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Vendre ou consolider ? Le dilemme des clubs avec leur section féminine, variable d’ajustement de la crise du football français
Alors que l’Euro 2025 débute, mercredi en Suisse, certains clubs de l’Hexagone, qui traversent de graves difficultés économiques, cherchent à revendre leur section féminine, tandis que d’autres tentent d’attirer des partenaires financiers.
A l’aube de sa deuxième année d’existence, la Ligue féminine de football professionnel (LFFP) semble à la croisée des chemins. Face à la crise traversée par le football français, pour lequel la Direction nationale du contrôle de gestion (DNCG) prévoit des pertes cumulées de 1,2 milliard d’euros en fin de saison 2024-2025, la tentation est grande pour certains clubs de se séparer de leur section féminine.
Alors que l’Euro 2025 débute, mercredi 2 juillet, en Suisse, plusieurs clubs de Première Ligue – le championnat de France féminin – seraient concernés : le Stade de Reims et Montpellier, dont les équipes masculines ont été reléguées en Ligue 2, ainsi que Le Havre, récemment racheté par un fonds d’investissement américain. Contactés par Le Monde, aucun n’a souhaité réagir, mais selon nos informations, la section féminine de Montpellier, créée en 2001 par l’ancien président Louis Nicollin, est bien sur le point d’être vendue.
« C’est une cession, pour que l’équipe féminine vive mieux, pas pour gagner de l’argent sur son dos », assure une source proche du dossier. Ami de « Loulou » Nicollin, à qui le fils Laurent a succédé à sa mort en 2017, Jean-Michel Aulas, président de la LFFP, suit l’affaire de près : « Si on peut aider Montpellier à trouver la meilleure solution, je serai en paix avec “Loulou”, qui m’a transmis le virus du foot au féminin », relate celui qui a fondé l’Olympique lyonnais féminin en 2004.
« Nous aurons bien 24 équipes professionnelles »
La défenseuse Maëlle Lakrar, qui dispute l’Euro avec l’équipe de France et a passé six ans dans l’Hérault, refusait d’y croire, fin mai. « Je fais confiance au président Nicollin, il ne lâchera pas son équipe féminine. Cela me ferait mal au cœur », réagissait la joueuse du Real Madrid, verbalisant une inquiétude partagée : « Les footballeuses méritent de jouer sans regarder, derrière leur épaule, [dans la crainte] que la section féminine s’arrête du jour au lendemain. »
En dépit du climat pessimiste, pareil péril n’est pas imminent, puisque les engagements de toutes les équipes de première et deuxième divisions ont été finalisés pour la saison à venir, a appris Le Monde. « On nous avait promis l’enfer, or nous aurons bien 24 équipes professionnelles », confirme Paul-Hervé Douillard, directeur de la LFFP. Optimiste, Jean-Michel Aulas met en avant « la construction d’un modèle sur cinq ans pour obtenir une économie durable ».
L’ancien président de l’OL, qui occupe également le poste de vice-président de la Fédération française de football (FFF), confirme « l’arrivée de nouveaux investisseurs, dont des étrangers » auxquels la Ligue – « facilitatrice » – a fait « une place importante » dans un contexte « de forte croissance. » En mars, un rapport du cabinet Deloitte a ainsi auguré d’une augmentation de 25 % des revenus du sport féminin dans le monde en 2025 par rapport à l’année précédente.
« Subventionné » par le foot masculin ?
La Première Ligue se développant, « les budgets des sections féminines ont évolué », met en avant la vice-présidente de la LFFP, Andreea Koenig. Au point que certains clubs comportant des sections masculines et féminines peinent à assurer ce nouveau train de vie. « Que des propriétaires s’interrogent sur le fait de tenir ce rythme et cherchent un partenaire majoritaire ou minoritaire, c’est normal », estime la dirigeante.
Ce qui le serait moins serait de penser régler ses problèmes financiers en vendant sa section féminine. « C’est une idiotie car, en valeur absolue, le foot féminin ne permet pas de résoudre la crise du foot masculin », assène Jean-Michel Aulas. Pour celui qui a transformé les Lyonnaises en recordwomans de sacres en Ligue des champions (huit titres), un président qui n’investirait pas dans son équipe féminine ferait « une erreur stratégique » : « Les gens qui durent dans le foot sont ceux qui pensent à long terme. »
Quatrième de Première Ligue en 2024-2025, les joueuses du Dijon Football Côte-d’Or (DFCO) ont participé aux playoffs en mai. Repreneur à l’été 2024 du club bourguignon – en grande difficulté financière depuis qu’il a dégringolé en National (troisième division) –, Pierre-Henri Deballon ne cache pas sa volonté de trouver des investisseurs pour sa section féminine. Pour l’homme d’affaires, le football au féminin a été « subventionné » par le football masculin et en est « dépendant. Il n’a pas eu a developper ses propres revenus et le paye aujourd’hui. »
Sur une enveloppe totale de 15 millions d’euros, le président dijonnais déclare « 2,5 millions d’euros » de budget pour sa section féminine et des pertes « de 1,4 million d’euros ». Face à cette situation « impossible à compenser pour un club endetté qui n’est plus en Ligue 1 », Pierre-Henri Deballon cherche de l’aide, mais sans envisager de se désengager complètement. « Ce n’est pas “Après moi le déluge” ! Je veux rester actionnaire du projet avec quelqu’un qui prend le leadership », précise-t-il, assurant discuter activement avec « deux fonds étrangers ».
L’arrivée du RC Lens et de l’OM
Cette situation instable n’a pas empêché ses joueuses d’être performantes. « Cela m’inquiète moins, mais au début, ce n’était pas facile à vivre », constate l’attaquante dijonnaise Meriame Terchoun. L’internationale suisse souligne la comparaison : « Si tu es 4e de Ligue 1 [masculine], tu n’as pas ce genre d’incertitudes. »
Les situations varient pour les clubs à propriétaire unique, qui consacrent plus ou moins de moyens à leurs footballeuses. Seul Lyon a la la particularité d’avoir un club 100 % féminin (OL Lyonnes), dont la propriétaire Michele Kang est également, depuis lundi, présidente de son pendant masculin. La Ligue féminine voit dans certains nouveaux investisseurs des chances à saisir. « On a expliqué à Antoine Arnault [nouveau propriétaire du Paris FC] qu’on avait besoin de l’investissement de sa famille », confie Jean-Michel Aulas. Paul-Hervé Douillard estime d’ailleurs que le mercato du PFC féminin est « un bon indicateur de la volonté de développement et de l’ambition du club ».
Deux nouveaux promus, Lens et Marseille, viennent renforcer la Première Ligue pour la saison à venir. Ces clubs historiques devraient faire du bien à la compétitivité du championnat, dont les affluences ont progressé de 150 % en deux ans et pour lequel la LFFP vise encore une hausse de 50 % l’an prochain, pour atteindre la barre des 2 400 spectateurs en moyenne. A Lyon depuis 2023, Kadidiatou Diani, attaquante vedette des Bleues, reste prudente : « J’attends de voir si les dirigeants vont vraiment mettre leurs footballeuses dans les meilleures dispositions. »
Une équipe « populaire et rentable »
A Lens (Pas-de-Calais), l’engagement paraît sérieux. Les Sang et Or bénéficient d’un atout de poids : la numéro 2 de la LFFP a été nommée en avril présidente du RC Lens féminin. « On a la chance incroyable d’avoir un propriétaire [Joseph Oughourlian] qui voit la section féminine comme un investissement et non un coût », salue Andreea Koenig. La dirigeante s’est déjà mise au travail et a « des idées sur la manière d’augmenter les revenus ». Elle entend prouver qu’il est possible d’avoir à Lens une équipe féminine « populaire et rentable financièrement », car elle en a assez d’entendre qu’il n’y aurait pas de modèle économique pour les footballeuses : « Si je gagnais un euro à chaque fois que quelqu’un me dit ça, je n’aurais plus besoin de sponsoring. »
Du côté de l’Olympique de Marseille, la nomination à l’été 2024 de Stefano Petruzzo comme directeur général de la section féminine est « le témoignage que l’OM pense à long terme » pour ses footballeuses, estime le dirigeant italien. Surpris par l’intérêt suscité dans la ville par la montée en Première Ligue, il vise l’organisation « de gros matchs au Stade-Vélodrome dès la saison prochaine », et vante, sans rêver trop grand, un projet progressif « de structuration sur trois à cinq ans ».
Si le propriétaire du club, Frank McCourt, et le président, Pablo Longoria, s’engagent pour la section féminine, cela n’exclut pas, selon Stefano Petruzzo, « de considérer toutes les options » quant à de potentiels investisseurs. « Beaucoup d’investisseurs sont intéressés par le football au féminin en France, expose le directeur général. L’OM est l’un des clubs qui susciterait le plus leur intérêt. » Selon nos informations, les Marseillais seraient en négociations avec des investisseurs pour développer leur section et viser des ambitions européennes dans les trois ans.
Interdite en France et en Angleterre entre les deux guerres mondiales, la pratique féminine du football n’a pris son envol que dans les années 1970, et sa professionnalisation est un processus en marche. « On ne veut pas se retrouver dans la situation du foot masculin trente ans après…, assure Jean-Michel Aulas. Compétitivité, croissance régulière et maîtrisée, nous devons être la Ligue de l’innovation et de l’équité. » Reste à passer du slogan à la réalité.