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Aujourd'hui encore, dans les entrailles d'un stade Loujniki qui s'apprête à être pris d'assaut, Didier Deschamps posera son ton caractéristique si souvent moqué et singé, son léger accent de son pays basque natal et ses réponses volontairement longues et sans fin. À la veille de la finale tant attendue entre ses Bleus et la Croatie, il ne faut pas s'attendre à des déclarations fracassantes du sélectionneur français. Elles n'ont jamais été sa marque de fabrique, même s'il ne se gêne pas lorsqu'il a des messages à faire passer.
Policé sur la scène publique, Deschamps dévoile un autre personnage dans l'intimité, aussi bien avec son groupe qu'avec ses proches. Il protège ces derniers à outrance et vit mal lorsque certains touchent à Claude, son épouse, ou Dylan, son unique fils. "Rien sur moi, ni ma famille, ni ma vie privée", aime-t-il à répéter. Chef de clan, il est prêt à prendre toute la lumière, à encaisser tous les coups, sauf ceux en dessous de la ceinture. Avant l'Euro 2016, il a vécu comme un traumatisme les attaques sur fond de racisme d'Éric Cantona à propos de la non-convocation de Karim Benzema ou les tags du même acabit sur sa maison de Concarneau, dans le Finistère.
Foot-volley, padel...
Le reste, il s'en accommode, plus ou moins bien selon les périodes, comme les reproches nés sur la pauvreté du jeu développé par son escouade. Depuis le début du Mondial, il vit dans sa bulle avec son groupe. Il jure ne rien lire ni écouter ce qui se dit sur lui ou son équipe. Il laisse cette vile besogne à sa garde rapprochée, à commencer par Guy Stephan, son fidèle adjoint depuis leur aventure commune à l'OM. "Avec lui, j'avance les yeux fermés", annonce-t-il. Pendant les phases finales, il préfère se brancher sur une chaîne musicale, y compris lorsqu'il se livre à ses séances de gainage, son péché mignon.
Ceux qui l'ont connu lors de son passage sur le banc olympien ne le reconnaissent plus. Ses cheveux en brosse ont laissé place à une coupe plus sobre, sa silhouette rondouillette s'est effacée. Ses voyages à Merano expliquent cette métamorphose. Mais pas seulement. Il s'astreint une hygiène de vie d'ascète où le sport occupe une place de choix. Il vit ses vacances au rythme des parties de foot-volley dans le sable, puis de padel. Cyril Rool ou Éric Cubilier y sont souvent associés.
Son fils Dylan est rarement loin. Les réactions de ce dernier, dont l'âge (22 ans) rappelle, dans une certaine mesure, celles de ses ouailles. Alors, il s'en sert. "Je vois comment il réagit, ses centres d'intérêt qui sont un peu ceux des jeunes joueurs, détaille "DD". Ils ont une vision différente, comme moi quand j'étais sur la fin, en 2000."
Son passé de joueur encore et toujours. Il ressurgit régulièrement. Lui rechigne à l'évoquer. Mais il le rattrape invariablement. "Il est respecté parce qu'il a gagné, connaît le chemin par où passer, soulève Antoine Griezmann. Il a confiance en lui ; nous, on croit en lui. Il a changé après le match contre l'Argentine, la pression est redescendue." "C'est le patron, le chef du navire, renchérit Blaise Matuidi. Il a toujours eu cette rigueur, cette façon de diriger qui fait qu'il est différent."
Ceux qui le connaissent retrouvent sa patte dans cette équipe de France. Et ils balaient l'argument populaire et bas du ventre de la "chatte à Dédé". Lui dit ne pas attacher d'importance à son image. "Ça peut arriver une fois, répond-il à ceux qui prétendent que seule la chance explique ses résultats. Mais il y a des exigences et je fais tout pour que ça se passe du mieux possible." S'il est né sous une bonne étoile, il ne laisse rien au hasard, cherche à tout savoir, voire tout contrôler.
Ces Bleus-là sont à son image. "Ils lui ressemblent beaucoup, argue Basile Boli, l'ancien complice à l'OM et en sélection. Ça se voit qu'il a travaillé depuis la finale de l'Euro. Didier est serein, a son idée en tête et la met en place. Certains disent que c'est la chance ; moi, je n'y crois pas. La chance, il faut aller la chercher. Le concept qu'il a dans la tête, c'est vraiment ce que l'équipe réalise."
Ouvert à la réflexion, il avance vers cette finale "avec des convictions mais pas de certitudes". Et n'hésite pas à paraphraser Socrate : "La seule chose que je sais est que je ne sais pas, nous confiait-il avant de mettre le cap sur la Russie. Je ne me lève pas le matin en me disant que je détiens la vérité. J'apprends encore et pas forcément de gens plus expérimentés que moi. Des choses, dans d'autres sports, peuvent m'interpeller. Je réfléchis beaucoup."
Jusqu'ici, la recette a plutôt bien fonctionné.