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Coups de feu, engins explosifs, tentatives d’extorsion : comment la mafia a pris possession de Foggia
À Foggia, le ballon rond ne rebondit plus innocemment. Derrière les projecteurs du stade Zaccheria, une autre partie s’est jouée ces dernières années — bien plus trouble, bien plus violente. La mafia locale, longtemps restée dans l’ombre des grandes organisations criminelles italiennes, a méthodiquement infiltré le club de football historique de la ville. Intimidations, menaces, extorsions : la prise de contrôle s’est faite dans le sang et la terreur, transformant un symbole populaire en instrument de pouvoir. Ce n’est plus seulement un club en crise sportive : c’est désormais le théâtre d’un système mafieux à ciel ouvert.
C’est une histoire qui fait froid dans le dos : la mafia de Foggia est en train de prendre possession du club de football de la ville à tous les étages. Fondé en 1920, Foggia a connu une histoire marquée par des hauts et des bas, alternant entre les divisions inférieures et quelques belles périodes en Serie A, notamment dans les années 1990 sous la direction du charismatique entraîneur Zdeněk Zeman. C’est à cette époque que cette écurie italienne s’est fait connaître pour son jeu offensif spectaculaire, surnommé le "Zemanlandia", qui a attiré l’attention des amateurs de football en Italie et à l’étranger. Foggia a alors formé plusieurs joueurs talentueux qui ont ensuite brillé dans de grands mastodontes. Roberto De Zerbi, ancien joueur des Satanelli, a d’ailleurs connu ses premiers succès d’entraîneur sur le banc de Foggia en Serie C de 2014 à 2016, remportant une Coupe d’Italie de Serie C en 2016. Après des années marquées par des difficultés financières et plusieurs faillites (1984, 2012 et 2019), le club a été reformé sous le nom de Calcio Foggia 1920 et évolue actuellement dans les divisions inférieures du football italien, souvent en Serie C. Malgré les obstacles, Foggia conserve une base de supporters passionnés et un attachement fort à son identité régionale. Son objectif est de retrouver progressivement les sommets du football italien, en misant sur un projet sportif solide et sur la valorisation des jeunes talents locaux.
Le Calcio Foggia reste un symbole de résilience et de ferveur populaire dans le sud de l’Italie. Voilà presque 10 ans que Foggia tente de retrouver la Serie B, alternant entre la troisième et la quatrième division. Le weekend dernier, les Satanelli ont échappé au pire en atteignant difficilement l’objectif de maintien en Serie C en remportant le match contre Messina. Mais en parallèle, dans les coulisses, une grande enquête, qui a été approuvée par le juge d’instruction et le tribunal de surveillance, est menée par la Police de Foggia. Elle précise que certains supporters et représentants directs du crime organisé de Foggia ont planifié et mené une longue campagne d’intimidation et d’actions violentes visant à contraindre le propriétaire de Foggia à démissionner et à abandonner le contrôle du club, en raison de son refus de confier à ces mêmes groupes les services de gestion du système de sponsoring et des accréditations pour l’entrée au stade. Mais aussi le contrôle des recrutements et des relations professionnelles. Et comme si cela ne suffisait pas, Foggia traverse une grande crise financière qui pourrait les empêcher de s’inscrire en Serie C la saison prochaine malgré le maintien.
Longue campagne d’intimidation et d’actions violentes !
Tout a commencé le 18 juin 2023, lorsque des coups de feu ont été tirés sur la voiture du capitaine de l’équipe de l’époque, Davide Di Pasquale. Ensuite, ce fut au tour d’Alessandro Garattoni, également capitaine à l’époque, de voir sa voiture détruite dans un incendie sur le parking de sa maison. Quelques jours plus tôt, deux cocktails Molotov avaient explosé devant les domiciles du directeur général Vincenzo Milillo et du manager de l’équipe Diego Valente. Alors que le 9 janvier 2024, Emanuele Canonico (fils du président Nicola et, à son tour, vice-président du club) avait trouvé un engin explosif près de sa voiture, une Audi Q5, garée dans la cour de l’entreprise familiale, à Modugno, dans la périphérie de Bari. Plus récemment, deux autres incendies criminels contre deux voitures utilisées par la direction de Foggia ont été déjoués, dans un cas, un mineur a été identifié comme l’auteur. Les objectifs de ces actions criminelles avaient même été rapportés sur une feuille de papier - une sorte de schéma - retrouvée par la police lors de perquisitions au domicile de l’un des suspects. Des épisodes qui ne laissent aucune place à l’interprétation : la pression exercée sur la direction porte la signature de la méthode mafieuse. Il s’agit d’intimidation avec un but précis : prendre le contrôle total du club. La Direction anti-mafia du district de Bari a conduit à l’exécution d’une ordonnance d’administration judiciaire contre le Calcio Foggia ainsi qu’à quatre arrestations pour tentative d’extorsion et à 52 Daspo, émis par le chef de la police de Foggia : Marco Lombardi (49 ans), Danilo Mustaccioli (48 ans), Massimiliano Russo (50 ans) et Fabio Delli Carri (48 ans), résidants dans la province de Foggia et accablés par des condamnations antérieures pour crime organisé et délits liés à la drogue, ont fini écroués. Ils sont accusés de tentative d’extorsion, aggravée par des méthodes mafieuses contre le président du Calcio Foggia, Nicola Canonico. L’ordonnance a été signée par la juge Antonella Cafagna, à la demande de la procureure de la République, Bruna Manganelli, et du procureur adjoint Francesco Giannella. C’est la première fois qu’un club de football est placé sous administration judiciaire en application de l’article 34 du Code anti-mafia.
Selon les conclusions de la Direction anti-mafia du district de Bari et du parquet national dirigé par Gianni Melillo, un groupe d’ultras - pas seulement des supporters, mais des personnes en liens directs avec le grand crime organisé des Pouilles - a tenté de saper la propriété du Calcio Foggia avec un seul objectif : la vente forcée du club, instrument non seulement de visibilité publique, mais aussi de pouvoir économique et territorial. Ce mardi matin, la police d’État a exécuté la mesure préventive d’administration judiciaire adoptée par la section des mesures préventives du tribunal de Bari contre le Calcio Foggia, sur proposition conjointe du procureur national anti-mafia et antiterroriste, du procureur de Bari et du commissaire de police de Foggia. Les enquêtes ont montré comment «des groupes ultras, qui sont une expression directe du crime organisé de Foggia, ont planifié et mené une longue campagne d’intimidation et d’actions violentes visant à forcer le propriétaire du club sportif Calcio Foggia 1920 à démissionner et à abandonner le contrôle du club, en raison de son refus de confier à ces mêmes groupes les services de gestion du système de sponsoring et des accréditations pour l’entrée au stade, ainsi que le contrôle des recrutements et des relations professionnelles au sein du club sportif». La police parle d’une campagne d’extorsion qui visait à « provoquer une vente forcée de l’entreprise pour une valeur bien inférieure à la valeur du marché » et réalisée à travers une « série déconcertante d’actes d’intimidation très graves, commis contre les acteurs de l’entreprise, ainsi que contre la gouvernance et le président de l’entreprise, également avec l’utilisation d’armes et de matériel explosif et avec des méthodes typiquement mafieuses». Dans le même temps, l’enquête a révélé de graves comportements contraires à l’ordre public, perpétrés par une série d’individus qui gravitent autour du monde des supporters de football organisés et de la criminalité à Foggia. Les documents saisis lors des perquisitions, tant papiers qu’échanges électroniques, avaient révélé l’existence d’un seul artisan derrière des épisodes apparemment sans rapport entre eux.
Le football n’est plus seulement une affaire de passion et de tribunes. Il devient, de plus en plus, un point d’entrée pour les réseaux criminels sous la forme d’un modèle organisé. Finies les simples banderoles et les chants de supporters : place à l’extorsion, au contrôle territorial et à des transactions chiffrées en millions de dollars. En arrière-plan, des clans, des gangs, des organisations structurées tirent les ficelles. Le ballon rond se transforme en levier de blanchiment, en outil de consensus social et en instrument de domination. Un terrain idéal pour ceux qui cherchent à asseoir leur influence à travers des structures populaires et puissantes. La situation économique de nombreux clubs italiens, déjà fragilisés, spécialement depuis la pandémie du Covid-19, ouvre la voie à ces infiltrations. Les caisses vides attirent les « sauveurs » venus de l’ombre : avances de fonds, soutien logistique, promesses de stabilité. Mais le prix à payer est lourd : silence, obéissance, concessions. C’est la stratégie de l’infiltration en douceur. Elle commence dans les gradins. Elle finit dans les conseils d’administration des équipes de football en crise. Déjà en 2017, la Commission parlementaire anti-mafia avait tiré la sonnette d’alarme : le football italien est vulnérable et en proie à la grande criminalité en raison de l’écosystème qui se chiffre en milliards d’euros, de l’opacité dans les transferts et du potentiel de marge de manœuvre. La Sport Integrity Global Alliance l’a réitéré : le risque de criminalité dans le sport est une réalité concrète, et il ne concerne pas exclusivement la Serie A et la Ligue des Champions. L’affaire Foggia est emblématique, car elle montre comment la pression et la passion peuvent devenir violence et peur. À Foggia, on ne parle plus de football sans baisser la voix. Les tribunes ont changé de visage, les couloirs du club ont l’odeur du silence, et les regards se détournent à la moindre question. Ce qui se joue ici dépasse le sport : c’est un avertissement, un signal glaçant que les mafias n’ont plus besoin de se cacher. Elles n’entrent plus par effraction. Elles s’installent, elles investissent, elles dictent les règles. Et pendant que le ballon roule, la peur s’installe. Silencieuse. Durable. Profonde.
FM