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«Le club vit presque à crédit toute la saison» : pourquoi les finances de l'OM déraillent
De retour en Ligue des Champions la saison prochaine, fierté locale et cœur battant de la ville, l’Olympique de Marseille est en déficit chronique depuis son rachat en 2016 par le businessman américain Frank McCourt. Ce dernier a déjà épongé 467 millions d’euros. Jusqu'à quand?
De retour en Ligue des Champions la saison prochaine, fierté locale et cœur battant de la ville, l’Olympique de Marseille est en déficit chronique depuis son rachat en 2016 par le businessman américain Frank McCourt. Ce dernier a déjà épongé 467 millions d’euros. Jusqu'à quand?
Que serait la ville sans l’OM ? Chaque semaine, les Marseillais ont l’esprit occupé par le week-end, palabrant des heures sur les prestations passées et à venir de leur club de cœur. Parce qu’autour du Vieux-Port le football n’est pas un sport, encore moins un hobby, c’est une religion. Un mantra, aussi, presque un slogan : «A jamais les premiers» (première équipe française à remporter une Ligue des Champions en 1993). Seulement, depuis le week-end dernier et la victoire du PSG contre l'Inter Milan (5-0) en finale de la Ligue des Champions 2025, derrière la carte postale, l’entreprise OM n’a pas très bonne mine.
Sur le terrain, l’équipe joue toujours les premiers rôles malgré la mainmise du grand rival PSG sur la Ligue 1 et vient de se qualifier pour la prochaine Ligue des Champions. Avec son budget de fonctionnement d’environ 260 millions d’euros pour la saison (dont 148 millions de masse salariale), le deuxième du championnat derrière l’ogre parisien largement financé par le Qatar, le club attire sponsors et publicités (74,3 millions d’euros en 2024). Ses revenus sont en hausse de plus de 20% par rapport à la saison dernière, selon le bilan comptable édité au printemps par la DNCG, le gendarme financier de la Ligue de football professionnel (LFP).
Et, avec une moyenne de 3 millions d’euros de recettes de billeterie par match à domicile, le club figure dans le top 10 européen. Au stade Vélodrome, l’OM continue de jouer régulièrement à guichets fermés (67 000 spectateurs), ce qui lui assure des recettes plutôt confortables les jours de match (38 millions d’euros sur la saison 2023-2024) dans une période où les droits TV, principal moteur financier des clubs français, fondent comme neige au soleil.
"Dès qu’un euro tombe dans les caisses, il est réinvesti dans les transferts de joueurs"
Voilà pourquoi une grande partie de la stratégie financière et sportive du club repose sur la participation à la très lucrative Ligue des champions. «Tout le projet est centré sur la Coupe d’Europe. Et quand l’OM n’y participe pas, comme cette année, il investit encore plus en transferts pour s’assurer d’y être l’année suivante», souffle un observateur avisé. Il faut dire que certains contrats marketing, comme celui en cours avec l’équipementier Puma, sont majorés, d’après nos informations, en cas de participations consécutives à la plus prestigieuse des compétitions de football européen.
Aussi le club multiplie-t-il les changements de joueurs, bien aidé en ce sens par son président, l’Espagnol Pablo Longoria (38 ans), un ancien recruteur, très proche des agents, qui n’hésite pas à chambouler jusqu’à 80% de son effectif d’une saison à l’autre. Depuis son rachat en 2016 par l’homme d’affaires américain Frank McCourt, l’Olympique de Marseille a ainsi dépensé 613,5 millions d’euros sur le marché des transferts, selon le site spécialisé Transfermarkt, dont 334 millions d’euros rien que sur les trois dernières saisons. Côté départs, l’OM n’aurait vendu que pour 401,4 millions d’euros sous l’ère McCourt, soit un déficit de 212,1 millions d’euros.
«Cette politique de turnover permanent des joueurs a un impact direct sur l’activité du club. L’OM n’a pas la culture du business de développement. Dès qu’un euro tombe dans les caisses, il est réinvesti dans les transferts de joueurs. En fait, le club vit presque à crédit toute la saison, jusqu’au chèque de fin d’année du propriétaire», déplore un ancien haut dirigeant. Et ça commence à chiffrer : en neuf ans, le déficit cumulé (hors transferts de joueurs) dépasse désormais les 467 millions d’euros ! Une ardoise que continue de régler le propriétaire Frank McCourt, dont les plans étaient à l’origine bien différents.
"Jusqu’en 2022, Frank y a cru. Il espérait pouvoir se refaire financièrement"
Avant son arrivée sur la Cannebière en 2016, le Bostonien, qui a fait fortune en revendant pour 2 milliards de dollars la franchise de baseball des Dodgers de Los Angeles, rêvait de bâtir un grand projet immobilier qui offrirait une place centrale à l’OM. En rachetant le club à la famille Louis-Dreyfus pour 45 millions d’euros (plus le passif de l’époque déjà), l’entrepreneur devait mettre la main sur le parc Chanot, ce vaste espace jouxtant le Stade Vélodrome.
A l’image du nouveau grand stade de Jean-Michel Aulas à Décines (près de Lyon), l’Américain souhaitait développer une zone hôtelière, événementielle et sportive, englobant le «Vél’» et le Parc des expositions. Si la mairie n’y voyait pas d’objections particulières, la chambre de commerce et d’industrie, partie prenante du parc Chanot, aurait tout fait pour freiner le projet. « Jusqu’en 2022, Frank y a cru. Il espérait pouvoir se refaire financièrement avec ce projet. Quand il est arrivé, il disait : «Je vais rénover Marseille comme on a rénové Boston.» Il a compris bien tardivement que ça ne marcherait pas. «Depuis, le club est un peu un sparadrap pour lui», confie l’un de ses anciens très proches collaborateurs.
A tel point qu’à la terrasse des cafés le sujet de la vente du club revient régulièrement dans les conversations. S’il n’a jamais publiquement évoqué le sujet, Frank McCourt en a parlé en privé. Lui qui assiste très peu aux matchs de son équipe, il a fait le déplacement aux Pays-Bas, fin avril 2022, pour la demi-finale de Ligue Europa contre le Feyenoord Rotterdam, avec une grande partie de son état-major.
Selon nos informations, lors du dîner, le boss a évoqué ouvertement la situation du club et a affirmé qu’il ne souhaite plus boucher les trous en fin de saison. Il a fait surtout état de discussions très avancées avec un pool de repreneurs saoudiens. «C’est la première fois qu’il en parlait. Et il a été cash sur le sujet», nous confie un participant. Les deux parties ne trouveront finalement pas d’accord financier.
Si beaucoup d’observateurs se montrent sceptiques quant à la volonté du milliardaire de continuer à investir à Marseille, Frank McCourt aurait validé dernièrement un projet de déménagement du siège, l’an prochain. Une source proche de l’actionnaire salue «les efforts consentis, notamment cette saison, qui sont à la hauteur des ambitions du projet présenté par Pablo et son équipe de direction, en qui nous avons pleine confiance».
Note depuis la publication de l'article: L'entourage de Frank McCourt a tenu à démentir l'information sur les discussions passées avec de potentiels repreneurs saoudiens. Capital maintient cette information recoupée auprès de plusieurs sources internes au club.
ZOOM
467 millions d'euros
C’est le déficit cumulé de l’OM sous l’ère Frank McCourt (depuis 2016)
10 millions d'euros
L’OM est une vitrine coûteuse. D’après un rapport de la cour régionale des comptes paru en septembre dernier, le stade coûterait plus de 10 millions d’euros à la ville chaque année.
Sébastien Pommier
Chef d'enquête