boodream a écrit:C'est amusant, ça s'appelle faire de l'idéologie en reprochant aux autres d'en faire
(oui, j'ai des copains à La Tribune)
Le problème que tu pointes est pertinent. Il faut des instances de régulations compétentes, Y répondre en dérivant sur les "tabous" me semble relever d'un autre sujet.
Parce qu'on a le droit de penser que la santé n'est pas une marchandise...même si exclure quoi que ce soit du champ marchand est apparemment "tabou".
Plutôt que de répondre à la première partie de ta "non réponse" sur mon post (je le dis sans agressivité mais avec une pointe de déception), je vais revenir sur 2 points.
1) Sur les instances de régulation compétentes : la Haute Autorité de Santé (que présidait Agnès Buzyn) a notamment pour rôle d'évaluer l'intérêt thérapeutique d'un médicament mais aussi de définir une population cible pour ces traitements, d'édicter des fiches de bon usage concernant les stratégies thérapeutiques appropriées etc. L'ANSM, quant à elle, est le gendarme du médicament : reçoit les signaux de pharmacovigilance, les analysent et peut annuler une autorisation de mise sur le marché ou envoyer des alertes sanitaires en cas de pépin.
Dans ces 2 cas, ces agences fonctionnent extrêmement mal.
L'ANSM (remplaçante de l'Afssaps suite au Médiator,on change le nom et on garde presque les mêmes personnes aux manettes) est de nouveau en difficulté dans l'affaire Dépakine. Pour Dépakine, le laboratoire a prévenu l'agence dès la fin des années 90 sur des cas de malformations ou retards mentaux liés à l'utilisation du traitement par des femmes enceintes en demandant un changement de notice (courriers à l'appui, d'ailleurs Marisol Touraine, pourtant hostile aux labos, ne l'a jamais nié). Ces signaux ont été ignorés puis minimisés par l'Agence, en raison de l'importance du produit et d'une énorme erreur d'analyse.
Pour la HAS (+ CEPS) : délai moyen d'accès d'un traitement au remboursement en France (donc mis à disposition des patients) 408 jours contre 80 en Allemagne par exemple. La commission de la Transparence, qui doit évaluer des stratégies thérapeutiques de plus en plus complexes (traitements ciblés, combo de plusieurs médicaments associés à de l'imagerie et/ou un dispositif médical etc.) fonctionne avec une méthodologie datant des années 1980.
Des médecins à cette commission (oui) mais dans 90% des cas, lorsque le traitement évalué concerne une pathologie de l'expert présent (exemple un traitement de la sclérose en plaques pour un neurologue), l'expert "sort" de la salle à cause de ses liens d'intérêts. La seule personne capable de donner un avis clinique, médical, sur la pathologie et l'impact du médicament n'est donc pas présent pour donner son avis lors des échanges.
Vous vous retrouvez donc à utiliser des médicaments qui ont été évalués avec une méthodologie désuète, et par des personnes non expertes, donnant lieu à une multiplication des recours juridiques contre les décisions prises, recours venant des laboratoires mais aussi des associations de patients ou des syndicats de médecins.
La transparence des liens d'intérêts est un sujet important. Savoir qui nous évalue est la clé permettant de lever le doute et d'éviter des abus (dans un sens comme dans l'autre) car personne ne se risquera à évaluer n'importe comment si son nom et le résultat du verdict (trop flatteur ou au contraire à charge) sont publiés dans la presse.
L'expertise est en revanche, à mon sens, beaucoup plus importante. Dans n'importe quel métier, il me semble que les personnes occupent une fonction pour leurs compétences et leurs connaissances de cette fonction. La Santé, domaine stratégique, serait donc le seul endroit où des décisions majeures sont prises sans que la personne compétente ait le droit de s'exprimer, sous peine d'être taxée de collusion. C'est inconcevable.
2) Sur "on a le droit de penser que la santé n'est pas une marchandise" : c'est à la fois une tarte à la crème et un argument d'autorité, ce "on", sous entendu les gens, le peuple, les vrais gens, étant sans doute opposé au cynisme des laboratoires capitalistes qui marchandent nos vies.
Aux arguments d'autorité, je préfère souvent l'autorité de l'argument, donc je vais quand même répondre.
Beaucoup de gens, y compris dans les laboratoires, ont choisi ce métier par passion, avec l'impression d'améliorer la vie des gens, voire de sauver des vies par des traitements. Le personnel est à plus de 50% composé de médecins, pharmaciens (hospitaliers essentiellement) ou biologistes.
Il y a sans doute beaucoup de connards opportunistes qui vendent de l'insuline comme on vendrait un iphone, donc je ne vais sans doute pas chercher à te convaincre de quoi que ce soit sur la philosophie et les principes qui animent les quelques 100 000 salariés de l'industrie pharmaceutique en France.
"La santé n'est pas une marchandise", soit. Je suis d'accord avec toi. La santé est un droit fondamental, l'équité d'accès aux soins en est un autre. Le médicament n'est pas un bien de consommation "comme un autre", il n'est d'ailleurs pas un bien de consommation tout court.
Je ne parlerais donc pas de bien marchand à acheter/vendre.
En revanche, nous évoluons dans un monde ouvert, réel, guidé par des principes régissant les activités humaines. L'un de ces principes est que beaucoup d'activités ont un coût humain, matériel, économique.
Par exemple : les personnes travaillant dans un laboratoire perçoivent un salaire. Sauf à considérer qu'ils ne devraient pas être payés pour y passer 5 jours par semaine et, qu'après tout, ce devrait être une vocation, je ne vois pas comment sortir du système.
De la même manière : construire une usine (chimique, biotechnologique ou autre) a des coûts (extrêmement élevés, en plus) et assurer des normes de fabrication et de sécurité de haut niveau également.
Faire de la recherche, développer une molécule, lui faire passer toutes les étapes de développement (avec un fort taux d'échec car une seule molécule sur 10 quasiment arrive jusqu'au bout du processus) a également un coût.
Je ne parle même pas des coûts marketing ou de packaging (sur lesquels je pense, en toute honnêteté, qu'ils sont compréhensibles mais discutables pour un médicament).
Tous ces petits coûts, mis bout à bout coûtent des milliards d'euros par an, par laboratoire. Pour un seul médicament : 10 ans de développement, 1 milliard d'euros en coûts.
Quand on considère cela, de manière très pragmatique, et que l'on considère les quelques milliers de médicaments (sans parler des dispositifs médicaux, de l'imagerie etc.) actuellement disponible, je me demande quel Etat ou comment les Etats auraient pu financièrement, matériellement et humainement le faire, gratuitement, les citoyens du monde.
C'est donc une activité privée. Et beaucoup mieux gérée lorsqu'elle est privée que publique (ceux qui connaissent l'Etablissement français du Sang, laboratoire publique pour la collecte de plasma sanguin se souviennent sans doute de l'affaire du sang contaminé ou des nombreux problèmes de productivité/efficacité de ce laboratoire).
Etant privée (fin de ce trop long post), elle doit être rentable, pour financer ses coûts, ses salariés et AUSSI ses prochains développements.
CQFD : on a le droit de penser que sans marchander la vie des gens, y a besoin de pognon et que l'argent ne tombe du ciel.