MassaliaLive.com

[Gastibelza]

Quelques temps avant la disparition de Faurisson, j'ai lu ça :



J'ai un peu hésité à le recommander parce que l'auteur n'est pas du tout historien et cela se constate assez rapidement : affirmations peu sourcées, argumentation mal construite (focus sur Hitler et sa vie pour évoquer les origines de l'antisémitisme en Europe au début du XXème siècle), prise de position sans nuance (les accords de Munich considérés symbole de la lâcheté des occidentaux), quelques anachronismes aussi comme le fait d'évoquer la Solution finale en se positionnant en.... 1938.

Mais ça reste un propos salutaire parce qu'il met en lumière un épisode assez méconnu de l'histoire de la Seconde guerre mondiale : la conférence d'Evian de juillet 1938, à l'initiative de Roosevelt, pour évoquer le sort des Juifs persécutés par le régime nazi et la migration (forcée) dont ils font l'objet.

L'auteur démontre alors, en relatant témoignages et discours, que cette conférence n'est qu'un simulacre auquel participent les pays mobilisés qui de toute façon, ont tous exclu d'accueillir conséquemment les réfugiés en présentant des arguments d'un cynisme et d'une mauvais foi ahurissants. La plupart des représentants évoquent ainsi à tour de rôle les problèmes d'intégration que cela pourrait poser alors que le nombre de réfugiés ne représentait pas grand chose par rapport à la population des pays qui auraient pu les accueillir et exigent des conditions qui excluent de fait les Juifs allemands puisqu'il est attendu que le migrant soit agriculteur et s'installe avec un capital financier. Alors que tout le monde savait que les exilés étaient des urbains, des professionnels des services, des intellectuels, des ingénieurs voire des ouvriers et que les nazis captaient les biens des Juifs avant leur départ.

Dit en d'autres termes, devant la crise humanitaire que provoque les nazis, tout le monde est d'accord pour dire que c'est très inquiétant, qu'il faut se réunir et faire quelque chose. Mais au final, personne ne bouge le petit doigt. un contexte qui n'est pas sans rappeler celui que l'on a connu avec la crise des migrants provoquée par la guerre en Syrie et en Lybie.

Autre intérêt du livre : l'évocation étonnante de réflexions menées par divers pays, dont l'Allemagne, pour que les Juifs puissent disposer d'une terre où vivre. Un prémice au sionisme en quelque sorte. Il est question ainsi de la Palestine déjà (refus du colon britannique) mais aussi d'Haïti, de l'Australie, de Madagascar et même de régions d'Afrique !
Evidemment, aucune solution n'a pas pu être creusée, personne ne voulant importer ce qui était considéré comme un problème racial.

[Betsamee]

interessant, merci!

[peezee]

Ouais super intéressant en effet, surtout pour l'éclairage que ça peut apporter sur la situation actuelle des migrants venus d'Afrique et ailleurs, dont une partie risquait de se faire exterminer en restant au pays...

De quoi faire réfléchir avant de traiter les migrants comme la peste et rejeter toute solution d'accueil...

[fourcroy]

Autre intérêt du livre : l'évocation étonnante de réflexions menées par divers pays, dont l'Allemagne, pour que les Juifs puissent disposer d'une terre où vivre. Un prémice au sionisme en quelque sorte. Il est question ainsi de la Palestine déjà (refus du colon britannique) mais aussi d'Haïti, de l'Australie, de Madagascar et même de régions d'Afrique !
Evidemment, aucune solution n'a pas pu être creusée, personne ne voulant importer ce qui était considéré comme un problème racial.

On ne peut pas parler de prémice. Le sionisme ne date pas du nazisme, mais, comme tu le sais, prend sa source dans l'affaire Dreyfus et se développe dès les dernières années du XIXème siècle. Weizmann est entendu au moment du traité de Versailles et le mouvement continue à croître sous la République de Weimar.

Quant aux solutions territoriales alternatives, il faut distinguer ce qui est proposé par Eichmann antérieurement à la solution finale, pour qui il s'agit de régler la "question juive" par une déportation massive, et celles qui se sont développées au sein du mouvement sioniste, qui se sont toujours heurtées à d'importantes oppositions du fait de l'attachement à la terre de Palestine.

Sur ce sujet, même si le parallèle avec d'autres situations est éclairant, mieux vaut àmha éviter les raccourcis, les approximations et les erreurs historiques (je dis ça pour le bouquin, pas pour toi).

[Gastibelza]

fourcroy, l'expression prémice du sionisme est de moi, pas du bouquin. Et effectivement, elle est utilisée à mauvais escient. Je pense qu'en écrivant ça, j'avais en tête le fait que des associations d'aide/ fondations juives participaient à ces échanges visant à trouver une solution aux persécutés du régime nazi. Mais en effet, parler de sionisme dans ce contexte est historiquement incorrect.

[Rob77]

J'ai dévoré Limonov de Carrère en deux jours. Un bouquin très intéressant, qui traite du parcours (un peu romancé) d'un mec un peu fou, Edouard Limonov. Ce bougre rêvait par tous les moyens d'être un chef charismatique qui en impose, peut importe le domaine (littérature, poésie, politique, terrorisme...). Outre l'aspect purement biographique, on trouve une toile de fond passionnante de l'URSS de Brejnev, des milieux complètement marginaux aux Etats-Unis...

Du coup, j'enchaine en ce moment sur Soljénitsyne et son Archipel du goulag (en version abrégée... de 900 pages).

[fourcroy]

Rob77, j'ai beaucoup aimé ce livre (Limonov), une biographie d'un aventurier hors du commun par un bon connaisseur de la Russie.

Je ne savais pas que tu lisais les auteurs réactionnaires comme Soljénitsyne.

[Rocca]

fourcroy, J'ai lu "nos jeunes" de Soljénitsyne, j'ai beaucoup aimé

[Rob77]

Rob77, j'ai beaucoup aimé ce livre (Limonov), une biographie d'un aventurier hors du commun par un bon connaisseur de la Russie.

Je ne savais pas que tu lisais les auteurs réactionnaires comme Soljénitsyne.

Je suis plutôt ouvert contrairement à ce que pensent beaucoup de gens.
J'ai même lu récemment du Giono sur l'amour de la terre, de la paysannerie. Un bouquin des années 30/40 sentant bon le pétainisme.

[Rob77]

Pour approfondir la question du rapport des Russes à l'URSS, je me farci en ce moment La fin de l'homme rouge, de Svetlana Aleksievitch. Je ne l'ai pas fini (c'est encore un gros pavé de 700 pages environ) mais sur ce que j'ai lu, je peux vous dire que c'est vachement intéressant.

Les témoins interrogés sont tous en fin de vie et amères sur la situation actuelle de la Russie (sa faiblesse militaire, le rapport à l'argent, la criminalité économique, la liberté conquise).

Certains abordent bien sûr les goulags, Staline, les purges et sont heureux d'en avoir tourné la page. Ils racontent comment toute leur vie a été marquée par l'omniprésence de la mort et de la peur (guerre, police politique...) et le soulagement qu'a constitué la disparition du totalitarisme. Ils nourrissaient beaucoup d'espoirs en 1991, ont participé à la défense de la liberté lors du putsch des généraux soviétiques. Cette espérance a été douchée par la suite.

Pour d'autres, il y a une réelle nostalgie par rapport à cette époque, en termes d'idéal, de mode de vie, de fierté vis à vis de la puissance soviétique et du respect qu'elle imposait dans le monde.

Témoignage d'une ancienne cadre locale du parti :

"Ce n'est pas sur la liberté qu'on s'est précipités, mais sur les jeans. Sur les supermarchés. On s'est laissé avoir par des emballages bariolés... Maintenant, chez nous aussi, on trouve tout dans les magasins, c'est l'abondance. Mais les montagnes de saucissons, cela n'a rien à voir avec le bonheur ni avec la gloire. Nous étions un grand peuple! On a fait de nous des trafiquants et des pillards... Des marchands de tapis et des managers."

[Rob77]

Je lis en ce moment Une histoire populaire des Etats-Unis, d'Howard Zinn, un livre qui a déjà une petite quinzaine d'années. Le topos est simple, il s'agit d'écrire l'histoire du pays sur 5 siècles (en commençant par la conquête/destruction du continent et des peuples "amérindiens" par les Européens), en prenant le point de vue des dominés. Il s'agit d'une histoire vue d'en bas, c'est un biais politique. L'Histoire s'écrit à partir de présupposés/questionnements/grilles de lecture idéologiques.

Je ne l'ai pas fini, mais je voulais partager avec vous un extrait qui me rappelle furieusement la situation sociopolitique actuelle en France, même si comparaison n'est pas raison.

Dans un système extraordinairement sophistiqué, les élites au pouvoir ne peuvent se maintenir sans la soumission et la loyauté des millions de gens à qui l'on accorde, en échange de ce service, de bien maigres récompenses: les soldats, la police, les enseignants, les hommes d'Eglise, les travailleurs des transports et des communications, les éboueurs et les pompiers. Ces gens - les catégories dotées de quelques privilèges mineurs - sont pris dans une alliance avec les élites. Ils forment, en quelque sorte, la "garde prétorienne" du système, véritable digue entre les classes les plus favorisées et les classes les plus pauvres. S'ils cessent d'obéir, le système s'effondre. (...) On constate des signes d'un mécontentement croissant au sein de la garde prétorienne du système. On nous déclarait régulièrement que les pauvres et les ignorants formaient le gros des bataillons de ceux qui ne votaient pas (...). Aujourd'hui, cette désaffection s'étend aux familles qui vivent au-dessus du seuil de pauvreté. Ce sont les travailleurs blancs, ni riches ni pauvres mais insatisfaits de l'insécurité économique, mécontents de leur travail, inquiets pour leur environnement et hostiles au gouvernement - en une combinaison de racisme et de conscience de classe, de mépris pour les pauvres et de méfiance vis-à-vis des élites et, de ce fait, ouvert à toutes les solutions qui se présenteraient, à gauche comme à droite. (...) Il se pourrait que l'on assiste, dans les années à venir, à une course pour la captation politique du mécontentement de la classe moyenne américaine.

J'ai l'impression que les gilets-jaunes rentrent pleinement là dedans, même si la sociologie du mouvement n'est pas encore parfaitement connue et que la question "raciale" n'est pas aussi prégnante en France. Ce mouvement agrège semble-t-il des catégories populaires (pas les plus défavorisées) et des petites classes moyennes. Et tous les partis cherchent à en capturer le ressentiment, qui mêle conscience de classe et xénophobie (tout le débat que l'on a depuis plusieurs semaines ici).

[Dragan]

L’extrait que tu cites colle assez bien à ce qu’on voit en France.

On avait déjà évoqué la middle class blanche américaine hors des grandes villes qui a voté trump. Ca colle aussi. En termes de désindustrialisation, éloignement des grandes villes les plus riches, etc.

[fourcroy]

Je suis tombé sur ça et j'ai eu du coup envie d'en savoir plus. Je vous dirai ce que j'aurai pensé du bouquin.

[Betsamee]

Elle est assez brillante

[Cecco]

Pour les anglophones et intéressés par l'histoire, j'invite à lire "Travellers in the third reich". C'est une étude des journaux intimes, courriers et articles des visiteurs de l'Allemagne nazie avant la guerre, sans savoir ce qui allait se passer par la suite. Entre les lucides et les aveuglés par la "renaissance" de la communauté allemande, il y a de tout.
Ce qui est certain, c'est que j'ai du mal à accepter le fameux argument du "on ne savait pas pour les persécutions" suite à ce livre.
J'espère qu'il sera traduit en français.

[Gastibelza]

Les copains, il faut lire d'urgence ça :



Ca fait partie de ce que la littérature US contemporaine a fait de mieux, un vrai trésor et je pèse mes mots. C'est un OVNI dans la veine de la Conjuration des imbéciles (à lire d'urgence aussi) par les ressemblances entre les destins des deux auteurs (œuvres sans reconnaissance, suicide) et par la singularité de leurs personnages : des marginaux singulièrement géniaux inadaptés à leur environnement. On retrouve également dans les deux bouquins, la même charge critique en ce qui concerne la société américaine et ses travers tels que la violence économique et sociale, l'exclusion, le conformisme et l'inculture crasse des beaufs. Mais par deux prismes différents : le Midwest fermier pour le seigneur, le sud des Eu pour la conjuration.

Le seigneur des porcheries est plus divertissant, plus drôle, plus imagé. Rien que le sous-tire donne le ton : le temps venu de tuer le veau gras et d'armer les justes. Le style virulent, vif, sarcastique vous emporte dans une tragi-comédie grinçante aux allures de geste chevaleresque. Un vrai régal qui change de la littérature nombriliste française.

Pour les fauchés, vous le trouverez d'occaz' à partir de 4 euros sur Recyclivre. Sinon empruntez-le à la bilbio la plus proche ou volez-le. Mais lisez-le bordel.

[Vodevil]

Gastibelza, entièrement d'accord pour La Conjuration des Imbéciles, dont l'auteur a connu un sort tragique. J'ai toujours Le seigneur des porcheries dans ma liste des livres à lire, vu ton retour, je pense que c'est le prochain bouquin que je vais emprunter à la bibliothèque.

[superolive]

Gastibelza, merci pour tes conseils de lecture, j'aime bien la littérature américaine, je pense à Paul Auster actuellement notamment. Je suis aussi un gros fan aussi de Jim Harrison, mais c'est un autre registre bien entendu..bref...Paix à son âme.

Je vais donc commencer la "Conjuration des imbéciles", vu que je ne connais pas l'auteur, il semble que c'est un bon début...

A titre personnel, je pense que que la lecture est un rempart à l'idiotie actuelle, à notre monde où tout va trop vite.

Prendre le temps de se poser, de lire, de réfléchir, de bloquer sur une phrase, sur un mot, se dire que cette phrase il faut la retenir, ne jamais l’oublier, c'est tellement chouette..

Ce n'est pas l'ami Chris Red sur ce forum qui pourra nous contredire...

[Rob77]

Puisque nous en sommes au partage de nos expériences de lecteurs, je vous copie ici un passage du livre A nos amis, du comité invisible. Le livre s'insère dans une trilogie comprenant L'insurrection qui vient et Maintenant. On soupçonne Coupat d'être derrière l'écriture de ces livres, mais je crois que cela n'a pas été établi et qu'il s'en défend (à vérifier). Il s'agit bien sûr de bouquins très militants, et invitant à l'action, entendue ici comme insurrection, si j'ai bien compris (pas toujours évident de s'y retrouver).

Voici le passage qui m'a troublé, car il faisait échos à la situation actuelle (alors qu'il date de 2014) et que je souhaitais vous soumettre :

"En Slovénie a éclaté en 2012, dans la paisible ville de Maribor, une révolte de rue qui a par la suite enflammé une bonne partie du pays. Une insurrection dans ce pays aux allures helvétiques, voilà qui est déjà inattendu. Mais le plus surprenant, c'est que son point de départ ait été la révélation du fait que si les flashes routiers se multipliaient dans la ville, c'était qu'une entreprise privée proche du pouvoir empochait la presque-totalité des amendes. Peut-on faire moins "politique" comme point de départ d'une insurrection qu'une question de flashes routiers ? Mais peut-on faire plus éthique que le refus de se laisser tondre comme des moutons ? C'est Michael Kohlhaas au XXIème siècle. L'importance du thème de la corruption régnante dans à peu près toutes les révoltes contemporaines atteste de ce qu'elles sont éthiques avant que d'être politiques, ou qu'elles sont politiques précisément en ce qu'elles méprisent la politique, y compris la politique radicale. Tant qu'être de gauche voudra dire : dénier l'existence de vérités éthiques, et substituer à cette infirmité une morale aussi faible qu'opportune, les fascistes pourront continuer à passer pour la seule force politique affirmative, étant les seuls à ne pas s'excuser de vivre comme ils vivent. Ils iront de succès en succès, et continueront de détourner contre elles-mêmes l'énergie des voltes naissantes."

Une vérité éthique étant pour le comité invisible non pas une vérité sur le monde, mais une vérité à partir de laquelle nous y demeurons (je n'ai pas spécialement compris je dois vous l'avouer... ).

[prtdr]

Gastibelza, puisque tu m'y fais penser, appréciant aussi ces lectures, j'imagine que tu as lu D. Ray Pollock. A commencer peut-être par ses nouvelles qui m'y font penser, dans le style trash et comique, et déjanté. Pollock dont un des premiers supporters est Palahniuk. Pas le même style mais pas vraiment étonnant

superolive, je ne peux que moi aussi t'encourager à lire et saliver (ou non, selon que tu te prennes au style de son auteur posthume, ou que tu juges cela un peu redondant à mesure que soient tournées les pages) La Conjuration des imbéciles.

Rob77, je suis étonné que tu fasses référence à cette trilogie seulement maintenant
Et je pense que tu as bien interprété. Dans la même veine, je ne peux que te conseiller de parcourir HBey, MTroupe chez l'Eclat (et pas que) et aussi Alinsky (pas tout à fait dans le même registre que ce dernier).

J'ai aussi lu Zinn, ses 2 ppx, et je ne peux aussi que te conseiller de lire RDonbar-Ortiz et sa contre-histoire des EU.
Et en lien avec la fin d'un espoir ou d'un mythe par rapport à Aleksievitch, même s'il ne s'agit pas directement d'URSS, je t'invite à jeter un oeil à certaines oeuvres d'Enzensberger.