui empoignant la main un court instant.
« Sabrina est une amie de mon neveu. Elle nous a proposé de faire la banderole et de voir le président. Moi, je voulais lui parler de l’OM et lui dire de nous trouver un nouveau propriétaire », raconte Rachid Zeroual. Il en est sûr : Emmanuel Macron peut l’aider à exaucer son rêve. Que l’Américain Frank McCourt s’en aille et que l’Arabie saoudite et ses moyens illimités investissent dans le club. « Les Saoudiens, ils sont bienvenus à l’Elysée, non ? », poursuit-il, évoquant la visite du prince Mohammed Ben Salman, en France, à l’été 2023.
Depuis leur création, les Winners ne craignent pas d’interpeller les politiques. Une méthode qui agace dans le milieu ultra. « Comment peut-on afficher le portrait de Che Guevara dans sa tribune et serrer la main de Macron ? », interroge un habitué du Stade-Vélodrome, qui réclame l’anonymat pour « ne pas se fâcher avec Rachid ». « Je parle avec tous ceux qui sont élus par le peuple, sauf l’extrême droite. Je me rapproche d’eux quand je veux régler des problèmes au stade ou ailleurs, mais je ne politise rien », rétorque l’intéressé.
Au côté de Jean-Claude Gaudin
L’histoire des élections locales déroule pourtant un tout autre scénario. En 2014, les Winners se rangent résolument derrière Jean-Claude Gaudin, en campagne pour sa réélection. Le maire UMP n’aime pas le football, mais, quand on l’invite au local de la Belle-de-Mai, il s’y rend avec gourmandise, accompagné de Vincent Labrune, président de l’OM et futur patron de la Ligue de football professionnel, et de l’entraîneur José Anigo. Dans la grande salle pleine de journalistes, Rachid Zeroual a fait dresser un buffet de gâteaux. « On m’a dit que Gaudin adorait ça. Il devait rester dix minutes. Au final, il est resté deux heures », s’amuse-t-il.
Le but est de bloquer la route du challengeur socialiste Patrick Mennucci, qui raconte à tout Marseille que, sitôt élu, il vendra le Stade-Vélodrome au privé. Une hypothèse dont ne veulent pas entendre parler les supporteurs, inquiets pour le tarif de leur sacro-saint abonnement. Accessoirement, il s’agit aussi de faire plaisir à Jean-Noël Guérini, président socialiste du département et soutien historique des Winners, en guerre contre son ancien lieutenant. Un soir de match OM-Nice, Rachid Zeroual apprend que le candidat PS sera présent dans les tribunes du Vélodrome. Il fait préparer une banderole : « P.M. : vends ta maison et pas le stade ! » Tout Marseille glousse. « Les Winners sont des militants UMP », grince le futur vaincu.
Six ans plus tard, Jean-Claude Gaudin à la retraite, c’est à son héritière, Martine Vassal, candidate Les Républicains (LR), que le groupe donne un coup de main lors de la campagne de 2020. Il faut dire que la présidente du conseil départemental subventionne les Winners depuis qu’elle a accédé au pouvoir, en 2015. Echarpes autour du cou, on voit donc des Winners tracter pour la liste portée par Jean-Philippe Agresti, ami des époux Macron et futur mari de Sabrina Roubache, ou faire des vidéos de soutien à Solange Biaggi, la candidate de Martine Vassal dans le 2e secteur.
« Je les ai sollicités, reconnaît la conseillère municipale LR. Mais ils ont vite senti le vent tourner et m’ont beaucoup moins aidée qu’en 2014. » Le vent, c’est celui du Printemps marseillais, la coalition de gauche, citoyenne et écologiste qui va finalement prendre la ville. Ironie de ces élections, c’est finalement grâce à la gauche que les Winners voient, pour la première fois, un de leurs adhérents être élu à des fonctions municipales.
Dans son bureau de maire du 2e secteur, avec vue sur la cathédrale de la Major, le socialiste Anthony Krehmeier conserve à portée de mains son matériel d’ultra. Echarpes bleu et blanc, tee-shirts, vieux billets de matchs et un sweat-shirt du groupe, dans lequel il se glisse quand il s’accorde quelques minutes de sieste. Sur son smartphone, l’élu de 37 ans montre l’extrait d’un documentaire tourné par Arte en 2003 où il apparaît quelques secondes, bouille d’ado et tignasse peroxydée, chantant dans le virage sud. « J’ai commencé à fréquenter la tribune vers 14 ans. Les South Winners ont été très importants dans mon éveil politique. Le discours antiraciste, la tribune cosmopolite… Et la figure du Che, dont j’ai découvert l’histoire grâce à eux. Tout cela m’a emballé », raconte-t-il.
En 2014, il se souvient toutefois avoir « mal vécu » le passage de Jean-Claude Gaudin au local du groupe. « Mais c’était Gaudin… Il savait parler aux classes populaires », concède-t-il. Aujourd’hui, le socialiste dit de ne pas savoir pourquoi les Winners ont soutenu la candidature de Martine Vassal. Mais, sitôt élu, il a bien pris soin de retourner voir les leaders du groupe pour leur rappeler leur passé commun. Depuis, Anthony Krehmeier est l’un des relais entre les Winners et la nouvelle majorité. « On les aide quand ils ont besoin de passeports en urgence ou pour les papiers de leur graphiste… Des petites choses qu’on fait aussi pour d’autres », explique-t-il.
Benoît Payan en VIP dans le virage sud
Le 30 mai, c’est lui qui sert de poisson pilote à Benoît Payan, le maire divers gauche de Marseille, dont il est très proche, quand ce dernier pénètre dans le virage sud. L’OM joue contre Brest son avant-dernier match de la saison en Ligue 1. Les Winners veulent remercier Benoît Payan d’avoir organisé une grande fête sur le Vieux-Port pour l’anniversaire des 30 ans de la victoire en Coupe d’Europe, le 26 mai 1993. Et de les avoir soutenus dans leur idée folle d’illuminer les 21 kilomètres du littoral marseillais dans un long ruban de huit mille fumigènes. Echarpe orange – la couleur du groupe – autour du bras, bleu de chine sur le dos, le maire grimpe sur la sono, micro en main. Et, hilare, entonne un des chants du Vélodrome : « Nous sommes les Marseillais ! »
La séquence déclenche les foudres de la droite locale et fait sourire la majorité. « Un maire de Marseille dans le virage, cela ne s’était jamais vu, se réjouit l’adjoint Ahmed Heddadi. Il n’a pas cherché à instrumentaliser les supporteurs, juste à leur donner la considération qu’ils méritent. » Depuis, Benoît Payan s’échappe parfois de sa loge pour vivre les fins de rencontres autour de la sono des Winners. Un carré VIP fréquenté par d’autres personnalités, comme le délégué interministériel à la jeunesse, Mathieu Maucort, et l’humoriste Redouane Bougheraba, pour qui les Winners viennent de confectionner un tifo à sa gloire, provoquant de vives critiques parmi certains supporters.
« Les politiques pensent tous jouer avec Rachid, mais c’est lui qui joue avec eux. C’est un tacticien habile », grince Renaud Muselier, le président Renaissance de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur. Après des années de bonne entente, où il donnait joyeusement l’accolade au patron des Winners, celui dont on a oublié qu’il fut vice-président de l’OM de 1995 à 1997, est désormais l’un des rares ennemis du groupe d’ultras dans le milieu politique marseillais. « J’ai été le seul à dire publiquement que ce qui s’est passé avec Pablo Longoria était inacceptable. Qu’on ne pouvait pas laisser le club aux voyous. Si on montre que ce sont les supporteurs qui gèrent l’Olympique de Marseille, plus personne ne voudra venir ici », prédit l’ancien chiraquien.
Assis derrière son bureau, dont les ordinateurs, saisis lors d’une perquisition après l’envahissement de la Commanderie, n’ont toujours pas été rendus par la justice, Rachid Zeroual soupire : « A travers les Winners, Muselier vise Payan… Il se prend pour un grand stratège. » Par l’intermédiaire de son avocate, le supporteur assure avoir déposé une plainte en diffamation contre le président du conseil régional en décembre 2023. Mais il n’a toujours pas réglé le cautionnement qui lancerait la procédure. « Deux mille euros, je n’ai pas les moyens », précise-t-il en souriant. Malgré les sollicitations qu’il dit venir de tous bords, le leader ultra jure qu’il ne figurera jamais sur une liste électorale : « La politique, c’est trop dangereux. J’ai vu ce qu’ils ont fait à Tapie. »
Le Monde
par Dragan » 03 Avr 2024, 18:53 
