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EXCLUSIF - Olympique de Marseille : les confidences du propriétaire Frank McCourt
AMBITIONS. Le propriétaire américain de l’Olympique de Marseille appelle à des réformes urgentes et profondes pour sortir de la crise actuelle. Il se félicite du retour de l’OM en Ligue des champions et fixe un objectif clair : y participer désormais chaque saison.
Frank McCourt a discrètement passé une partie de sa semaine à Paris, où il a multiplié les rendez-vous avec les décideurs de haut rang : Marie Barsacq, la ministre des Sports, , le président de la Fédération française de football (FFF), Nicolas de Tavernost, le directeur général de LFP Média, la société commerciale de la Ligue, ainsi que d’autres propriétaires de clubs de l’élite. Thème principal des échanges : la crise financière du football français provoquée par la chute vertigineuse des droits télé et les leçons à en tirer.
Pour l’homme d’affaires américain, il faut saisir cette opportunité unique pour renverser la table et instaurer un nouveau type de gouvernance, à la fois plus moderne, efficace et équitable. Il y a deux mois, Philippe Diallo annonçait sa volonté de créer une « Premier League » à la française sur le modèle anglais, dont les clubs deviendraient les actionnaires.
Le Bostonien y souscrit pleinement ; pour lui, les futurs succès de, qu’il avait racheté à Margarita Louis-Dreyfus en 2016, passent forcément par d’impérieuses réformes de fond. Avant de quitter la capitale, le fringant septuagénaire s’est longuement confié en exclusivité au JDD.
Le JDD. Qu’avez-vous appris cette semaine en venant à Paris ?
Frank McCourt. Il était important que les dirigeants sachent que je prends très au sérieux la situation du football professionnel en France. Je m’engage beaucoup, tant sur le plan émotionnel que financier. Je vais entamer ma dixième saison à l’OM. J’ai investi 750 millions de dollars dans le club. Je ne suis ni une société de capital-investissement ni un État. Le groupe McCourt est une famille et nous sommes très attachés à Marseille. Je voulais rencontrer tous les acteurs-clefs, écouter leurs points de vue et leur faire part du mien. Nous vivons un moment unique pour le football français. Le modèle actuel est défaillant mais cela nous offre l’occasion de le réparer dès maintenant. Je repars très satisfait de la qualité de nos discussions.
Que préconisez-vous ?
Dans une large mesure, je suis d’accord avec les idées qui ont été avancées. Les clubs doivent être parties prenantes et actionnaires de cette nouvelle structure [qui devrait remplacer l’actuelle LFP, NDLR]. Nous avons besoin d’un modèle proche de celui de la Premier League en Angleterre. Les clubs ont un rôle primordial à jouer et doivent reprendre leur destin en main. Nous appelons de nos vœux une vision commune, cohérente et ambitieuse, portée collectivement par les clubs, pour construire un modèle durable.
Comment valoriser au mieux les droits télé, qui ont drastiquement chuté depuis cinq ans et sont à l’origine de la crise ?
Nous, les clubs, devons d’abord reprendre nos droits à travers la Ligue et mettre fin à ce cycle incessant de décisions de court terme aux conséquences néfastes à long terme. Il faut remettre de l’ordre dans la gouvernance, aller de nouveau de l’avant pour développer les droits télévisuels et toutes les sources de revenus dont le football français a besoin.
Il sous-performe complètement dans ce domaine. Nous vivrons peut-être une période difficile pendant un an ou deux, mais ce fut souvent le cas depuis mon arrivée. La réforme devra faire en sorte que les clubs soient maîtres des décisions qui les impactent. Aujourd’hui, ce sont d’autres personnes qui prennent les décisions qui s’imposent aux clubs. Le système actuel est très dysfonctionnel.
Dans ce contexte, l’OM est-il en danger ?
L’OM n’est pas en danger parce que nous continuons à l’accompagner et à le soutenir financièrement. Mon objectif est celui d’un écosystème durable avec une bonne gouvernance. C’est ce que nous avons aujourd’hui. Je suis le propriétaire du club et garant de la vision que nous avons mise en place : notre conseil de surveillance est très efficace, Pablo [Longoria, le président] fait un excellent travail, tout comme Medhi [Benatia, directeur du football], Alessandro [Antonello, directeur général] qui vient de nous rejoindre et bien sûr Roberto [De Zerbi, entraîneur] sur le terrain.
Nous sommes sur la même longueur d’ondes, nous avons un haut niveau de compétence et nous voyons les résultats. L’OM est stable. Mon travail consiste à faire en sorte qu’il le demeure dans un championnat très instable. Nous sommes en concurrence avec d’autres pays, d’autres équipes en Europe : si nous voulons rivaliser, il faut davantage de stabilité au sommet.
L’OM a pris la deuxième place de L1 au terme d’une saison qui n’a pas été de tout repos…
C’était une très bonne saison, stressante mais le résultat est positif. L’objectif est désormais de se qualifier de manière systématique pour la Ligue des champions et d’enclencher un cercle vertueux. En tant que propriétaire de l’OM, j’ai trouvé très frustrant de constater le dysfonctionnement constant d’une Ligue qui enchaînait les crises. Une loi ne change pas tout mais elle permettra le changement. Il faut que cette loi voie le jour. Je suis optimiste. Nous avons une occasion unique de régler ce problème, c’est peut-être maintenant ou jamais pour le football français. Je remercie les dirigeants qui donnent de leur temps et de leur énergie pour faire avancer les choses.
Vous ne parlez pas de l’actuel président de la Ligue, …
Ne nous égarons pas, revenons à l’essentiel. Le plus important est de se concentrer sur les réformes nécessaires, à commencer par le mode de gouvernance du football professionnel et la mise en place de cette nouvelle structure avec une équipe de direction professionnelle, ouverte et transparente. Nous pouvons le faire mais il faut impulser et structurer rapidement ce plan de transition. Le football français a tout à gagner à se concentrer davantage sur le sport et sa viabilité commerciale que sur la politique. Gouvernance, droits télé : il faut tout remettre à plat.
L’OM va faire son retour en Était-ce nécessaire ?
Absolument. L’an passé, nous avions dit que l’objectif était la qualification pour la Ligue des champions. Tout résultat inférieur aurait été un échec. Jusqu’au bout, ce fut serré, parfois stressant. Maintenant, nous entrons dans une phase où l’objectif est de qualifier durablement le club pour cette compétition. Tout résultat inférieur sera un échec. C’est aussi simple que cela.
Je suis fier de cette qualification, si importante pour les supporters, les joueurs, le club et ses ressources financières. Nous avons atteint une certaine stabilité, et même une harmonie, ce qui n’a pas toujours été le cas à Marseille. Le collectif est très solide, même s’il y aura quelques changements. J’ai fixé deux objectifs sportifs pour la saison prochaine : se requalifier en Ligue des champions et performer en D1 Arkema pour les féminines, de retour dans l’élite.
L’an passé, vous nous aviez annoncé le début d’un projet de trois ans avec le triumvirat actuellement en fonction pour diriger le club au quotidien. Souhaitez-vous le conserver ?
Oui, c’est mon souhait le plus cher. Dans le milieu du sport, où je travaille depuis longtemps, il y a beaucoup de changements, les gens vont et viennent et il est difficile de maintenir une continuité. Elle est pourtant nécessaire. C’est une priorité de ce plan triennal.
Certains joueurs comme , le capitaine Leo Balerdi, Mason Greenwood ou encore Amine Gouiri ont été décisifs la saison passée. Porteront-ils toujours le maillot de l’OM ?
C’est également mon souhait. Maintenant, je ne suis ni le directeur sportif, ni le président. Mon objectif, c’est de mettre Pablo, Medhi et leurs équipes dans les meilleures conditions pour prendre les meilleures décisions à court, moyen et long termes. Concernant les joueurs mentionnés, notre objectif est de les garder et de construire l’équipe autour d’eux.
Quelle relation avez-vous avec Adrien Rabiot ?
C’est un vrai professionnel qui ne se repose pas uniquement sur son talent. Il considère son métier de footballeur comme un vrai travail, où l’on donne le meilleur de soi-même en permanence. Adrien incarne un état d’esprit exemplaire pour nos jeunes joueurs, qui voient ainsi ce qu’il faut faire. Même quelqu’un qui a autant d’atouts que lui travaille dur tous les jours, c’est ça le message. Et en plus, c’est quelqu’un de très bien. Comment ne pas l’encourager ?
L’engouement des supporters vous étonne-t-il encore, neuf ans après ? Le stade est toujours plein…
À chaque match. C’est bon signe, non ? Les supporters méritent un grand club et des joueurs acharnés. Tous ceux qui viennent aux matchs rêveraient de porter ce maillot et être sur le terrain. Et ils sont convaincus que, si c’était le cas, ils donneraient tout ce qu’ils ont. Pour l’OM et pour Marseille, ils veulent simplement que les joueurs fassent de même. Nous pouvons trouver des joueurs qui ont cet esprit, cette passion. Si c’était facile, ce ne serait pas un défi. Et si ce n’était pas un défi, ce ne serait pas aussi amusant.
Avez-vous applaudi quand est devenu champion d’Europe ? À Marseille, on dit : « À jamais les premiers » mais vous n’êtes plus les seuls désormais...
C’est un mélange d’émotions. Être les premiers, et les seuls, était un grand privilège. Les rivalités saines et le fair-play forment le socle du sport. Le PSG a accompli quelque chose de collectivement très important, il faut le reconnaître et les féliciter.
C’est un rappel stimulant de ce que signifie évoluer au plus haut niveau. À nous de continuer à faire progresser l’OM, pour répondre à ce défi et tracer notre propre voie dans le football européen. Continuons à améliorer l’OM et réformer le football français, son contrôle financier, pour un meilleur équilibre des compétitions.
Est-il possible de rivaliser avec ce PSG à court terme ?
Bien sûr. Si nous mettons en place les bonnes réformes, cela nous aidera, nous et les autres clubs, à être plus compétitifs. La Ligue 1 ne se résume pas au PSG et à l’OM. Il est important que les supporters de tous les clubs puissent avoir un peu d’espoir lorsque la saison commence. Il est certain que nous avons besoin de plus d’équilibre. Nous n’abandonnerons jamais.
Le football français peut-il se passer de , pour l’instant relégué administrativement en Ligue 2 ?
Je regrette cette situation. Nous savons tous que c’est un grand rival de l’OM et un club majeur du football français. Je respecte le travail très difficile de la DNCG pour discipliner et pérenniser le championnat. Jean-Marc [Mickeler, son président] a toujours été très franc sur la nécessité de réformes. Grâce à elles, il y aurait moins de problèmes et plus d’avantages économiques pour les clubs.
Pourriez-vous accueillir de nouveaux investisseurs à l’OM dans un avenir proche ?
C’est possible, mais seulement s’il y a une raison stratégique et s’ils partagent les mêmes valeurs. Ma famille est dans les affaires depuis plus de 130 ans et nous avons des partenariats qui durent depuis des décennies. Ils sont l’une des raisons de notre succès.
Je ne suis donc pas contre, mais nous ne cherchons pas activement. C’est un sujet sur lequel je veux rester très prudent. Le club n’est pas à vendre et il ne faut laisser place à aucune ambiguïté là-dessus. Ce qui compte, c’est la stabilité de l’OM et sa capacité à continuer de grandir.