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La France, la gauche, Israël et la Palestine
Au XIXe siècle, même si une partie de la gauche fut, en son temps, comme la droite, antisémite, la France, la gauche et le peuple juif semblaient avoir des affinités fondamentales : les Français, comme les juifs et les gens de gauche partageaient une conception universaliste de leurs valeurs ; ils pensaient les uns et les autres que ce qui est bon pour eux est bon pour le monde ; de fait, les trois avaient apporté au monde des concepts de portée universelle : le monothéisme, les droits humains, le socialisme.
Quand est apparu l'Etat d'Israël, il n'a pas modifié cette équation : Peu de juifs français s'y sont installés, étant heureux en France ; un juif français était naturellement de gauche, pro israélien, sans pour autant s'affirmer sioniste, réservant ce mot à ceux qui décidaient de s'y installer ; de son côté, la gauche française restait à la pointe du combat contre l'antisémitisme, soutenant par tous les moyens la création et la défense de l'Etat israélien, alors à l'avant-garde des régimes sociaux-démocrates.
Tout a commencé à changer à partir de 1967, quand, attaquée par des armées arabes, et en situation de légitime défense, l'armée israélienne a occupé non seulement la vieille ville de Jérusalem, mais aussi les territoires jusque-là gérés par les Jordaniens ou les Egyptiens, et sur lesquels les Jordaniens avaient empêché les Palestiniens de créer un Etat en 1948.
Des Arabes israéliens sont ministres, avocats, médecins...
Il était d'ores et déjà clair qu'Israël ne serait véritablement en paix que quand existerait à ses côtés un Etat palestinien, démocratique et pacifique, reconnaissant Israël et reconnu par lui. Bien des dirigeants israéliens s'y sont employés ; bien des Palestiniens l'ont espéré. Quand les dirigeants palestiniens ont fini par reconnaître le droit des Israéliens à avoir un Etat, les accords se sont multipliés et la gauche française a applaudi.
Et quand un extrémiste israélien a assassiné l'homme de la paix, Yitzhak Rabin, les électeurs israéliens ont confié le pays à quelqu'un qui ne voulait pas d'un Etat palestinien ; tandis que les Palestiniens abandonnaient Gaza à des mouvements terroristes, et la Cisjordanie à des cacochymes plus ou moins corrompus.
Pendant ce temps, les Arabes israéliens se sont de plus en plus intégrés à la société israélienne, où ils sont aujourd'hui des citoyens pleins et entiers, ministres, députés, membres de la Cour suprême, juges, avocats, professeurs, chefs d'entreprise, médecins ; le système hospitalier israélien soigne indifféremment juifs, arabes, israéliens, palestiniens ou autres.
Un nombre croissant de pays arabes de la région y ont ouvert des ambassades ; d'innombrables projets se développent, sans que personne, dans ces pays, ne pense à agiter la menace d'un boycott ou la dénonciation d'un imaginaire apartheid. De plus, rien n'empêcherait, demain, Gaza et la Cisjordanie de devenir un paradis pour l'agriculture, le textile, les services et le tourisme.
Pour autant, rien n'est réglé : la jeunesse israélienne est victime de sa participation à une armée d'occupation ; les Arabes des territoires, citoyens d'aucun Etat, souffrent de très nombreuses limitations réelles, sinon formelles, dans leurs droits, en particulier en matière immobilière ; la colonisation envahissante morcelle la Cisjordanie, rendant désormais pratiquement impossible la création d'un Etat souverain sur ce territoire.
Un jour, plus proche qu'on ne le croit, les jeunes Palestiniens, débarrassés de leurs dirigeants islamistes, ou corrompus, ou cacochymes, ou les trois à la fois, renonceront à réclamer un Etat, pour demander les mêmes droits que les Arabes israéliens dans un Etat unique, ce qui signifierait à long terme, démographiquement, la fin du projet sioniste.
En France, certains, à gauche, espérant toucher un électorat des quartiers dont ils ne comprennent pas les réelles aspirations, enfourchent les pires montures des extrémistes et décrivent Israël comme l'Etat d'apartheid qu'il n'est pas.
Il appartient aux Israéliens, et à eux seuls, de prendre les bonnes décisions, avec leurs voisins. Pour sa part, un Français de gauche ne peut pas se reconnaître dans la politique de colonisation de la droite israélienne ni dans le fanatisme islamique de trop nombreux palestiniens. Il ne peut pas non plus approuver les appels à la dénonciation unilatérale des bavures israéliennes, sans dénoncer en même temps les violations permanentes des droits des hommes, et des femmes, dans les territoires palestiniens, par les Palestiniens euxmêmes. Il doit connaître et faire connaître la réalité de la situation de la région ; en la visitant. Il ne peut pas accepter l'usage des mots « génocide » ou « apartheid », ou « massacre » employés ici hors de propos. Il ne peut pas non plus accepter que soit remis en cause le droit des Israéliens à défendre leur Etat, leur démocratie et leurs valeurs, qui sont aussi les nôtres.
Un Français de gauche doit aider la gauche israélienne à se renforcer et à défendre ses idéaux. Il doit éviter d'importer le conflit, ou ce qu'il en reste, dans nos quartiers, pour de basses et trompeuses raisons électorales et refuser d'entretenir ainsi la petite flamme antisémite qui couve dans certains milieux de notre pays.
Jacques Attali