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Le duo Gobert - Towns peut-il fonctionner ?
En associant deux pivots, Rudy Gobert (2,16 m) et Karl-Anthony Towns (2,11 m), les Minnesota Timberwolves vont à contre-courant de la mode en NBA. Un choix qui demandera des ajustements mais offre « le meilleur des deux mondes », défensif et offensif, selon Ian Mahinmi.La voix enjouée depuis son domicile texan, Ian Mahinmi était ravi du coup de fil. Ça tombait bien : le départ de Rudy Gobert à Minneapolis et son association avec un autre pivot dominant, Karl-Anthony Towns, le turlupinaient. « J'y ai beaucoup pensé et au final je trouve ça ingénieux, estime l'ex-intérieur aux 685 matches NBA. C'est l'addition du meilleur des deux mondes. » D'un côté Gobert, le pivot défensif n° 1. De l'autre Towns, qui pense être « le meilleur pivot shooteur de l'histoire. »Frédéric Weis semblait un peu plus dubitatif.
L'ancien pivot des Bleus aux 100 sélections et deux médailles (argent aux JO 2000, bronze à l'Euro 2005) rappelle que « c'est un pari » : « À l'ère du small ball (jeu sans intérieur), je demande à voir même si je rêve que ça fonctionne parce qu'on a enterré les big men », ces hommes forts des raquettes dont le Lorrain était un représentant avec ses 2,18 m.En attaque, deux joueurs complémentairesLe premier argument en faveur de ce duo réside dans leurs jeux offensifs dissemblables. « Ils ne vont pas se marcher sur les pieds », résume Christophe Allardi, spécialiste des très grands gabarits à la FFBB. Le technicien note que Towns, surnommé « KAT », était déjà « limite un 4 (ailier-fort), capable de poser des dribbles et de tirer un mètre derrière la ligne à trois points, avec un armé (geste de tir) très haut. » Une position plus écartée qui sera la sienne dans le cinq de départ.lire aussiAllardi décrypte le jeu de passe de Nikola JokicPour Tim Connelly, le nouveau président des Timberwolves qui a validé l'échange de Gobert contre un tombereau de joueurs et de futurs choix de Draft, « la question de leur association n'est pas un souci majeur. Ils se complètent très bien. » « Towns a beaucoup de skills (gestes techniques), il peut jouer post up (dos au panier), face up (face au panier), décrit Mahinmi. Rudy, lui, est un joueur élite dans les pick & roll (jeux à deux avec écran) et les secondes chances (rebonds offensifs). »« Il faudra vraiment qu'ils soient intelligents et que Rudy bouge bien dans les espaces », tempère Weis. Gobert, dont la technique offensive reste limitée, sans jeu dos au panier ni tir à mi-distance, a pour lui de bien savoir se (dé)placer et de monter vite au cercle. La menace que le Picard constituera très près de l'arceau limitera les possibilités de le laisser seul et donc de prises à deux sur KAT - un choix défensif que le staff des Wolves avait renommé... « the Utah defense ».Gobert se voit comme celui qui « permettra (à Towns) d'être encore plus lui-même et dominant ». L'inverse sera-t-il vrai ? « Rudy risque d'avoir encore moins de ballons qu'à Utah », s'inquiète Frédéric Weis, même si Christophe Allardi fait remarquer que Towns, qui tourne à 3 passes décisives par match, « devrait trouver Gobert de temps en temps quand l'adversaire fera l'impasse sur lui. »Là où tous nos intervenants s'accordent, c'est pour dire que Minnesota devra trouver une forte identité de jeu et s'y tenir. Tout le monde imagine déjà des systèmes imparables où Gobert viendra poser un écran en tête de raquette pour le meneur D'Angelo Russell, avec Towns maraudant à 3 points. « Leur gros challenge sera d'imposer leur style de jeu et de le conserver en play-offs. Ils vont perdre s'ils cherchent à s'ajuster, ils n'ont pas la flexibilité de Golden State », présume Ian Mahinmi.La première tâche, selon le Normand, sera de ralentir le jeu. Minnesota était l'équipe qui avait le rythme le plus élevé de la NBA cette saison (103,5 possessions par match). Il faudra aussi entourer les deux twin towers (tours jumelles) de shooteurs, et ce n'est pas un hasard si la première recrue qui a suivi l'échange a été Bryn Forbes, un arrière qui prend 60 % de ses tirs à 3 points.En défense, Towns devra forcer sa natureS'il existe des doutes sur ce duo, ils viennent surtout de la défense, en particulier de la capacité de Karl-Anthony Towns (2,11 m, 112 kg) à s'occuper de joueurs plus petits et légers que lui, une nécessité avec son changement de poste. « Minnesota n'était pas réputé pour avoir une forte défense, l'arrivée de Rudy permettra de passer un cap, mais c'est vrai qu'il faut attendre de voir quel sera l'investissement de Towns. Est-ce qu'il aura envie de défendre ? », s'interroge Christophe Allardi.Pour Minnesota, le modèle devrait être le duo Al Horford-Robert Williams III qui a fait le bonheur de Boston en play-offs. Néanmoins, Horford avait une polyvalence défensive plus grande que celle de Towns. « La marge de progression de KAT est là, dans sa capacité à comprendre comment défendre sur des ailiers-forts fuyants, sans faire faute, en les amenant dans le gouffre », confirme Ian Mahinmi qui nomme par « gouffre » cette zone près du cercle où le contreur Gobert règne en maître.Pour Weis, la défense peut être un souci car ni Gobert ni Towns, « ne sont les meilleurs sur les déplacements latéraux. » « Est-ce que les adversaires ne vont pas être tentés de faire comme Dallas contre Utah, jouer en fer à cheval (les cinq attaquants autour de la raquette), avec des intérieurs qui tirent à trois points, pour empêcher Gobert d'être le roi de la raquette ? » Et l'ancien Limougeaud de proposer une solution « à l'ancienne » : la zone 3-2 (trois joueurs à l'extérieur, deux à l'intérieur).Une fois qu'on a dit cela, il faut noter malgré tout que l'arrivée de Gobert permet de pallier des faiblesses récurrentes des Wolves, surtout dans le secteur du rebond, où ils pointaient parmi les derniers en NBA. « On a forcément envie de comparer ça avec le choix qu'avait fait Vincent Collet aux JO d'associer Rudy à Vincent Poirier pour ajouter de la taille et du volume », tente Christophe Allardi.Surtout, Ian Mahinmi pense que les Wolves ont fait ce choix en anticipant un changement de paysage dans la conférence Ouest : « C'est en ça que c'est ingénieux parce qu'avec les retours de blessure de Kawhi Leonard et Paul George, avec LeBron James et Anthony Davis qui ne vivront pas tous les ans une saison pareille, on aura plus de joueurs qui aiment aller au cercle. Avec Towns et Rudy dans la raquette, ils iront où ? C'est un choix que de se positionner à l'inverse de Golden State. »Qu'est-ce qui permettra finalement de juger de la réussite de ce duo ? Les résultats des Wolves pardi, puisque ceux-ci n'ont plus passé le premier tour des play-offs depuis 2004, quand Kevin Garnett était leur leader et l'un des meilleurs joueurs de la NBA. « J'espère qu'ils joueront une finale de conférence dans les deux ans », conclut Ian Mahinmi. Gobert et KAT également.
L'Equipe