Information
RDC : l’histoire du contrat raté avec l’Olympique lyonnais
Malgré des discussions avancées entre la RDC et ce grand club du championnat de football français, le contrat n’a pas été conclu, laissant les acteurs du dossier amers. Coulisses.
Les autorités congolaises font feu de tout bois pour améliorer l’image de la RDC sur la scène internationale. Ses ministres du Tourisme et des Sports ont, ainsi, signé des partenariats avec l’AC Milan, l’ AS Monaco et le FC Barcelone pour promouvoir le pays, son tourisme et le développement du sport.
Parallèlement, le gouvernement a mené des discussions avec l’Olympique lyonnais (OL). Elles n’ont pas abouti, sur fond de rivalités entre intermédiaires. « Tout le monde voulait “manger”, mais personne ne voulait travailler », se souvient un acteur du dossier, qui se dit « dégoûté » par la tournure qu’ont pris les événements.
Luc Mangala, agent de joueurs et dirigeant de l’entreprise de consulting Global Touch, revendique la paternité du projet. Il envisage d’abord de solliciter l’Olympique de Marseille (OM), mais Pablo Longoria, le président du club, ne décroche pas son téléphone. Surtout, l’OM est déjà engagé avec Abidjan pour sa campagne « Sublime Côte d’Ivoir e ». Mangala jette alors son dévolu sur l’Olympique lyonnais, que dirige John Textor. Le patron américain se montre enthousiaste. Il voit dans cette opération une occasion de faire rentrer de l’argent dans son club, qui est en difficulté financière, et de mettre un pied en RDC pour y faire des affaires. Luc Mangala obtient mandat du club pour servir d’intermédiaire entre le 10 septembre 2024 et le 31 janvier 2025.
Imiter la campagne « Visit Rwanda »
L’OL, c’est le club de cœur de Francisco Mulongo, dit Cisco, un autre intermédiaire. Fan du défunt homme d’affaires français Bernard Tapie, amateur de cigares et de chaussures de luxe, Cisco Mulongo s’est constitué un solide réseau dans les milieux politiques. Il met en relation Luc Mangala et Didier M’Pambia, le ministre congolais du Tourisme. À l’origine, le projet vise à faire « la promotion et le développement du secteur touristique » de la RDC, quand bien même les voyages d’agrément y sont déconseillés par le Quai d’Orsay. Le porteur de projet veut imiter la campagne « Visit Rwand a », qui habille les joueurs des plus grands clubs européens, tels que le PSG, vainqueur de la dernière Ligue des Champions.
Une réunion par visioconférence est organisée, au début de juin 2024, entre Laurent Prud’homme, l’ancien directeur général de l’OL, le ministre congolais du Tourisme et Luc Mangala. Mais le ministre ne semble pas intéressé. Il prépare déjà son propre contrat avec le club italien de l’AC Milan.
Cisco Mulongo aide alors Luc Mangala à démarcher Didier Budimbu, le ministre des Sports, avec lequel il entretient des liens étroits depuis longtemps. Et, pour booster le dossier, il fait appel à Lydie Omanga, ancienne directrice de la communication à la Présidence, réputée proche du chef de l’État.
La tentation Tony Parker
Lydie Omanga fait partie d’une délégation qui se rend à Lyon, en août 2024, pour, pendant trois jours, visiter les installations et faire avancer les discussions. Elle prend par ailleurs contact avec Tony Parker, propriétaire du club de basket de l’Asvel : Eagle Football Group (ex-OL Groupe) est actionnaire de son équipe masculine à hauteur de 26,81%. Lydie Omanga voit grand : un projet omnisports qui inclurait le basket. Dans ce dossier, les acteurs affluent, les directives se multiplient.
L’arrivée de Tony Parker n’est pas du goût de tous les intervenants. Selon l’un d’eux, John Textor ne voyait pas d’un bon œil l’implication de ce proche de Jean-Michel Aulas, l’ancien président de l’OL. Du côté congolais, on se méfie aussi de l’ancien basketteur international. « Il venait davantage au Congo pour demander de l’argent que pour en apporter. On ne le sentait pas », commente notre source.
La mauvaise santé financière de l’OL décourage Tony Parker. L’ex-meneur des San Antonio Spurs préfère faire cavalier seul. Lors d’une audience à Kinshasa, à la fin de septembre 2024, il obtient du président, Félix Tshisekedi, de devenir l’ambassadeur du sport pour la RDC. Il envisage de dupliquer son académie de basket à Kinshasa pour dénicher et former des joueurs avant de les faire venir en Europe. Selon nos informations, il propose en outre de mettre son image au service de la RDC pour 4 millions de dollars.
Ce partenariat n’a donné aucun résultat à ce jour, faute de financement de la partie congolaise. « Parker aurait été trop gourmand et peu motivé », estime un observateur. « Il a envie d’être ambassadeur pour la RDC comme moi j’ai envie d’être curé », raille le témoin précité.
L’occasion manquée de Kinshasa
Exit Tony Parker. L’OL et le ministère des Sports poursuivent leurs discussions. Le ministre Didier Budimbu reçoit la délégation lyonnaise à Kinshasa, le 9 octobre. Laurent Prud’homme et Cyrille Groll, ancien directeur commercial du club, font le déplacement avec des maillots siglés « Destination R.D Congo » et « Expérience R.D Congo », flanqués d’un okapi.
« L’Olympique lyonnais s’engage pour le développement du sport congolais », s’emballe la presse locale. Les deux parties s’entendent sur une première version de contrat, mais rien n’est signé, et selon des témoins, les deux Lyonnais commettent un impair. Invités, dans la soirée du 10 octobre, à rencontrer Félix Tshisekedi au stade des Martyrs, à l’occasion d’un match RDC-Tanzanie, ils insistent pour prendre le soir-même l’avion qui doit les ramener en France. Une attitude dommageable pour les affaires, déplorent plusieurs acteurs du dossier. « S’ils étaient restés, leur deal aurait été signé », assure l’un d’eux.
Cette bévue n’enraye pas pour autant le processus. La direction lyonnaise invite la partie congolaise à Lyon, le 10 novembre, au derby OL-Saint Étienne. Le club veut signer un protocole d’accord. Pourtant, selon deux témoins, le conseiller juridique du ministère des Sports est absent, et la partie congolaise ne s’est pas penchée sérieusement sur le contrat. Le ministre du Tourisme, lui aussi invité mais en déplacement en Colombie, se fait représenter par son conseiller juridique. La présence de ce dernier aurait agacé la délégation du ministère des Sports, sur fond de rivalités. Un représentant du ministère des Sports dément cette version. « Nous ne sommes pas en concurrence », assure de son côté Didier Budimbu à Jeune Afrique.
Cinq jours plus tard, le 15 novembre 2024, la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG), l’arbitre financier du football français, ordonne la rétrogradation à titre conservatoire de Lyon en Ligue 2 pour sa mauvaise gestion financière – une décision annulée en appel au début de juillet suivant.
Une réunion est organisée à distance entre Didier Budimbu et Laurent Prud’homme pour rassurer les deux parties. Dans une ébauche de contrat, rédigée avant cette annonce, il est stipulé qu’en cas de relégation du club en Ligue 2, les deux parties conviennent de se rapprocher pour apporter des modifications audit contrat. Le club rhodanien demande 8 millions d’euros par saison pour un affichage dans le bas du maillot de l’équipe première évoluant en championnat de France, ainsi qu’une série d’avantages (affichages dans le stade, loges privées, accès privilégiés, billets pour les matchs, maillots et autres opérations marketing).
Le club était prêt à descendre à 6 millions d’euros, voire à 5 millions, selon deux sources proches du dossier. Le contrat devait courir jusqu’à la fin de la saison 2027-2028. La commission était de 13% du montant total, soit environ 2,8 millions d’euros, à partager entre intermédiaires, avec une part pour le ministre, selon un bon connaisseur du dossier. Finalement, rien ne sera signé. « Ça n’a pas marché car, à un certain moment, tout le monde a voulu se mêler du deal », croit savoir un autre proche du dossier. « C’est un mélange entre une incompétence manifeste et la volonté de se servir sur les commissions », déplore un autre. Pour Didier Budimbu, c’est le risque de la relégation qui a mis un terme aux négociations.
Michele Kang à Brazzaville
Ce projet avorté a débouché sur un conflit entre l’intermédiaire Luc Mangala et l’Olympique lyonnais, qui n’a pas reconduit son mandat après le 31 janvier 2025. Mangala affirme avoir été mis de côté par la direction de l’OL au profit de l’avocat lyonnais Thierry Braillard. Ce dernier, qui connaît Didier Budimbu et Cisco Mulongo, dément toute implication dans ce dossier. Ancien secrétaire d’État français chargé des Sports entre 2014 et 2017, il avait voulu organiser le Trophée des champions à Kinshasa en 2024. En vain. Sa présence dans le stade, concomitante à celle de la délégation congolaise, à l’occasion de la rencontre OL-Saint-Étienne, n’est, selon lui, pas liée à une quelconque implication dans le deal.
La partie congolaise reproche à Mangala d’avoir fait capoter le contrat sportif par un comportement déplacé à la suite de son éviction et en réglant ses comptes dans la presse. Poussé par le dépit, il a notamment envoyé un courriel courroucé à Laurent Prud’homme, l’accusant d’être malhonnête et de manquer de sérieux.
Multiplication d’intermédiaires et d’intérêts, mauvaise délimitation du périmètre du projet entre tourisme, développement du sport et appel à des investisseurs, manque de confiance entre les parties… Les négociations avec Lyon sont allées dans le mur. Le club a passé ces derniers mois à se battre administrativement pour se maintenir en Ligue 2, exposant ainsi sa mauvaise gestion. Ses dirigeants, Laurent Prud’homme, Cyrille Groll et John Textor, l’ont depuis tous quitté.
Le dossier vient cependant de rebondir, de l’autre côté du fleuve Congo, à Brazzaville. La nouvelle présidente de l’OL, Michele Kang, à la tête d’une délégation venue dans la capitale de la République du Congo le 31 juillet, a présenté au chef de l’État, Denis Sassou Nguesso, les contours d’un partenariat. D’une durée de quatre ans, cet accord, censé contribuer au développement de l’équipe nationale, doit être signé entre le club lyonnais et le pays en septembre. Sur les images fournies par la présidence, une personnalité lyonnaise honnie par Luc Mangala apparaît : l’avocat Thierry Braillard, cette fois bel et bien impliqué.