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Edouard Philippe , sous « très grosse pression » avant de présenter le plan de déconfinement de la France
Mercredi, plusieurs ministres doivent rendre à Edouard Philippe une ébauche de stratégie dans leurs domaines respectifs, le temps pour le premier ministre de bâtir la « cathédrale » – dixit une députée de la majorité – du déconfinement.
Notre-Dame ne s’est pas construite en quinze jours. Edouard Philippe se laisse donc la chance d’obtenir (un peu) plus de temps pour bâtir la « cathédrale » – dixit une députée de la majorité – que représente le plan de déconfinement de la population française. Dimanche 19 avril, le premier ministre a annoncé qu’il serait dévoilé « dans les quinze jours qui viennent ». Une semaine plus tôt, Emmanuel Macron réclamait pourtant qu’il soit rendu public « d’ici à quinze jours »… De l’art de gagner du temps sans en avoir l’air.
« Vous avez vu comme il est sioux !, se marre un ami du locataire de Matignon. C’est un prestidigitateur, “magic Edouard” ! » Un autre proche table désormais sur une présentation du plan « début mai, peut-être durant le week-end du 1er mai », quand un troisième se fait plus laconique : « Ce sera la semaine prochaine. »
Dans une période où chaque jour compte, l’affaire n’a rien d’anecdotique. Une « très grosse pression », de l’avis même de Matignon, s’exerce sur le premier ministre et le gouvernement pour parvenir à enclencher la mécanique de l’après-11 mai.
Mercredi, les ministres devaient rendre à Edouard Philippe une ébauche de stratégie dans leurs domaines respectifs : les transports publics pour le secrétaire d’Etat Jean-Baptiste Djebbari, l’approvisionnement et la logistique pour sa collègue de Bercy Agnès Pannier-Runacher, les frontières pour le ministre de l’intérieur Christophe Castaner, et celui des affaires étrangères pour Jean-Yves Le Drian…
Agacement d’Emmanuel Macron
Au total, dix-sept chantiers ont été ouverts pour tenter de quadriller l’ensemble des sujets. « Le 11 mai, c’est rude, mais on sait faire, assure un ministre. Le fait que le président mette un cap oblige à aller plus vite que prévu. » « Quand on donne une date butoir, tout le monde respecte l’objectif », a justifié Emmanuel Macron devant des proches.
Selon leurs entourages respectifs, le chef de l’Etat et le premier ministre ont réfléchi conjointement pendant quinze jours à cette date de déconfinement, hésitant d’abord en faveur du 1er, du 2 ou du 8 mai. « Le premier ministre n’a pas découvert la date du 11 mai, il n’y a pas de premier ministre mis au pied du mur, c’est du bullshit », s’agace un conseiller à Matignon, réfutant une rumeur qui court à ce sujet au sein de la Macronie.
Un proche d’Emmanuel Macron rapporte néanmoins l’agacement du chef de l’Etat, la semaine dernière, face à des réunions interministérielles « interminables » qui « font perdre du temps dans l’exécution ». « Le président a fait le choix de clarifier les responsabilités : il donne le tempo, tandis que le premier ministre et le gouvernement gèrent la crise. Le président soutient le premier ministre, mais il le challenge aussi », décrypte l’un de ses intimes. « Emmanuel Macron indique un objectif précis, on doit l’atteindre, et on l’atteindra, c’est une pression salutaire, juge-t-on dans l’entourage d’Edouard Philippe. Cette pression, on l’a du pays, de l’économie, du fait que les enfants ne peuvent pas aller à l’école… La vie doit reprendre. »
Matignon accélère donc la cadence des arbitrages. Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, a évoqué, mardi, une réouverture des écoles échelonnée « sur trois semaines » tout en laissant la place à « beaucoup de souplesse locale ». « Nous n’allons pas gérer dans le Grand-Est comme dans le Sud-Ouest », anticipe un proche d’Edouard Philippe. « Le deuxième sujet fort sera celui des masques. Toute la question sera celle de l’approvisionnement dans les territoires, prévient un conseiller ministériel. Qui les réceptionnera ? Les maires ? Est-ce qu’on passera par les pharmacies, la grande distribution ? »
« J’essaye d’entrer en contact avec Matignon, mais rien »
S’ajoute à cela la question des tests, ou encore des lieux devant accueillir des personnes infectées le temps de leur quarantaine. « L’objectif est que le système sanitaire soit en capacité de supporter le déconfinement mais aussi que les Français apprennent à vivre avec le virus », explique la porte-parole du gouvernement, Sibeth Ndiaye. L’exécutif envisage d’ailleurs de reconfiner en cas de nouvel embouteillage dans les services de réanimation. « Cela fait partie des hypothèses, notamment si des clusters se développent dans certains territoires », reconnaît Mme Ndiaye.
Dans cette jungle de problèmes, certains s’agacent que Matignon ne soit pas assez à portée d’engueulades venues du terrain. Le fondateur du Puy du Fou, Philippe de Villiers, regrette ainsi de ne pas avoir de réponses sur l’avenir de la saison touristique et des aides qui pourraient être apportées au secteur ; il s’est pourtant entretenu sur le sujet avec Emmanuel Macron dans la foulée de son allocution télévisée, le 13 avril. « J’essaye d’entrer en contact avec Matignon, mais rien… C’est plus facile d’avoir le président sur son portable, alors que c’est l’inverse de ce qu’on pourrait attendre, souffle l’ancien président du conseil général de Vendée. Pour la première fois je me dis qu’on pourrait peut-être mourir. Mais vu de Paris, ils s’en foutent du Puy du Fou. »
A défaut d’être un « enfer » – terme récusé par Edouard Philippe –, Matignon est devenu une étuve pour le premier ministre. L’ancien maire du Havre (Seine-Maritime), qui a déjà traversé deux crises majeures depuis le début du quinquennat – les « gilets jaunes » et la réforme des retraites –, n’a jamais semblé aussi fatigué, assurent ses amis. « Il gère une pandémie, ce n’est pas de tout repos… », rappelle la députée (Agir) de Seine-Maritime Agnès Firmin-Le Bodo. « Edouard est dans une lessiveuse, mais il reste très précis. Quand il rentre dans un dossier, il le connaît sur le bout des doigts », assure un membre du gouvernement.
L’heure n’est pas en tout cas, à ses yeux, à chercher à se mettre en valeur. Le chef du gouvernement a refusé à deux reprises, ces deux dernières semaines, de figurer en « une » de Paris-Match. « Il sait qu’il est à un moment historique de son pays, il ne pense pas à l’après », assure le maire de Vesoul, Alain Chrétien, régulièrement reçu à Matignon. « Pour le premier ministre, c’est l’heure de vérité. Le président a décidé de le mettre en responsabilité. C’est son moment politique. Il doit gérer à fond la crise et il le fait bien », estime le député (La République en marche, LRM) des Deux-Sèvres, Guillaume Chiche.
Le bal des prétendants s’égaie dans les coulisses
Lancinante depuis trois ans, la question de son maintien ou non en poste a repris de la vigueur à mesure que les esprits s’échauffent sur l’après-crise. « Le jour d’après, quand nous aurons gagné, ce ne sera pas un retour au jour d’avant », a promis Emmanuel Macron, le 16 mars, esquissant la perspective d’un tournant dans son quinquennat.
« Tout dépend de l’atterrissage, estime un habitué de Matignon. S’il faut donner le sentiment d’une nouvelle période, Edouard peut en être victime. Le premier ministre est un airbag pour le président de la République, un prestigieux accessoire. On peut avoir besoin de le garder ou pas, indépendamment de ses mérites. »
Dans la majorité, plusieurs députés LRM jugent un tel changement inéluctable afin de tourner la page du Covid-19 et de se projeter vers la présidentielle de 2022. « Emmanuel Macron n’aura pas d’autre choix que de proposer une nouvelle orientation politique et un nouveau gouvernement. Changer les idées et les hommes – et en premier lieu le premier ministre, qui est le chef des opérations – est le seul moyen, pour le président, de se détacher de cette crise », estime un macroniste historique, qui anticipe un remaniement en juillet. « Un bon tandem peut résister à plusieurs crises, y compris celle-ci », veut croire au contraire Aurore Bergé, députée des Yvelines.
En attendant, le bal des prétendants s’égaie dans les coulisses. Une députée s’amuse ainsi de « la grosse campagne de presse » menée, selon elle, par le ministre de l’économie et des finances, Bruno Le Maire, qui jouerait sur l’image d’une droite sociale pour tenter d’atterrir à Matignon. L’intéressé jure pourtant vouloir s’inscrire dans le temps long à Bercy. « Le premier ministre est assez lucide sur les petites offensives de Bruno Le Maire », souligne un proche de M. Philippe.
« Boule de cristal »
D’autres noms circulent, comme celui de l’ancien socialiste Jean-Yves Le Drian, favori de l’aile gauche de la majorité, qui veut donner une orientation plus sociale et écologiste à la fin de quinquennat. « C’est le choix de la sagesse et de la stabilité », vante un député. « Le Drian est très bien au ministère des affaires étrangères », rétorque le député (LRM) du Morbihan Gwendal Rouillard, qui appartient à son cercle de fidèles.
Hypothèses plus « disruptives », enfin, les noms du chef de file d’Europe Ecologie-les Verts (EELV), Yannick Jadot, et de l’actuel négociateur de la Commission européenne pour le Brexit, Michel Barnier, sont également suggérés.
Des « spéculations », dénonce-t-on dans l’entourage d’Emmanuel Macron. « Personne ne connaît le calendrier de cette crise, cela ne sert donc à rien de conjecturer. Le résultat des courses, cela relève de la futurologie, de la boule de cristal », explique un proche du chef de l’Etat. « L’heure n’est pas venue de donner une traduction politique à la crise, il y a trop d’inconnues dans l’équation », résume un membre du cabinet élyséen, tout en reconnaissant que c’est Emmanuel Macron lui-même qui a déclenché ces spéculations : « Le président a soulevé le jupon de l’après, alors… »
Le Monde